Frédéric Gros Petite bibliothèque du marcheur Champs Classiques Frédéric Gros P

Frédéric Gros Petite bibliothèque du marcheur Champs Classiques Frédéric Gros Petite bibliothèque du marcheur Champs classiques © Flammarion, 2011. Dépôt légal : avril 2011 ISBN e-pub : 978-2-0812-6797-8 N° d'édition e-pub : N.01EHQN000270.N001 ISBN PDF web : 978-2-0812-6798-5 N° d'édition PDF web : N.01EHQN000271.N001 Le livre a été imprimé sous les références : ISBN : 978-2-0812-4883-0 N° d'édition : L.01EHQN000516.N001 75 392 mots Ouvrage composé et converti par Meta-systems (59100 Roubaix) Présentation de l'éditeur : Passionnés ou dilettantes, d’autres le furent avant vous et le dirent, de leurs mots sages ou fous. Nos petites bibliothèques recueillent ces paroles d’amateurs à l’adresse des amateurs, échos d’un même imaginaire. Des textes à lire et relire, à partager ou à garder pour soi, à portée de main. À quoi sert de marcher ? Et d’où vient que nous sommes de plus en plus nombreux à randonner ? Marche-t-on différemment en ville, en montagne et en forêt ? Vaut-il mieux cheminer seul ou accompagné, avec ou sans objectif ? Le sac à dos – gage d’équilibre et maison portative – est-il indispensable au marcheur ? Quelle liberté, quel rapport à l’espace et au temps expérimente-t-on lorsque l’on est en route ? Dans les textes ici rassemblés, des poètes, des philosophes et d’autres écrivains marcheurs d’hier et d’aujourd’hui répondent à ces questions et à bien d’autres – témoignant chacun à sa façon de ce qui le fait marcher. De ce que la méditation allante, la vie motrice, pourvoyeuse d’énergie et de vigueur, a toujours été le meilleur rempart contre la mélancolie. Illustration de Serge Bloch © Flammarion PETITE BIBLIOTHÈQUE DU MARCHEUR Introduction « Bibliothèque du marcheur » : les termes ne sont pas si faciles à concilier. La bibliothèque, c'est un espace pour sédentaires. Rimbaud les appelait : « les assis ». On ne marche pas, dans une bibliothèque : on se lève pour aller prendre un livre, on se déplace à pas étouffés, et on regagne aussitôt sa place. De chaise en chaise. Une bibliothèque, ce n'est pas fait pour des marcheurs : espaces confinés et clos, atmosphères empesées, corps recroquevillés, volumes épais qui s'amoncellent sur les tables, gestes lents. Et pourtant… Quant aux « philosophes marcheurs », c'est encore autre chose. Précisément, le philosophe paraît un animal de bibliothèque ou de bureau. Lecteur infatigable, courbé sur ses papiers, il ne déplie son corps que pour atteindre un livre perché. On dira certes que sa pensée inlassablement chemine, que son esprit gravit avec peine des montagnes spéculatives, mais enfin quoi : ce sont des métaphores, et si l'âme vagabonde, le corps reste vissé, cloué à la chaise : « Ils ont greffé dans des amours épileptiques/Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs/De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques/S'entrelacent pour les matins et pour les soirs !/Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges… » (Rimbaud). Et c'est l'horreur si vous les obligez à se mettre debout : « Oh ! ne les faites pas lever ! C'est le naufrage… » Et pourtant… Écrire sur la marche, en faire une « esthétique » ou une « philosophie », cela paraît encore très saugrenu, pour cette autre raison que la marche semble décidément trop pauvre pour espérer atteindre à la dignité d'un acte philosophique, d'une pratique esthétique, d'une expérience spirituelle. Après tout, marcher, tout le monde sait faire, ça n'intéresse personne. On marche pour rejoindre un moyen de transport, pour aller jusqu'à son lieu de travail ou de rendez-vous, pour aller jusqu'au domicile d'un ami, une connaissance, une inconnue. Et c'est après que tout commence. Au cinéma, les moments où l'on filme les acteurs marchant, ce sont des moments de transition, des instants creux de respiration, entre les scènes d'action : séquences rapides, il ne faut pas que le spectateur s'ennuie. La marche, c'est tellement humble et pauvre, tellement lent aussi. Il y a trop peu à en dire, c'est d'une telle simplicité : mettre un pied devant l'autre. Toute la technique est là pour nous faire éviter cette servitude : voiture, train, avion… Avec le véhicule, commencent la vitesse et la culture, un monde de conquête et d'audace. Et pourtant, rien que « marcher », écrit Balzac, ça vous révèle un homme, un monde, un destin : le pas chaloupé du marin, la marche ferme du militaire, la démarche souple, féline de l'élégante, la progression régulière du pèlerin – on dirait un navire glissant sur l'eau. Dis-moi comment tu marches… Bien sûr, ce ne sont pas des techniques