Roman Jakobson Huit questions de poétique Points Huit questions de poétique Ouv
Roman Jakobson Huit questions de poétique Points Huit questions de poétique Ouvrages de Roman Jakobson (traduits en français) AUX MÊMES ÉDITIONS Questions de poétique coll. «Poétique» Russie, Folie, Poésie (présenté par Tzvetan Todorov) coll. «Poétique» AUX ÉDITIONS DE MINUIT Langage enfantin et Aphasie Essais de linguistique générale La Charpente phonique du langage (en collab. avec Linda Waugh) Roman Jakobson Huit questions de poétique Éditions du Seuil EN COUVERTURE Henri Rousseau, The Dream (1910), détail. Muséum of modem art, New York, photo Snark International. © SPADEM. is b n 2-02-004680-6 © ÉDITIONS DU SEUIL, 1977. La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions desti nées à une utilisation collective. Toute représentation ou repro duction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. Ce volume est publié sous la direction de Tzvetan Todorov Avertissement Le présent recueil se compose de textes écrits pendant plus d’un demi-siècle, le plus ancien (la Nouvelle Poésie russe) datant de 1919, le plus récent (Structures linguistiques subliminales en poésie), de 1970. Le recueil se divise en deux parties. La première suit F ordre chronologique d'écriture et réunit des textes consacrés à la théorie littéraire et écrits entre les deux guerres. La seconde est organisée de manière systématique autour d'un thème : poésie de la grammaire, grammaire de la poésie. Les deux premiers textes exposent l’hypothèse de base, les deux derniers l’illustrent à l’aide de différents exemples. Toutes ces études ont été écrites depuis la Seconde Guerre mondiale. Ces textes sont extraits du volume Questions de poétique, paru aux Éditions du Seuil en 1973 (coll. « Poétique ») qui comporte vingt et une autres études de Roman Jakobson. 1 Fragments de « La nouvelle poésie russe ». Esquisse première : Vélimir Khlebnikova i [...] Lorsqu’on traite des phénomènes linguistiques du passé, on évite difficilement une vision schématique et en quelque sorte mécanique. Non seulement le profane mais le philologue lui-même comprend mieux la conversation familière d ’aujourd’hui que la langue du Stoglav b. De même, les vers de Pouchkine nous sont, en tant que fait poétique, moins compréhensibles, moins intelligibles que ceux de Maïakovski ou de Khlebnikov. Nous percevons tout trait du langage poétique actuel en relation nécessaire avec trois ordres : la tradition poétique présente, le langage quotidien [prakticheskij] d’aujourd’hui, et la tendance poétique qui préside à cette manifestation particulière. Voici comment Khlebnikov caractérise ce dernier mo ment : « Lorsque je remarquais comme pâlissaient soudain les anciens vers, lorsque le futur en eux caché devenait un aujour d’hui, j ’ai compris que la patrie de la création est le futur. a. Novejshaja russkaja poezija. Nabrosok pervyj. Viktor Khlebnikov (Prague, 1921), 68 p. t e choix des fragments est dû à Tzvetan Todorov. Les passages omis sont signalés par [...]. b. Stoglav (litt. « aux cent chapitres ») : recueil comportant les déci sions du Concile du même nom, réuni en 1551. 12 Huit questions de poétique C ’est de là que souffle le vent envoyé par les dieux du mot. » Si donc nous nous intéressons aux poètes du passé, ces trois ordres doivent être rétablis, ce qu’on ne réussit que partiellement et avec peine. En leur temps, les vers de Pouchkine étaient, selon l’expres sion d ’une revue contemporaine, « un phénomène dans l’his toire de la langue et de la versification russes », et, à cette époque, le critique ne se penchait pas encore sur la « sagesse de Pouchkine », mais se demandait : « Comment se fait-il que ces beaux vers aient un sens? Comment se fait-il qu’ils n ’agissent pas seulement sur notre ouïe? » Aujourd’hui Pouchkine est un objet familier, un puits de philosophie domestique. Les vers de Pouchkine sont acceptés pour tels sans preuves, ils sont pétrifiés et sont devenus l’objet d ’un culte. Ce n ’est pas un hasard si, l’année passée, des spécialistes de Pouchkine comme Lerner et Chtchegolev se sont laissé prendre en considérant les imitations habiles d’un jeune poète comme une œuvre authentique du maître. Aujourd’hui on tire des vers à la Pouchkine aussi facile ment que de faux billets : ils n ’ont pas de valeur intrinsèque et ne peuvent servir que comme substituts de pièces sonnantes et trébuchantes. Nous avons tendance à parler de la légèreté, de l’impercep tibilité de la technique comme une caractéristique de Pouch kine, ce qui n ’est qu’une erreur de perspective. Le vers de Pouchkine est pour nous un cliché; on en