NOTE SUR UNE DISCORDANCE DANS LA CLINIQUE : LA DISSOCIATION Eduardo Mahieu John

NOTE SUR UNE DISCORDANCE DANS LA CLINIQUE : LA DISSOCIATION Eduardo Mahieu John Libbey Eurotext | « L'information psychiatrique » 2021/9 Volume 97 | pages 809 à 817 ISSN 0020-0204 DOI 10.1684/ipe.2021.2344 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2021-9-page-809.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour John Libbey Eurotext. © John Libbey Eurotext. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Pour des nom- breux psychiatres, dans la tradition clinique franc ¸aise du XXe siècle, cela évoque la schizophrénie. Cela est dû en partie, en raison de l’expression « syndrome dis- sociatif ». Elle prend son origine dans la traduction du terme allemand Spaltung, utilisé par Eugen Bleuler. Ailleurs dans le monde, le terme dissociation se réfère à la tradition clinique de Pierre Janet de la fin du XIXe siècle : hystérie, somnambulisme, dédoublement de la personnalité. Depuis l’introduction dans les années ‘80 par le DSM III de la catégorie « troubles dissociatifs », pour des phénomènes en référence à ce dernier auteur, le malentendu risque de tourner dans l’oubli ou la confusion. Nous faisons dans cette note un rappel sur un sujet qui a déjà fait couler beaucoup d’encre sans clôturer le débat. Mots clés : dissociation, discordance, histoire de la psychanalyse, histoire de la psychiatrie, terminologie, Sigmund Freud, Eugen Bleuler, Henri Ey, Pierre Janet Abstract. Dissociation: Note on a discrepancy in clinical definition. The term “dissociation” is at the source of a misunderstanding. For many psychiatrists in the French clinical tradition of the twentieth century, it evokes schizophrenia. This is partly due to the term “dissociative syndrome,” which originally translated Eugen Bleuler’s German term Spaltung. Elsewhere in the world, the term “dissociation” refers to the clinical tradition of Pierre Janet at the end of the nineteenth century: hys- teria, somnambulism, and split personality. Since the DSM-III’s introduction in the 1980s of the “dissociative disorders” category, for phenomena referring to Janet’s tradition, this misunderstanding risks causing serious confusion. In this note, we revisit a subject that has already been much discussed, without closing the debate. Key words: dissociation, discordance, history of psychoanalysis, history of psy- chiatry, terminology, Sigmund Freud, Eugen Bleuler, Henri Ey, Pierre Janet Resumen. Una nota sobre una discordancia en la clínica: la disociación. El término disociación está en el origen de un equívoco. Para muchos psiquiatras, en la tradición clínica francesa del siglo XX, evoca esto la esquizofrenia. Se debe en parte a la expresión “síndrome disociativo”. Tiene su origen en la traducción del término alemán spaltung, utilizado por Eugen Bleuler. En otras partes del mundo, el término disociación se refiere a la tradición clínica de Pierre Janet a finales del siglo XIX: histeria, sonambulismo, desdoblamiento de personalidad. Desde la introducción en los a ˜ nos 80 por el DSM III de la categoría “trastornos disociativos”, para unos fenómenos referidos a este último autor, el equívoco corre el riesgo de caer en el olvido o la confusión. En esta nota, llamamos la atención sobre un tema que ya ha hecho correr mucha tinta sin cerrar el debate. Palabras claves: disociación, discordancia, historia del psicoanálisis, historia de la psiquiatría, terminología, Sigmund Freud, Eugen Bleuler, Henri Ey, Pierre Janet À la moitié du XXe siècle, le psychiatre franc ¸ais Henri Ey écrit plusieurs centaines de pages à pro- pos du « Groupe des psychoses schizophréniques et des psychoses délirantes chroniques (Les organisations vésaniques de la personnalité) » [1], dans le « Traité de psychiatrie » de L’Encyclopédie médico-chirurgicale qu’il dirige à sa création en 1955. Ces pages, qui constituent l’écrit le plus complet en France sur le sujet, définissent cliniquement le patient schizophrène comme « discor- dant », « délirant » et « autistique ». La forme typique se caractérise pour lui par trois dimensions : le syn- drome fondamental, le délire et l’autisme (le premier est nommé le syndrome fondamental de la désagrégation schizophrénique) et cette triade constitue sa définition conceptuelle clinique du