Madame Thuriane Séveno Les « Mémoires de guerre » du général de Gaulle : une co

Madame Thuriane Séveno Les « Mémoires de guerre » du général de Gaulle : une contribution à la construction du grand homme In: Mots, septembre 1992, N°32. pp. 49-65. Resumen LAS « MEMORIAS DE GUERRA » DEL GENERAL DE GAULLE : UNA CONTRIBUCION A LA CONSTRUCCION DEL GRAN HOMBRE En sus « Memorias de guerra », el General de Gaulle manifiesta una fuerte propension a heroizarse el mismo. De ahí, desarrolla una de las versiones posibles del mito heroico, fuertemente impregnado del ethos de los oficiales de carrera. En lo esencial, las « Memorias de guerra » se han integrado en el paisage memorial francés después de la desaparición del general. Abstract GENERAL DE GAULLE'S « WAR MEMOIRS » : A CONTRIBUTION TO THE CONSTRUCTION OF A GREAT MAN In this « War Memoirs » General de Gaulle shows a marked tendency to make a hero of himself. In so doing, he develops one of the possible versions of the heroic myth, a version that is heavely imbued with an ethos characteristic of regular army officers. In the main the « War Memoirs » were integrated into the French collective memory after General de Gaulle's death. Résumé LES «MEMOIRES DE GUERRE» DU GENERAL DE GAULLE: UNE CONTRIBUTION A LA CONSTRUCTION DU GRAND HOMME Dans ses Mémoires de guerre, le général de Gaulle manifeste une forte propension à s'héroïser lui-même. Ce faisant, il développe l'une des versions possibles du mythe héroïque, fortement imprégnée de l'ethos des officiers de carrière. Pour l'essentiel, les Mémoires de guerre se sont intégrés dans le paysage mémoriel français après la disparition du Général. Citer ce document / Cite this document : Séveno Thuriane. Les « Mémoires de guerre » du général de Gaulle : une contribution à la construction du grand homme. In: Mots, septembre 1992, N°32. pp. 49-65. doi : 10.3406/mots.1992.1717 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mots_0243-6450_1992_num_32_1_1717 Thuriane SEVENO Centre de recherches administratives et politiques Université Rennes I Les « Mémoires de guerre » du général de Gaulle : une contribution à la construction du grand homme Confortée par toute la tradition culturelle occidentale, la notion de « grand homme » fait partie des données immédiates de la conscience. Dans le champ du politique, qui constitue l'un de ses terrains d'élection, si l'on s'en tient à la définition socialement dominante, on constate qu'elle sert à désigner des hommes d'Etat d'une stature exceptionnelle, de grands conducteurs de peuples, crédités de la capacité d'infléchir durablement le cours de l'histoire, de modeler le destin d'une nation. La prégnance d'une telle notion incite à prendre pour un donné ce qui est en fait une « représentation sociale », le résultat d'un travail de construction complexe engageant différentes catégories d'acteurs1. A l'origine de cette représentation socialement construite se trouvent bien sûr les thuriféraires patentés en quête de rétributions matérielles et symboliques, mais aussi, très souvent, l'intéressé lui- même, soucieux du regard que portera sur lui la postérité. Le général de Gaulle a cultivé plus qu'aucun autre cette préoccupation. Ses Mémoires de guerre représentent donc à cet égard un matériau de choix. C'est pendant la « Traversée du désert » que le général de Gaulle travaille à leur rédaction, suivant en cela la règle selon laquelle les écrits autobiographiques sont entrepris dans les inter valles de l'action. Momentanément détourné de ce projet par le 1. Sur cette notion, voir Denise Jodelet, Les représentations sociales, Paris, PUF, 1989. 49 lancement du RF, il y consacre l'essentiel de son temps de 1952 à 1958. Pour ce mémorialiste nourri d'humanités classiques, influencé par Thucydide, lecteur de Chateaubriand et du cardinal de Retz, ayant le souci du « beau style », le travail d'écriture fut à la fois long et laborieux. Il confie à Louis Terrenoire : « Ces Mémoires me donnent énormément de mal pour les écrire et pour en vérifier tous les éléments historiques au détail près. Comprenez- vous, je veux en faire une œuvre » \ La publication, confiée à la maison Pion, qui avait déjà édité Foch, Joffre, Poincaré, Clemenceau, et Churchill2, s'échelonne d'octobre 1954 à octobre 1959. « L'aile d'une étrange Providence semble couvrir la publication des Mémoires du Général dont la chronologie parait minutieusement minutée, remarque Pierre Nora : l'Appel, au moment de l'élection caricaturale de Coty, l'Unité, dans la désagrégation de la Quatrième République, le Salut, au lendemain du retour au pouvoir » 3. Dès la parution du premier tome, le succès est considérable : 100.000 exemplaires