Sbihi Soraya Professeur de littérature française Faculté des Lettres et des Sci
Sbihi Soraya Professeur de littérature française Faculté des Lettres et des Sciences humaines Kénitra LA NOTION DU DÉSIR TRIANGULAIRE DANS FERMINA MARQUEZ DE VALERY LARBAUD René Girard dans son essai Mensonge romantique et vérité romanesque nous livre une intuition qui devient dans son livre une hypothèse de travail. Si nous parlons d’intuition c’est qu’il s’agit de quelque chose que l’on sait depuis toujours sans jamais en avoir saisis la portée, à savoir que nous ne sommes jamais les auteurs de nos propres désirs. Les hommes ne désirent pas spontanément les choses, nous ne désirons que ce que les autres désirent ; en fait les choses ne sont bonnes que lorsqu’elles nous sont désignées par un tiers. Ce tiers qui donne son prestige à l’objet représente alors un modèle. René Girard l’appelle le médiateur du désir. La structure du désir ne peut donc qu’être triangulaire : le sujet désirant, le médiateur du désir et l’objet désiré. Girard étudie ce phénomène du désir mimétique à partir de l’œuvre de Stendhal, de Cervantès, de Proust et de Flaubert. Nous avons choisi, pour notre part, pour illustre la notion du désir triangulaire ou mimétique de nous intéresser à un roman de Valery Larbaud : Fermina Marquez. Il nous semble inutile de résumer longuement ce roman, retenons simplement que l’action se déroule dans un collège cosmopolite de la région parisienne. L’auteur peint la vie quotidienne des collégiens qui s’initient à la pratique de la vie. Nous porterons notre attention sur deux personnages : Joanny Léniot et Fermina Marquez, ( lNous porterons notre attention sur deux personnages : Joanny Léniot et Fermina Marquez, ( l’héroïne qui a donné son titre au roman) car ils sont représentatifs du phénomène du désir triangulaire. Tous deux, chacun à sa manière, ont un désir, une ambition, nous dirons une passion. Ce que nous nous proposons dans cet article c’est d’analyser le comportement de ces deux personnages face à cette passion et de voir comment et pourquoi ils décident d’imiter un modèle et les rapports qu’ils entretiennent avec leur désirs. Les personnages larbaldiens sont, à l’image de leur créateur, des liseurs. La lecture devient pour eux, un exutoire nécessaire qui les détourne de l’étroitesse de leur vie. Mais la lecture surtout, devient source de fascination et d’émerveillement et, par là même fournit au lecteur la référence incontournable dont il a besoin. Ces personnages ont la caractéristique commune de refuser d’accepter la réalité et de s’en contenter ; ils sont avant tout des idéalistes qui cèdent facilement à la fascination de l’irréel. Fermina Marquez est consacré à cet âge à la fois merveilleux et terrible de l’adolescence, à l’âge où commence à se développer l’esprit critique. Il s’agit là d’un âge surtout, où le besoin de se forger une identité se déclare avec le plus de ferveur. Ce besoin de se connaître et de donner leurs vraies significations aux choses trouve son lieu de prédiction dans la littérature. 1 1. LENIOT ET CESAR Joanny Léniot veut dépasser sa propre médiocrité et échapper à son destin. Pour cela, il persévère dans ses études pour conserver la prestigieuse et brillante place de premier. Mais cette gloire scolaire ne suffit pas à combler son esprit et ne le satisfait pas pleinement. Jules de Gaultier dans Le Bovarysme, nous dit que : « L’être humain est soutenu par l’instinct de conservation qui lui interdit d’abdiquer et se prendre en mépris. »1 Peut-on, en effet, jamais se mépriser durablement soi- même ? Ce serait mentir que de répondre par l’Ce serait mentir que de répondre par l’affirmative. Pour pallier à cela, Léniot adopte une doctrine puisée dans ses lectures d’histoire romaine et de langue latine. Léniot ne vit qu’à travers ses lectures. Partisan fervent d’un retour à la suprématie impériale romaine telle qu’elle existait sous Constantin et Théodose, son comportement a tendance à copier cet héroïsme d’une époque révolue. Léniot est hanté par de grands projets ; il rêve de voir se former l’empire romain. Alors que ses parents se gonflent d’aise et de fierté en voyant que leur fils met à profit l’instruction qu’ils lui offrent, Léniot, lui, assimile ses succès scolaires à des victoires remportées dans des batailles. Les critiques qualifient