1 ESPRITS NOMADES EXILS et MUTATIONS Jean-Marie PARENT 2 Du même auteur Passion

1 ESPRITS NOMADES EXILS et MUTATIONS Jean-Marie PARENT 2 Du même auteur Passions à l’Oeuvre, Editions Praelego, 2010 Une Kumpania, Editions Photos Touraine, 2011 Esprits voyageurs, Editions L’Harmattan, 2012 Philojazz, Editions L’Harmattan, 2013 Emouvances, Editions L’Harmattan, 2014 Le Carnaval des Mimes, Editions L’Harmattan, 2015 L’ego chatouilleux du Bouddha, Edition999 en ligne, 2016 Sentinelles de papier, Edition999 en ligne, 2017 Echographies, Parole sidérée, Edition999 en ligne, 2018 Esprits nomades, Exils à l’œuvre, 2019 / 20, Editions999 en ligne Site de l’auteur : Agora37 BLOG de l’auteur : LegoBaladin 3 - « Qui suis-je ? » pose Montaigne - « Un assouvi au regard d’exilé » murmure l’homme des Lumières - « Que sais-je ? » s’enquiert Socrate - « Mon exil est une œuvre » confie le réfugié Toute vie est une œuvre. Singulière et précieuse. - « Etranger, entre ou sors ! » - « Je garde un pied dedans Je garde un pied dehors… » 4 5 Visiblement, la gare d’Austerlitz achève sa mue. Combien de temps faut-il à un lieu pour faire peau neuve ? C’est la question qui me vient au moment où nous nous attablons dans ce café que nous connaissons bien, port d’attache familier, sécurisant pour les semi ruraux que nous sommes, rarement en partance mais toujours fascinés par la Capitale. Nous nous faisons la remarque que notre grotte de sédentaires a pris des airs de refuge à l’international depuis l’arrivée d’un réfugié dans ses murs. Notre manière à nous de transhumer ? A quand une sortie de la caverne façon Platon ? Les yeux encore embués de voyage, nous discutons. Tout en replongeant dans cet univers parisien insolite, ce sont des nouvelles baroques de nos territoires que nous portons en guise de bagages. Voilà déjà plusieurs samedis que des marées jaunes et braillardes ont pris l’habitude de venir poser leurs banderilles au goût citron dans la chair lisse, et néanmoins présumée aguerrie, de nos élites dirigeantes. Forfait de lèse hiérarchie que cette revanche de la masse sur la fine fleur, du flot humain anonyme sur le haut du panier présentement dépositaire des institutions comme des mandats afférents ? Mais tout pouvoir n’est-il pas fragile par nature, éphémère et transitoire à l‘image des réalités de ce monde mouvant ? Leçon toujours neuve propre à guérir durablement (?) des tentations de l’hubris. Il arrive que l’actualité du monde qui va réussisse à s’insinuer dans les affaires privées, nous plaçant ainsi face à des recoupements peu prévisibles 6 et qui viennent brusquement bousculer nos certitudes du moment. Partageant les petits plaisirs d’un café matinal, nous réalisons, Béa et moi, que cela fait huit mois tout juste que nous accueillons chez nous Kamel, réfugié issu de son lointain Soudan natal. Huit mois que notre quotidien a changé au rythme de cet hébergement insolite et souvent déroutant, même si choisi, préparé, longuement planifié par nos soins. Sur le mode de tonalités persistantes, le jaune de nos espaces nationaux et le noir de l’Afrique ont fait irruption de concert dans nos vies et nos esprits, avec chacun leur lot et leur cortège d’émotions, de questions et de doutes. D’incompréhensions récurrentes et d’invisibles clartés. De petites victoires et de vraies bonnes joies. Teintée de drame et d’humour, cette double réalité nous parle et nous comble de son parfum d’aventure, comme un défi venant pimenter l’âge qui s’avance. Avec toutes les interrogations sur la juste mesure colorant l’exercice, jamais atteinte, toujours au-delà ou en deçà, simplement approchée. Et tout le versant fortuit du Kairos cher à nos sages antiques : cette jonction des hasards qui bousculent, avec cette part de vérité cachée qu’ils nous révèlent à notre insu. Nous avions prévu de passer la journée avec une solide amitié de quarante ans habitant la banlieue proche et nous voilà partis à évoquer la route longue, saccadée, semée d’embûches, qui marque l’intégration de notre réfugié depuis son arrivée chez nous il y a presque un an. Alors que, pressante, l’actualité est en passe d’éclipser notre histoire dans un jeu de chamboulement que nous n’avions pas envisagé. 