groupe. Notons d’emblée que le terme dissociation qui traduit selon certaines habi- tudes la Spaltung du psychiatre suisse Eugen Bleuler, le créateur du terme schizophrénie, n’est pas au pre- mier plan. Et c’est toute une histoire de malentendus qui se trouve condensé dès ces premiers paragraphes. Ey s’explique sur ses choix : c’est « faute d’avoir reconnu que le trouble essentiel de la schizophrénie, qu’on le désigne par des expressions comme « autisme », « dis- sociation », « désagrégation », « introversion », etc., « est doi:10.1684/ipe.2021.2344 Correspondance : E. Mahieu <dr.eduardo.mahieu@free.fr> 809 Pour citer cet article : Mahieu E. Note sur une discordance dans la clinique : la dissociation. L ’Information psychiatrique 2021 ; 97 (9) : 809-17 doi:10.1684/ipe.2021.2344 © John Libbey Eurotext | Téléchargé le 22/07/2022 sur www.cairn.info via Université Paris - Cité (IP: 195.220.128.226) © John Libbey Eurotext | Téléchargé le 22/07/2022 sur www.cairn.info via Université Paris - Cité (IP: 195.220.128.226) E. Mahieu un bouleversement délirant des relations du sujet et du monde réel que tous les problèmes posés par cette forme de psychose sont dans une impasse », qui est une manière de dire qu’il récuse dans la question une approche parte extra partes, au bénéfice d’un totum pro partes. Le premier des « aspects fondamentaux » du syn- drome qu’il aborde est donc celui de la discordance, un terme introduit en 1912 par le psychiatre franc ¸ais Phi- lippe Chaslin. Ey cherche à articuler de manière globale différentes notions cliniques exprimées en provenance d’horizons divers : « Le détachement (Janet), la « Zehr- fahrenheit » (Ziehen), la « scission » ou « Spaltung » (Bleuler), « l’ataxie intrapsychique » (Stransky) sont des concepts qui expriment tous l’incohérence, le défaut de cohésion et d’unité de la conscience et de la person- nalité des schizophrènes. Le terme de « discordance » (Chaslin) les résume tous, au point que Bleuler a pu dire (congrès de Genève-Lausanne, 1926) que s’il l’avait connu, il l’aurait adopté » ([1], p. 166). Comme on le voit, il choisit de subordonner la dissociation à la discordance, mais les mots vont lui jouer des tours et finir par inverser la tendance vers la fin du siècle. Pour comprendre l’importance qu’accorde Ey en 1955 à cette question, il faut revenir en arrière et retracer un peu les migrations, passages et métamorphoses des termes et de leurs habits de sens. Si nous parlons d’habits c’est qu’ils peuvent s’interchanger, muer leur signification, mais aussi parce que c ¸a donne origine à habitude, qui comme on le sait peut être bonne ou mauvaise. Concernant la traduction de l’usage du terme Spaltung par Bleuler par dissociation, Ey est de ce der- nier avis. Non seulement sur le mot mais surtout sur son interprétation, qui comme toute bonne herméneutique se doit de considérer la lettre et l’esprit. Car, contraire- ment à ce qu’affirme Alain Bottéro [2] dans un travail par ailleurs excellent, Ey oppose du premier au dernier jour de sa carrière intellectuelle une âpre résistance à ce qui lui semble une mauvaise habitude : traduire en franc ¸ais sans plus, la Spaltung de Bleuler par dissocia- tion. Mais le malaise dans leur rapport est, pourrait-on dire, leur péché originel : malentendu de langues, de significations, de personnes, de référents et d’approches cliniques. Tentons alors un petit atlas, comme nous l’enseigne Warburg, pour que chacun puisse voir les tableaux de plus près. Aux origines de la discorde Comme s’il s’agissait d’une allégorie du Saint-Empire romain germanique (ou plutôt de sa dislocation), les deux termes cohabitent en langue allemande à la fin du XIXe siècle. Dissoziation est un emprunt au terme forgé par le chimiste franc ¸ais Henri Étienne Sainte-Claire Deville en 1857 pour évoquer une réaction chimique concernant le pentachlorure de phosphore qui se décom- pose en chlore et trichlorure de phosphore. Néanmoins, en langue franc ¸aise, dissociation est attesté dès le XVe siècle pour signifier « rupture d’un engagement » ; et même dès 1593 « séparation de ce qui est asso- cié »1. Le terme provient du latin dissocio désunir, diviser, dénouer les amitiés [3]. En revanche, Spaltung est uploads/Litterature/ inpsy-9709-0809 1 .pdf

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