© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2009 DOI: 10.1163/157005809X438460 Arabica 56 (
© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2009 DOI: 10.1163/157005809X438460 Arabica 56 (2009) 192-234 brill.nl/arab Imruʾ al-Qays, « porte-étendard des poètes vers le Feu », dans le Livre de la poésie et des poètes d’Ibn Qutayba* Katia Zakharia Université de Lyon (Lumière-Lyon 2), GREMMO-UMR 5195 Abstract/Résumé In his Kitāb al-Šiʿr wa-l-šuʿarāʾ, Ibn Qutayba devotes to Imruʾ al-Qays a notice in two parts, each of which tells a partly different version of the pre-islamic poet’s “biography”. This article analyses and compares these two parts in order to reveal that they form a structure and to show that this structure became the basis of the poet’s legend over the centuries. Dans son Kitāb al-Šiʿr wa-l-šuʿarāʾ, Ibn Qutayba consacre à Imruʾ al-Qays une notice en deux parties dont chacune rapporte une version partiellement différente de la “biographie” du poète préislamique. Cet article analyse et compare ces deux parties, afin de démontrer qu’elles consti- tuent une structure et d’établir que cette structure a constitué le fondement de la légende du poète à travers les siècles. Mots-clés Ibn Qutayba, Imruʾ al-Qays, poésie, muʿallaqa, mythe, légende, poésie et islam, filiation symbo- lique, Byzance, Arabie « The murdered man was not an occupant of the house, » said the inspector. « Oh, I see, » said Mrs Hemming, still vaguely, « he came here to be murdered. How odd. » Agatha Christie, The Clocks Dans le Kitāb al-Šiʿr wa-l-šuʿarāʾ, Ibn Qutayba (m. 276/889) propose la première “biographie”, structurée comme telle, du poète préislamique Imruʾ al-Qays, bien que l’on trouve dans des sources antérieures, notamment les Ṭabaqāt d’Ibn Sallām al-Ğumaḥī (m. c. 231/846), des informations à caractère * Mes remerciements vont à Abdallah Cheikh-Moussa, pour ses remarques et suggestions, et pour la référence citée en note 135, qu’il m’a transmise et dont je lui sais gré ; à Pierre Larcher, pour ses remarques et suggestions, qui m’ont enhardie à mieux expliciter l’ancrage mythique du texte analysé ; à Kees Versteegh, qui a pris le temps de me confirmer, en l’argumentant, le bien- fondé de l’attribution à Zağğāğī des Aḫbār Abī l-Qāsim al-Zağğāğī ; à l’équipe de la Médiathèque de la MMSH, particulièrement à Olivier Dubois, pour son aide précieuse dans la consultation des sources imprimées. K. Zakharia / Arabica 56 (2009) 192-234 193 “biographique” concernant celui à propos duquel Abū Hurayra1 faisait dire au prophète Muḥammad : « Imruʾ al-Qays est le porte-étendard des poètes vers le Feu »2. Cette notice présente une double importance : le personnage dont elle traite étant l’un des plus connus du patrimoine classique, il est intéressant de retra- cer la première mise en texte formalisée, qui nous soit parvenue, de sa biogra- phie/légende ; il sera tout aussi intéressant d’accompagner, par l’étude de l’un de ses textes fondateurs, la naissance dans la prose littéraire abbasside du genre “biographie”, en parallèle au ʿilm al-riğāl dans le domaine de la transmission des dits prophétiques et de l’hagiographie3. L’édition utilisée du Kitāb al-Šiʿr wa-l-šuʿarāʾ est celle, sans date, de Dār al-t̠aqāfa (Beyrouth). L’imprimeur a repris l’édition de Michael Jan De Goeje4 et a demandé à deux universitaires reconnus, Muḥammad Yūsuf Nağm et Iḥsān ʿAbbās, qui se sont pliés à l’exercice, de rajouter les notes qui leur sem- blaient nécessaires5. La notice consacrée à Imruʾ al-Qays est en deux parties, constituant cha- cune une version de sa biographie. Dans l’édition consultée, la partie la plus courte couvre un peu plus de sept pages et la plus longue, un peu plus de dix-huit, soit près du triple6. Une lecture rapide pourrait faire apparaître la 1 Célèbre compagnon du prophète Muḥammad, « Abū Hurayra [m. v. 38/659] presumably did tell many stories about Muḥammad, but the authentic ones may be only a small amount of the huge number of traditions traced to him. » (J. Robson, « Abū Hurayra », EI, I, p. 129a). Dans les faits, tous les articles de l’Encyclopédie de l’Islam cités dans cet article ont été consul- tés sur Encyclopaedia of Islam CD-ROM Edition, I-XII, P .J. Bearman, Th. Bianquis, C.E. Bosworth, E. van Donzel et W.P . Heinrichs (éd.), Leyde, Brill, 2003. Cependant, pour confor- mer la présentation de la contribution aux normes d’Arabica, ils seront référencés à partir des deux éditions imprimées, française pour les auteurs francophones et anglaise pour les autres. 2 Voir infra p. 209-210. Imruʾ al-Qays ṣāḥib liwāʾ al-šuʿarāʾ ilā l-nār. Ce ḥadīt̠ figure sous le n° 6830 dans le seul Musnad d’Ibn Ḥanbal/al-mukt̠irīn/Abū Hurayra. Sur la complexité des relations entre la poésie et l’islam naissant, voir Cl. Gilliot, « Poète ou prophète ? Les traditions concernant la poésie et les poètes attribuées au prophète de l’islam et aux premières générations musulmanes », in F. Sanagustin (éd.), Paroles, signes, mythes, Mélanges offerts à Jamal Eddine Ben- cheikh, Damas, IFEAD, 2001, p. 331-96. 