conclut naturelle ment qu’il est simple. Il en allait tout autrement pour les contemporains de Pouchkine. Regardez leurs réactions, écoutez Pouchkine lui-même. Par exemple l’ïambe à cinq pieds sans césure est pour nous fluide et facile. Pouchkine, lui, le sentait, c’est-à-dire qu’il le sentait comme une forme difficile, comme une désorganisation de la forme anté rieure. Fragments de « La nouvelle poésie russe » 13 Pour to u t vous avouer, dans la ligne à cinq pieds,, J ’aim e la césure au deuxième pied. . Sinon le vers est tantôt dans les fosses et tantôt sur des bosses/ Et bien q u ’étendu m aintenant sur un canapé, Il me semble toujours que, dans une course cahotante, On galope dans une charrette sur des pâturages gelés. La forme existe tant qu’il nous est difficile de la percevoir, tant que nous sentons la résistance de la matière, tant que nous hésitons : est-ce prose ou vers, tant qu’on a « mal aux mâchoires », comme le général Ermolov à la lecture des vers de Griboïedov, selon le témoignage de Pouchkine lui-même? Cependant, même aujourd’hui la science ne se préoccupe que des poètes morts, et si elle touche sporadiquement aux vivants, ce ne sont que les éteints, ceux qui ont déjà gagné à la loterie littéraire. Ce qui est devenu truisme dans la science du langage quotidien reste hérésie dans celle du langage poétique, qui, de manière générale, s’est maintenue jusqu’à présent à l/arrière-garde de la linguistique. Les spécialistes de la poésie du passé imposent habituelle ment à ce passé leurs habitudes esthétiques, y projettent les méthodes courantes de production poétique. De là vient l’inconsistance scientifique des théories rythmiques des moder nistes qui ont inscrit et lu dans Pouchkine la déformation actuelle du vers syllabotonique. C’est du point de vue du présent que l’on examine — pire même, que l’on apprécie — le passé; or une poétique scientifique n ’est possible qu’à condition qu’elle renonce à toute appréciation : ne serait-il pas absurde qu’un linguiste jugeât, dans l’exercice de sa profession, des mérites comparés des adverbes? La théorie du langage poétique ne pourra se développer que si on traite la poésie comme un fait social, que si l’on crée une sorte de dialectologie poétique. Du point de vue de cette dernière, Pouchkine est le centre 14 Huit questions de poétique de la culture poétique d’un certain moment, avec une cer taine zone d ’influence. De ce point de vue, on peut subdiviser les dialectes poétiques d’une zone qui tendent vers le centre culturel d ’une autre, à la manière des dialectes du langage quotidien, en : dialectes transitoires, qui ont emprunté au centre d ’attraction une série de configurations; dialectes semi-transitoires, qui ont emprunté au centre d ’attraction certaines visées [ustanovki] poétiques; et dialectes mixtes qui adoptent des traits ou des procédés étrangers isolés. Enfin, il faut tenir compte de l’existence de dialectes archaï- sants, dont le centre d ’attraction appartient au passé. [...] u [...] Dans la poésie des futuristes italiens, ce sont les nou veaux faits, les nouveaux concepts qui provoquent la rénova tion des moyens, la rénovation de la forme artistique; c’est ainsi que naît par exemple parole in libertâ. C ’est une réforme dans le domaine du reportage, non dans celui du langage poétique. [...] Le mobile décisif de l’innovation reste le désir de commu niquer les nouveaux faits du monde physique et psychique. Le futurisme russe a mis en avant un principe tout autre. « Puisqu’il y a une nouvelle forme, il y a aussi un contenu nouveau, la forme détermine ainsi le contenu. Notre création verbale jette sur tout une lumière nouvelle. Ce ne sont pas les nouveaux objets de la création qui décident de sa véritable nouveauté. La nouvelle lumière, jetée sur le vieux monde, peut pro duire le jeu le plus fantasque » (Kroutchennykh dans le recueil les Trois). Ici on prend clairement conscience du but poétique, et ce sont précisément les futuristes russes qui ont fondé la Fragments de « La nouvelle poésie russe » 15 poésie du « mot autonome [samovitoe\, à valeur autonome a » en tant que matériau dénudé canonique. Et on ne sera plus surpris de voir que les longs poèmes de Khlebnikov concer nent tantôt le cœur de l’âge de pierre, tantôt la guerre russo- japonaise, tantôt les temps du prince Vladimir, ou la campa gne d ’Asparoukh b, tantôt l’avenir universel. uploads/Litterature/ jakobson-roman-huit-questions-de-poetique-pdf.pdf
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- Publié le Jul 16, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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