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Tous droits réservés © Science et Esprit, 2021 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 10/11/2022 4:25 p.m. Science et Esprit PEUT-ON TRADUIRE SANS TRAHIR ? Vérités alternatives dans la Septante de Deutéronome Jean Maurais Volume 73, Number 1-2, January–August 2021 Faire la vérité URI: https://id.erudit.org/iderudit/1075397ar See table of contents Publisher(s) Collège universitaire dominicain, Ottawa ISSN 0316-5345 (print) 2562-9905 (digital) Explore this journal Cite this article Maurais, J. (2021). PEUT-ON TRADUIRE SANS TRAHIR ? Vérités alternatives dans la Septante de Deutéronome. Science et Esprit, 73(1-2), 27–47. Article abstract Discourse on translation is complex and fraught with difficulties, especially when it comes to the notion of fidelity to the original, and consequently the issue of truth. Is it “faithful” or “misleading,” “true” or “alternate facts,” to use the recently coined euphemism? This article questions certain prescriptive statements and the way in which translational equivalence is sometimes interpreted in some studies on the Septuagint. Drawing on recent advances in the field of translation studies, it argues for the use of a descriptive approach, the law of levirate marriage in Deuteronomy 25:5-6 acting as test case. While not entirely setting aside the notion of fidelity, such a concept must be relativized and contextualized, particularly when one’s goal is to gain a better understanding of the context in which a translation was produced. Science et Esprit, 73/1-2 (2021) 27-47 PEUT-ON TRADUIRE SANS TRAHIR ? Vérités alternatives dans la Septante de Deutéronome Jean Maurais L’adage bien connu « Traduire, c’est trahir1 » sert souvent à exprimer l’idée répandue selon laquelle aucune traduction ne transmet parfaitement ou même convenablement l’original. Cette impression n’est pas récente. Les Grecs décri- vaient Hermès, dieu de la traduction, comme voleur par excellence, menson- ger et capable d’effacer ses traces2. Le mythe aborde déjà les thèmes qui sont au centre des préoccupations modernes concernant la traduction, c’est-à- dire « le rapport ambigu à la vérité et l’exigence de fidélité3. » Ainsi, comme le souligne Berman, « parler de traduction…c’est parler du mensonge et de la vérité4. » Néanmoins, l’omniprésence des traductions démontre que celles-ci demeurent indispensables en dépit des préjugés défavorables dont elles font souvent l’objet. Certains ont avancé que les traductions de textes sacrés échappent à ce constat puisque le christianisme, pour ne nommer qu’un exemple, souligne plutôt la communicabilité de la vérité révélée dans n’importe quelle langue 5. Ainsi, la notion de fidélité à l’original et la possibilité même d’une quelconque équivalence entre la traduction et son modèle jouent un rôle prépondérant 1. Cette paronomase nous provient de l’italien « Traduttore, traditore ». 2. Voir ici René Lemieux, « Éthique et esthétique de l’Autre en traduction : une réflexion à partir de récentes critiques contre la traductologie d’Antoine Berman », Translationes, 2 (2010), p. 41. 3. Sabine Mehnert, « “Traduire, c’est trahir” ? Pour une mise en question des notions de vérité, de fidélité et d’identité à partir de la traduction », Trajectoires [en ligne], 9 (2015), p. 1. Disponible en http://journals.openedition.org/trajectoires/1649 [consulté le 18 octobre 2019]. 4. Antoine Berman, « Au début était le traducteur », TTR : traduction, terminologie, rédac- tion, 14 (2001), p. 17. 5. C’est ce que suggère Mehnert dans son article, écrivant que « la traduction de textes sacrés […] pose des problèmes différents, notamment dans les traditions juives et chrétiennes où une dimension ‘révélée’ de la vérité permet des traductions fidèles. » Voir Sabine Mehnert, « “Traduire, c’est trahir” ? », p. 1, note 1. Que l’on soit d’accord ou non avec ce postulat (et nous y reviendrons), la longue tradition de traduction biblique et le prestige conféré à certaines tra- ductions démontrent que dans la pratique du moins, la traduction fut généralement perçue assez positivement au sein du christianisme. 28 j. maurais dans l’évaluation d’une traduction : est-elle « fidèle » ou « trompeuse », « véri- dique » ou « vérité alternative » pour employer un euphémisme à la mode6 ? 