3 Šuʿba b. al-Ḥağğāğ, considéré comme le premier expert en transmission du ḥadīt̠ meurt en 159/776 et Ibn Saʿd, auteur du premier répertoire biographique de transmetteurs qui nous soit parvenu, Kitāb al-Ṭabaqāt al-kabīr, meurt en 230/845. Voir G.H.A. Juynboll, « Ridjāl », EI, VIII, p. 514b. 4 al-Šiʿr wa l-šuʿarāʾ [Liber poësis et poëtarum], éd. M.J. de Goeje, Leyde, E.J. Brill, 1904. 5 Ibn Qutayba, Kitāb al-Šiʿr wa-l-šuʿarāʾ, Beyrouth, Dār al-taqāfa, s.d. 2 vol. La notice qui nous intéresse est volume I, p. 50-75. L’éditeur précise p. 5 : wa-qad iʿtamadnā fī hād̠ihi l-ṭabʿa ʿalā ṭabʿat De Goeje [. . .wa-] ʿaraḍnā l-kitāb ʿalā [. . .] Muḥammad Yūsuf Nağm wa-[. . .] Iḥsān ʿAbbās fa-aḍāfā ilayhi min al-taʿlīqāt wa-l-ḥawāšī mā wağadāhu ḍarūriyyan. Ce commentaire jus- tifie la mention, sur la couverture, de l’indication ṭabʿa muḥaqqaqa wa-mufahrasa. 6 Ibn Qutayba, al-Šiʿr wa-l-šuʿarāʾ, p. 50 à 57, l. 4 pour la première partie/al-Šiʿr wa-l-šuʿarāʾ-w, 194 K. Zakharia / Arabica 56 (2009) 192-234 première comme une version abrégée de la seconde. Mais la relation entre les deux est beaucoup plus complexe et la plus diserte ne constitue aucunement une expansion de l’autre. Si la seconde version détaille des “informations” plus concises dans la première, ces développements transforment le narré. De plus, chaque version inclut des indications ou récits qu’elle est la seule à présenter. Enfin, quand une même “information” figure dans les deux versions, elle n’est pas forcément traitée identiquement, ni ne se compose des mêmes “faits”. En d’autres termes, la “biographie” qu’elles livrent n’est pas la même. Cette spéci- ficité n’est pas propre à notre seule notice puisque, comme l’observe Abdallah Cheikh-Moussa : Si l’on passe au Kitāb al-Šiʿr wa l-Šuʿarāʾ, on constate que l’édition orientaliste [De Goeje] propose, comme d’ailleurs celle du Caire, deux notices différentes, avec des variantes somme toute importantes, notamment dans le texte des vers, pour onze poètes et non des moindres. Si l’on ajoute à cela les titres différents qui lui sont donnés, on ne peut pas ne pas se demander en quoi consiste très exacte- ment l’ouvrage « authentique » d’Ibn Qutayba, à supposer qu’un tel ouvrage ait jamais existé avec ce que nous entendons aujourd’hui par authenticité. Faut-il penser qu’il y a eu une évolution dans son « enseignement » et que nous avons affaire à des versions recueillies par ses disciples successifs ou alors, et plus juste- ment, qu’il n’y a jamais eu de version définitive ?7 Autant il est difficile, pour ne pas dire impossible, d’apporter de réponse concluante en ce qui concerne la genèse de ces deux versions, que la tradition considère, depuis des siècles, comme les deux parties inséparables d’un même p. 12-14 (mā yunālu) ; p. 57, l. 5 à p. 75 pour la seconde/al-Šiʿr wa-l-šuʿarāʾ-w, p. 14-20 (wa-l- bālī). L’introduction de cet important ouvrage a fait l’objet d’une traduction française de réfé- rence (Ibn Qotaïba. Introduction au Livre de la poésie et des poètes. Texte arabe d’après l’édition De Goeje. Avec introduction, traduction et commentaire par M. Gaudefroy-Demombynes, Paris, Les Belles Lettres, 1947). Sur la “biographie” d’Imruʾ al-Qays, le travail de R. Blachère sur la poésie préislamique et ses poètes demeure une source documentaire de première impor- tance, même quand les grilles de lecture du célèbre orientaliste ne sont plus d’actualité (voir R. Blachère, Histoire de la littérature arabe des origines à la fin du XV e siècle de J.-C., Paris, Librairie d’Amérique et d’Orient, Maisonneuve, 1990, II, p. 243-292 notamment et particulièrement p. 261-262). Les sources arabes sont citées avec un double système de renvois, pour faciliter l’accès aux textes. Les références à une édition imprimée sont données de manière conforme à la tradition académique, puis suivies par un renvoi au même passage sur la bibliothèque virtuelle www. alwaraq.net. Dans le second cas, la mention-w, fait suite au titre, avec, entre parenthèses, si nécessaire, le segment à rechercher (si la citation arabe est en annexe, ce segment n’est pas donné). Sur les quate-vingt-dix-huit références concernées, seules deux présentaient une variante entre les deux versions. Dans les deux cas, elle était sans incidence sur la compréhension géné- rale. Enfin, toutes les références en ligne ont été confirmées par une consultation entre les 15 et 28 février 2009. 7 A. Cheikh-Moussa, « Considérations sur la littérature d’adab : uploads/Litterature/ imru-x27-al-qays-porte-etendard-des-poetes-vers-le-feu-dans-le-livre-de-la-poesie-et-des-poetes-d-x27-ibn-qutayba.pdf
Documents similaires










-
28
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Oct 05, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.3331MB