sont vendus en cinq semaines4. Comme le suggère Jean Lacouture, un tel triomphe aura probablement « contribué à ranimer en ce personnage que guette l'abattement, la foi en son destin » 5. Au-delà des bénéfices immédiats qu'il peut escompter de cette publication, en termes de réassurance narcissique ou « d'attestation sociale de sa qualification charismatique » dans une « conjoncture politique fluide » 6, de Gaulle écrit pour la postérité. Son but est de se commémorer lui-même. La part de la vie privée est réduite au strict minimum, à tel point que Malraux, évoquant la relation du Général avec le personnage symbolique « dont il a écrit les Mémoires, où Charles ne parait jamais », parle d'un dédoublement de la personne privée et de l'homme public7. 1. De Gaulle, 47-54, Paris, Pion, 1981, p. 253. 2. Sur ce choix, voir Lettres, notes et carnets, tome 7, Paris, Pion, 1985, p. 202. 3. « Les Mémoires d'Etat » dans Lieux de mémoire, tome 2, vol. 1, Paris, Gallimard, 1986, p. 388. 4. A ce jour, le tirage global des Mémoires de guerre est le suivant : tome 1, 410.000, tome 2, 340.000, tome 3, 330.000. 5. De Gaulle, tome 2, Paris, Le Seuil, 1985, p. 410-411. 6. Michel Dobry, Sociologie des crises politiques, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1986, p. 277 et suiv. 7. Antimémoires, Paris, Gallimard, 1967, p. 150. 50 Il arrive d'ailleurs que le mémorialiste, abandonnant la première personne, écrive « le général de Gaulle » ou tout simplement « de Gaulle ». Comme l'a très bien vu André Bertière, ce procédé de distanciation qui conduit l'auteur à parler de lui-même comme s'il parlait d'un autre, a pour principale conséquence « d'objectiver le récit : le personnage se trouve rejeté dans le passé, il est vu de l'extérieur, dans une perspective généralement grossissante, et sa vie prend les dimensions de l'histoire, voire de la légende » \ C'est encore Malraux qui le dit : parce qu'il faut que l'image du héros soit pure, les Mémoires se présentent comme « une simplification romaine des événements » 2. A cet égard, il convient certainement de rappeler la mise en garde formulée par Georges Gusdorf : sur le territoire des écritures du moi, la notion d'objectivité est assez mal venue. L'impossibilité de la coïncidence de soi à soi, qui tient à la constitution même de l'être humain, le passage de l'inconsistance du vécu à la consistance de l'écrit, concourent à rendre inaccessible au mémori aliste la position de l'historien. Volontaires ou non, des inexac titudes, des dissimulations, des déformations peuvent bien évidemment intervenir, d'autant plus facilement que l'autobiogra phie obéit le plus souvent à un désir latent d'autojustification, mais « l'illusion majeure serait d'imaginer que la bonne foi et la mémoire fidèle permettraient de parvenir à un jugement objec tif»3. Toute entreprise biographique « a un caractère créateur et édifiant » 4. Elle est travail de production et de représentation de soi. Les Mémoires de guerre n'échappent pas à la règle. Leur intérêt spécifique réside en ce qu'elles nous offrent l'une des versions possibles du mythe héroïque. Le général de Gaulle se produit comme « grand homme », contribuant par là même à renforcer la croyance en l'existence sociale de ceux-ci. 1. Le cardinal de Retz mémorialiste, Paris, Klincksieck, 1977, p. 399. 2. Les chênes qu'on abat, Paris, Gallimard, 1971, p. 37. 3. Lignes de vie, tome 1, Paris, O. Jacob, 1990, p. 135. 4. Ibid., p. 14. 51 « Une certaine idée de la France » « Toute ma vie je me suis fait une certaine idée de la France. » La phrase célèbre qui ouvre les Mémoires de guerre vise à manifester d'emblée l'unité intrinsèque d'une vie placée tout entière sous le signe de la grandeur, régie par le principe de la vocation. Ce faisant, le mémorialiste nous installe immédiatement au cœur de « l'illusion biographique ». Il présuppose, conformément à une représentation commune de l'existence, que « la vie est une histoire /.../ (qu'elle) constitue un tout, un ensemble cohérent et orienté qui peut et doit être appréhendé comme expression unitaire d'une " intention " subjective et objective, d'un projet » l. A dire vrai, ni le thème d'une vie consacrée à la défense d'une « certaine idée de la France », ni la philosophie de l'identité qui le sous-tend, ne sauraient nous surprendre, compte tenu du profil sociologique du narrateur. Jean Lacouture le note à juste titre : « Pour singulier qu'il soit, le général de Gaulle appartient à une lignée, à un milieu et une époque » 2. Dès uploads/Litterature/les-memoires-de-guerre-du-general-de-gaulle-une-contribution-a-la-construction-du-grand-homme-pdf.pdf

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