1. La notion d’équivalence et l’étude de la Septante La Septante, première traduction grecque de la Bible hébraïque, n’échappe pas à cette situation7. Celle-ci est souvent évaluée selon son rapport à la vérité, c’est-à-dire l’original, principalement par souci de la mettre au service de la critique textuelle de la Bible hébraïque, mais aussi lorsqu’il est question de décrire le travail de ses traducteurs. Leurs traductions sont parfois dénigrées parce que leurs procédés sont incompris8. Dans son étude du Deutéronome grec, Peters associe la notion de compé- tence, et surtout celle de fidélité, à un style de traduction particulier favorisant une équivalence linguistique formelle. Décrivant le travail du traducteur9, il affirme que celui-ci était « …competent and faithful…generally maintaining 6. L’expression « vérité alternative » ou « faits alternatifs » est elle-même une traduction de l’anglais « alternate facts » dont l’emploi courant remonte à la présidence de Donald Trump, et plus particulièrement à sa conseillère Kellyanne Conway. Voir cette dernière s’adressant à Chuck Todd sur NBC, via https://www.youtube.com/watch?v=VSrEEDQgFc8 [consulté le 28 octobre 2019]. Ce paradoxe illustre tout de même ce qui pourrait être dit de la traduction de manière générale. 7. Le terme Septante (ou LXX) est employé ici pour désigner la traduction initiale de chaque livre de la Bible hébraïque en grec. Comme ces livres ont été traduits à différentes époques et fort probablement en différents endroits, il est plus exact de considérer la Septante comme une collection de traductions à laquelle furent aussi ajoutés d’autres livres composés directement en grec. Dans le cas du Pentateuque, on considère généralement que la traduction fut produite en Égypte à la première moitié du 3e siècle av. J.C. La plupart de ces traductions furent l’objet de révisions, parfois peu de temps après la traduction initiale. Pour un survol de ces questions, voir Gilles Dorival et al., La Bible grecque des Septante. Du judaïsme hellénistique au christianisme ancien, Paris, Cerf, 1994, p. 83‑111. La mention du « Deutéronome grec » dans cet article fait référence à la traduction initiale, dont l’édition critique de Wevers représente la reconstruction la plus aboutie. Voir John William Wevers, Deuteronomium (Septuaginta : Vetus Testamentum Graecum Auctoritate Academiae Scientiarum Gottingensis editum 3.2), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1977. Les citations grecques sont tirées de Wevers, alors que le texte hébreu est cité de Biblia Hebraica Quinta. 8. Lee cite de nombreux exemples tirés de l’étude de Gooding portant sur la grande varia- bilité des équivalents lexicaux chez les traducteurs d’Exode et Lévitique. Gooding n’hésitait pas à employer les qualificatifs « completely indifferent to technical accuracy, » « deliberate careles- sness » et « first-class blundering. » Pour Gooding, « a competent translation, when it comes to technical terms, must choose its renderings with precise accuracy and adhere to them with unvarying consistency. » Voir David. W. Gooding, The Account of the Tabernacle : Translation and Textual Problems of the Greek Exodus, Cambridge, Cambridge University Press, 1959, p. 8, 10, 19‑21 ; John A. L. Lee, The Greek of the Pentateuch : Grinfield Lectures on the Septuagint 2011-2012, Oxford, Oxford University Press, 2018, p. 183‑184. 9. Il sera question du « traducteur » dans cet article pour deux raisons : 1) il appert que le livre dans son entier fut le travail d’une seule personne étant donné le style plutôt uniforme de la traduction. Il est fort probable que le traducteur n’a pas travaillé de manière isolée, mais nous le désignerons tout de même au singulier par simplicité. 2) Il est aussi fort probable que l’activité scribale que représente la traduction fut tâche d’un homme, ce qui explique le genre masculin. 29 vérités alternatives en deutéronome (lxx) ? a close relationship to his source but occasionally engaging in some interpre- tation of it ». Selon lui, les calques, choix lexicaux stéréotypés, la reproduction mot à mot de l’hébreu à l’encontre de la stylistique grecque, ainsi que la repré- sentation de chaque élément de l’hébreu sont autant d’indicateurs qui confir- ment la relation étroite entre la traduction et l’original10. Peters rejette ensuite les suggestions selon lesquelles le traducteur aurait ajouté des informations manquantes, parfois empruntées d’autres endroits dans le Pentateuque, ou standardisé certaines expressions hébraïques. Son jugement s’exprime de manière très tranchée : « This paints a rather dismal picture of the translator of Deuteronomy. He is a cavalier, irresponsible figure, prone to normalize, eliminate, and borrow from other parts of the Pentateuch on a whim. This is not the translator I have come to know11. » Ailleurs, il s’en prend à ceux qui décrivent le traducteur comme interprétant librement, ce qui équivaudrait à l’accuser de malhonnêteté12. Une telle démarche signale l’existence d’une prémisse voulant qu’une tra- duction doive entretenir un rapport uploads/Litterature/ jean-maurais-traduire-sans-trahir.pdf
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- Publié le Aoû 03, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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