SUR L'ÉTAT ACTUEL DE LA BALISTIQUE EXTÉRIEURE THÉORIQUE PAR M. P. CHARBONNIER,

SUR L'ÉTAT ACTUEL DE LA BALISTIQUE EXTÉRIEURE THÉORIQUE PAR M. P. CHARBONNIER, Ingénieur Général de VArtillerie Navale, Ministère de la Marine, Paris, France. I 1. Avant la guerre, comme on sait, beaucoup d'artilleurs tenaient la Balis- tique et les balisticiens en piètre estime. Leur arme, du type du 75 français par exemple, était une machine de précision, à grand rendement et d'un manie- ment sûr. Mais l'emploi sur le champ de bataille en était basé sur une hypo- thèse'—qui d'ailleurs est une erreur courante dans toutes les branches de l'art militaire—c'est que l'ennemi se plierait docilement à toutes les règles du jeu: le tir de plein fouet aux faibles distances pour lequel toute la machine était conçue et combinée et d'où toute science balistique était systématiquement exclue. Avec le tir à longue portée, qui devint la règle sur le front, avec l'emploi de canons de tous modèles et de tous calibres, avec l'adoption de projectiles de formes améliorées, avec la nécessité d'un réglage permanent, sujet aux varia- tions dues à de multiples causes perturbatrices, avec le tir contre aéronefs enfin qui posait des problèmes pratiques que l'empirisme ne pouvait même pas aborder, tout changea. Jusque sur le champ de bataille, la nécessité des méthodes scien- tifiques de la Balistique rationnelle réhabilitée s'imposa. En France, l'Artillerie Navale, dans son polygone d'expériences de Gâvre était restée, de tout temps, fidèle aux Sciences de la Balistique: habituée à traiter rationnellement toutes les questions de tir de l'artillerie de bord, elle se trouvait en face des mêmes problèmes qui se posaient maintenant à l'artillerie de terre. C'était donc un terrain qui lui était très familier et pour résoudre ces problèmes, elle avait des méthodes d'expérience et des procédés de calcul sûrs et éprouvés. Ainsi, par une évolution logique et sans saut brusque, la Balistique d'avant-guerre put-elle se transformer en une Balistique, nouvelle si l'on veut, à certains égards, mais qui ne diffère de l'ancienne que par l'exten- sion de méthodes connues aux conditions actuelles du tir. C'est le sort de toutes les sciences appliquées, dont tel ou tel chapitre se développe plus ou moins suivant les besoins du moment: l'essentiel c'est que la science soit assez bien assise, dans ses principes, pour pouvoir suivre aisément la contrainte de la pratique et la demande de sa clientèle. 2. Les balisticiens, d'ailleurs, qui travaillaient avec acharnement et méthode dans leurs polygones et dans leurs bureaux d'études furent parfois assez mal- traités. Lors du tir des Berthas sur Paris, les journaux quotidiens et de graves revues, se gaussèrent de ces artilleurs naïfs, prétentieux et ignorants, qui ne 572 P. CHARBONNIER connaissaient pas la loi de la diminution de la densité de l'air avec l'altitude, circonstance qui expliquait si évidemment la réussite du coup de maître des Allemands. Et des savants qualifiés, dans des circonstances solennelles—que je ne veux pas rappeler ici-—-appuyèrent ces dires de l'autorité de leurs paroles. Que n'ont-ils, à cette occasion, mis à profit V a b c de la. méthode scientifique, qui est de recourir aux sources ou tout au moins de s'informer auprès des spécialistes! Ils auraient appris que la question avait déjà été traitée par les balisticiens du XVIIIe siècle, que de Saint-Robert l'avait longuement étudiée vers 1860, qu'en France, pour me borner à ce pays, depuis 1887, la méthode de calcul des trajectoires par arcs successifs, mise en pratique courante pour l'établissement de toutes les tables de tir de la Marine, adoptait la loi de résistance, fonction de. l'altitude, qu'on emploie encore aujourd'hui. Ils auraient pu constater que, vers 1892, lorsque la Commission de Gâvre obtînt, avec le canon de 16 cm de 90 calibres des vitesses de l'ordre de 1200 m.s., on avait calculé, avec cette loi de À variable avec l'altitude, des trajectoires à longue portée qui franchissaient aisément le Mont-Blanc ou le Pas-de-Calais, et qui présentaient le phénomène, prévu par la théorie, d'un point de vitesse maximum sur la branche descendante, après le point classique de vitesse minimum. Le tir des Berthas, au point de vue de la Balistique Extérieure ne présentait donc absolument rien d'imprévu, sitôt qu'on admettait la possibilité de réaliser des vitesses initiales de l'ordre de 1600 m.s. C'est en cette réalisation de Balistique Intérieure que la réussite des Allemands offre un véritable intérêt et fait aborder à l'artillerie de l'avenir un domaine nouveau. Pleine de difficultés pratiques et d'imprévu mécanique sera la mise en oeuvre et en service de ces dures con- ditions de tir, qui entraîneront des modifications profondes pour le matériel d'artillerie qui s'étudie et se prépare actuellement. Mais ni la Balistique Ex- térieure, ni la Balistique Intérieure ne se trouvent débordées par ces nouvelles conditions de tir: les bases rationnelles et expérimentales de l'une et de l'autre de ces sciences sont assez sûres pour que les extrapolations, en vue des applica- tions nouvelles, nécessitent autre chose que quelques expériences de vérification et d'extension des constantes qui figurent dans leurs équations. 