difficiles, longues à assimiler (quoique, pour les défilés, qu'ils soient de mode ou militaire, il faut un apprentissage) ; plutôt des manières, des styles : il y a une diversité du pas qui révèle une culture ou une personnalité. Marcher n'est pas aussi anodin, anonyme qu'on veut d'abord le croire. Les techniques ne sont pas aussi élaborées que pour les autres sports, mais on peut apprendre par exemple à caler sa respiration (marche afghane), à régler les inspirations, les expirations et les arrêts sur ses pas, selon des rythmes différents (3-1/3-1, 4/4/2, 2/2, 5/5, etc.), qui vont varier suivant la nature du terrain, le dénivelé, la difficulté, le temps qu'il fait… C'est pourtant là surtout un point de vue scientifique : le technicien (qui apprend), le physiologiste (qui explique), le psychosociologue (qui interprète). Mais si la bibliothèque du marcheur n'est pas seulement composée – loin de là ! – de ces livres savants, c'est qu'il existe une poétique et, au-delà, une pratique spirituelle, de la marche, qui se retrouvent, disséminées, dans les textes de ces écrivains, de ces penseurs qui furent aussi d'immenses marcheurs. Selon qu'on marche une ou deux heures, un ou deux jours, un ou deux mois, selon qu'on marche pour simplement sortir ou pour se rendre en un lieu précis, selon qu'on marche à la ville ou aux champs, dans les déserts ou les montagnes, toutes ces marches donnent lieu à des expériences extraordinairement diversifiées, qu'on peut essayer de ramener ici à quelques grandes catégories. Il y aurait d'abord quelque chose comme la promenade. Se promener, c'est sortir, aller dehors. C'est la recherche d'abord d'une rupture de rythme, d'un changement de milieu. On va s'aérer, prendre l'air, échapper aux murs, s'extraire d'un cadre de travail, quitter sa chaise, sa condition de sédentaire, pour se dégourdir les jambes, sentir son corps, calmer sa lassitude. Pour cela, le plus souvent, on ira trouver, comme on dit, des « espaces verts » : un jardin public, un parc, une forêt, un bord de fleuve. Alors que la flânerie, comme on verra, suppose plutôt la ville, des rues bondées, des avenues pleines de lumières et de vitrines, le promeneur recherchera spontanément la tranquillité des parcs ou des berges, le long desquelles il pourra se laisser bercer par le murmure du fleuve. La promenade se fait sur un temps court, quelques heures de détente. Elle est comme une parenthèse de la journée. Elle peut comprendre des modalités très diverses. Il y a la promenade familiale, celle du dimanche après-midi : parce qu'il fait beau, que les enfants sont agités. Alors on déambule dans les bois, au milieu d'autres familles. On se retourne sans cesse, on s'arrête souvent, on fait des pauses. Les enfants jouent pendant que les grands parlent. Et puis, quand le soleil décline, « on rentre ». Les petits ont les joues roses, c'est gagné. Il y a la promenade hygiénique. Soit celle qu'on fait « pour digérer », surtout parce qu'on se sent gavé, pour se secouer aussi – d'expérience, on se méfie des siestes qui suivent un repas chargé : elles fatiguent. Soit encore la promenade qu'on s'impose par vertu : une heure par jour, toujours le même parcours, et la même satisfaction d'avoir accompli son devoir en rentrant (« ça m'a fait du bien »). Kant mettait un point d'honneur à exécuter sa promenade quotidienne à la même heure exactement, en suivant la même allée du jardin de Königsberg. Tous les jours. On a envie d'en rire, et de trouver même un peu pathologique, obsessionnelle, cette discipline de fer. Comme si Kant en était victime. Mais est- ce qu'on ne peut pas y voir aussi une forme de courage ? Parce qu'il faut de la ténacité pour balayer toutes les excuses qui s'offrent à la paresse. Il y avait autrefois la promenade galante, qui s'est un peu perdue : on allait dans les parcs, on fréquentait les jardins, en grandes toilettes, pour s'entrevoir, se séduire. Il faut marcher lentement, paraître tout occupée, demeurer aux aguets, se laisser apercevoir sans se montrer, calculer les séductions. Il y a enfin la grande promenade : celle que les enfants attendent, celle qu'on leur a promise (« s'il fait beau »), celle qu'ils connaissent par cœur et redemandent, comme ils demandent le même livre, la même histoire. Plaisir d'anticiper les points de vue, les formes des collines, plaisir de retrouver les choses à leur place, plaisir de saisir les variations du paysage au gré des saisons (le même et l'autre), plaisir de silencieusement saluer des uploads/Litterature/ petite-bibliotheque-du-marcheur-by-gros-frederic-gros-frederic.pdf

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