7 Les souvenirs fusent, récents ou plus anciens. Les anecdotes se pressent, ponctuées de sourires attendris, d’inquiétudes ou d’énervements encore tout chauds. Pas de place pour l’indifférence ou même pour une neutralité raisonnée : accueillir un exilé renvoie sans doute aux affres de son propre exil, intérieur celui-ci. Un exil de privilégié, peut-être, mais en forme de vrai dépaysement : celui du pas de côté qui sait ébranler les a priori et les certitudes. Pour trouver du nouveau. J’ai du mal à suivre le rythme effréné qu’impose Béa aux souvenirs qui se pressent. Mais le plumitif s’est réveillé, trouvant son grain à moudre, sa matière à composer, son réel à gratter. Voilà bientôt mon petit calepin noirci de notes nerveuses, à l’image d’une partition jouant une drôle de musique, entre fugue indécise et gammes appliquées. Une petite musique chargée d’émotions, entre staccato, crescendo et furioso. La vie quoi. 8 I – UN NOMADE INTRANQUILLE 9 Ce jour de janvier, il est 14h et Kamel pointe sa carcasse frêle, essoufflée et joyeuse, dans l’encadrement de la porte d’entrée. Il vient de parcourir… 30 km dans la campagne alentour, nous annonce-t-il tout fier. Pour le coup, c’est nous qui sommes soufflés ! Sa performance toute neuve semble lui avoir redonné un moral qui le fuyait depuis plusieurs jours. Depuis Noël et les mauvaises nouvelles qui s’accumulaient en provenance de son Soudan natal. Le régime du dictateur Al Bachir y sévit depuis des lustres, affamant son peuple qui vient brusquement de se rappeler à son souvenir. Des émeutes ont éclaté dans les rues de Khartoum la capitale pour protester contre l’augmentation du prix du pain, soudain multiplié par trois. La population pleure déjà plusieurs morts et les opposants connus sont pourchassés sans pitié par le régime. On assiste au retour des vieux fantômes, faussement assoupis depuis le dernier soulèvement qui remonte à plusieurs années. Trente ans que cela dure ! Trente ans : l’âge de notre réfugié, à une année près. La femme de Kamel, logeant et travaillant à Khartoum, a dû fuir loin de la ville pour se réfugier dans sa famille avec leur garçon de quatre ans. Les miliciens ont envahi la maison construite des mains du Soudanais, se sont emparé des ordinateurs et téléphones portables pour éplucher toutes les conversations et pister cet opposant répertorié qui a déserté son pays. Ils savent qu’il est réfugié en France. Le danger mortel qu’il avait fui quatre ans plus tôt lui saute 10 à nouveau à la figure, dévastant son moral. D’une minute à l’autre, il est un bloc de souffrance. Nous comprenons soudain dans toute sa réalité ce que signifie fuir son pays, cet acte inéluctable, implacable. Volontaire, assumé. La fuite dans l’exil forcé. Ou la mort. Et le destin qui s’écrit alors, avec sa dose de hasards, de circonstances, de soutiens humains, mais aussi de moyens physiques à disposition. Le créateur a bien fait les choses pour Kamel, béni des dieux : cet homme jeune, ce sont d’abord des jambes, longues, effilées, nerveuses, sans fin. Compas d’arpentage et outils de vie. Il nous confiera qu’il devait, enfant, parcourir chaque matin plusieurs kilomètres pour rejoindre l’école, dans ces grands espaces soudanais peuplés d’animaux sauvages et pourvus d’une nature luxuriante. Alors courir sur de longues distances, il connaît ! Avaler l’espace pour conserver ce flux vital indispensable à une survie sans cesse remise en question. Et même si cette thérapie a le goût de l’universel, elle a pour lui valeur de conservation pure et simple. D’intégrité et de salut. Nous saisissons simultanément, à cet instant, la singularité logique de son regard sur la vie : cet homme se vit pisté en permanence, en état de préservation toujours provisoire. L’éphémère s’est depuis longtemps glissé dans une matrice instable, titillant avec insistance ses forces vitales. 11 Première leçon, ou confirmation de ce que nous sentions déjà chez Kamel : une peur bleue de ne pas résister à la folie qui gagne l’esprit lorsque le corps cède à la panique d’une traque incessante. Nous apparaît soudain l’urgence d’une consultation au centre médical le plus proche, celui de notre petite ville. Rendez-vous est pris dans les deux mois qui suivent. En attendant, nous voilà présentement rattrapés par l’écho de nos propres désordres locaux, au goût jaunâtre, avec des airs de soucis de riches déstabilisés par leurs fins de mois difficiles. Le relatif nous saute aux yeux. Nous envoie promener, comme on dit. Balade salutaire ! 12 Devant un Kiosque à journaux de la gare, je suis soudain saisi par la brutalité de ce que je prends comme un pavé dans la figure. Le titre s’étale à la une d’un quotidien, tel une menace : Ces ombres qui planent sur l’Esprit des Lumières. Un abattement qui gonfle encore à la vue du chapeau en forme de question frontale : Les idéaux de progrès, de raison et d’universel sont-ils devenus obsolètes ? Comme ils y vont les bougres ! Plus de deux siècles de progrès suspendus uploads/Litterature/ esprits-nomades-exils-a-l-x27-oeuvre-2-pdf.pdf

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