3. La Balistique Extérieure, au tableau de laquelle nous nous bornons dans cette note, est souvent dite la soeur terrestre de la Mécanique céleste; c'est une soeur aînée, puisque Galilée la créa sous sa forme moderne, bien avant que Newton n'en généralisât la loi fondamentale en l'étendant au monde des planètes. La parenté des deux sciences à leur origine est si étroite que le second volume des ((Principes de la Philosophie naturelle» de Newton n'est en réalité qu'un pur traité de Balistique. Les deux sciences se séparèrent dans la suite: l'une qui s'occupe d'objets immuables, éternels et parfaits, se développe dans le pur domaine des mathé- matiques et des lois absolues; l'autre, qui participe davantage des imperfections terrestres et est utilisée à des fins très peu spéculatives, marche terre à terre et pas à pas, hésite, revient en arrière, renie parfois son essence rationnelle pour ne plus vouloir être qu'une pure discipline expérimentale; comme science d'appli- SUR L'ÉTAT ACTUEL DE LA BALISTIQUE EXTÉRIEURE THÉORIQUE 573 cation, elle est obligée de se plier aux exigences, aux idées, aux faits, aux modes du moment. L'historique de la Balistique Extérieure est d'abord intimement liée à l'histoire de la Mécanique rationnelle et de la découverte des lois fondamentales de la Dynamique. Quant elle s'est constituée comme science distincte, son histoire parait se borner à l'étude, à travers les temps, d'une simple équation différentielle qui, au point de vue mathématique, est sans grand intérêt pour les progrès de la science pure Mais si on considère son histoire au point de vue relatif de ses applications et des efforts des balisticiens pour adapter leur outillage scientifique aux besoins changeants de la pratique et de l'emploi, elle prend une vie et un intérêt de premier ordre*. II 4. Les équations différentielles de la Balistique Extérieure sont très faciles à écrire et se ramèneraient à des quadratures si l'on savait intégrer l'une d'elles, m i i du cvF(v) T^ , . , , . . . , , , i i 1 nodographe — = —-—- . De la non integrabili te, en general, de cette equa- dr g tion, découlent toutes les misères et tous les travaux des balisticiens: au point de vue mathématique, cela les a conduit nécessairement et inconsciemment parfois, à l'emploi exclusif des développements en série; toute l'histoire de la Balistique Extérieure n'est que celle des essais tentés pour exploiter l'une ou l'autre des séries possibles, pour les réduire à un nombre minimum de termes de calcul aisé, pour évaluer les rayons de convergence de ces séries, pour déterminer à quelles conditions initiales chacune s'applique légitimement. On peut distinguer quatre groupes de séries balistiques: 1° les séries qui sont issues d'un des cas-limites, quelle que soit la fonction F(v) et qui admettent la solution finie de ce cas-limite comme premier terme: c = 0 balistique du vide, o = 0 balistique horizontale, r = ± — balistique verticale, 2 T^Q tir de plein fouet. 2° les séries où F(v) est voisin d'une fonction qui rend intégrable l'hodographe. En pratique, F(v)=Bnvn + el/(v) [avec e\j/(v) petit, produisant une correction dite erreur balistique\. C'est la méthode de la résistance monôme. 3° les séries qui n'ont point de caractère balistique proprement dit, séries de Taylor, de Maclaurin, d'Euler-Maclaurin, etc. . . . *Pour l'historique de la Balistique Extérieure, on pourra consulter: (a) Historique de la Balistique Extérieure à la Commission de Gâvre, par le Ct. P. Charbonnier. Revue Maritime, 1906; traduit en anglais dans le Journal of the U.S. Artillery sous le titre The Gâvre Commission. An historical sketch of the progress of Exterior Ballistics (1907) et (b) Essais sur l'histoire de la Balistique. Mérn. Art. Fanç. (1927). 574 P. CHARBONNIER 4° les séries qui ne sont valables que dans la voisinage d'un point par- ticulier de la trajectoire (points de vitesse ou de courbure minimum, etc. . . .). 5. Je ne dirai rien de la Balistique du vide (c = 0), tant ce chapitre de la mécanique élémentaire est classique et complet; ni de la Balistique horizontale (g = 0) où quelques propriétés qui étonnaient les uploads/Litterature/ icm1924-2-0571-0594-ocr.pdf

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