souvent Joanny Léniot de petit fils de Julien Sorel où le considèrent comme son cadet. En effet, la même passion et la même ambition les unit. De la même façon que Julien Sorel imite Napoléon à travers le Mémorial de Saint Hélène et les bulletins de la grande armée, Léniot imite César à travers les ouvrages d’histoire de Victor Duruy et d’Horace. A ce phénomène issu de l’expérience romanesque, René Girard donne le nom de « désir mimétique ». Pour lui, l’homme est incapable de désirer par lui seul : il faut que l’objet de son désir soit désigner par un tiers. Ce tiers est représenté par les lectures qui fournissent au personnage un ou plusieurs modèles qui le fascinent dont il imite les désirs. Pour René Girard, on ne peut désirer « selon soi », le désir ne peut être conçut que selon l’autre. L’être humain ne peut désirer que ce qui se trouve déjà désiré par un autre, que Girard appelle le médiateur du désir. Il matérialise ce phénomène par une figure géométrique : le triangle. Sujet désirant Médiateur du désir Objet du désir Autrement dit, nous pouvons déduire de cela que pour René Girard, il n’y a pas de désir spontané. Ainsi, quand apparaît Fermina au collège, Joanny Léniot se reproche de s’être laissé attendrir par sa beauté et il assimile sa situation à celle de César : 1 Jules de Gaultier, Le Bovarysme, Pris, Mercure de France, 1921, pp. 17, 18. 2 « Les plus beaux yeux du monde ne devaient pas le détourner du but admirable. César avait-il une seule fois regardé tendrement les filles ou les femmes des chefs gaulois ? Quand, du haut des remparts, elles le suppliaient, découvrant leur poitrines ; ou bien quand, les soirs de bataille, on les amenait par troupeaux au camp du proconsul, avait-il jamais eu le moindre frémissement de pitié, un instant de désir pour la plus jolie et la plus infortunée ? Cependant, elles étaient complètement à lui ; elles sentaient si bien leur maître dans homme chauve, petit, au visage rasé ! Que de fois Joanny avait imaginé des scènes de ce genre… »2 Autrement dit, le désir de Léniot n’est pas un désir spontané, c’est un désir d’emprunt, celui d’une imitation de César. Ce dernier ne se laisse pas émouvoir à aucun moment et Joanny prends cela pour exemple. César est un modèle à suivre. Le texte le confirme : « Eh bien, lui-même, comme3 César, était destiné à être admiré des hommes et à être aimé des femmes. »4 Léniot veut tout faire pour ressembler à son modèle ; comme lui, il estime que sa destinée est hors de commun ; c’est un être d’exception, altier et dédaigneux qui ne doit pas s’abaisser à aimer mais qui par contre doit susciter l’amour et l’admiration car : Il était indigne pour César d’admirer et d’aimer de retour. La vie de Joanny Léniot est voilée par les vues de son imagination alimentée par les rêves, et bien souvent le narrateur mesure la disproportion qui s’établit entre les désirs des personnages et la réalité, disproportion dont le personnage, lui, n’est pas toujours conscient. Le monde de Léniot n’a plus aucun rapport avec la réalité : le prestige de la Rome antique, celui de César et celui de la langue latine, est quelque chose de surannée qui ne peut avoir force d’exister dans le pensionnat. Mais la passion de Léniot le met dans une sorte d’état second qui recouvre l’intégralité de ses actions réelles. On peut, peut-être, penser que César représente une autre forme de la réalité puisque l’empereur romain a réellement existé. Mais cette réalité se trouve éloignée de la réalité présente, temporellement, disons historiquement. Il est difficile de joindre deux réalités séparées par un intervalle temporel important et au cours duquel bons nombres de choses ont changé, évolué. Chercher à rétablir l’hégémonie romaine semble une hérésie. Et de ce point de vue, César ici revêt l’aspect d’un personnage non plus réel, historique mais fictionnel, tout à fait comme les héros de chevalerie que lisait Don Quichotte. Nous pouvons affirmer qu’entre le personnage et son médiateur se créent des liens d’admiration. Son comportement est dicté par ses lectures. Tout comme les personnages flaubertiens ou stendhaliens, Léniot ne tire pas ses désirs de son propre fond : il les emprunte à ses lectures ; Si Julien Sorel imite Napoléon, et Madame Bovary les héroïnes romantiques, Joanny Léniot a l’imagination remplie de César. Et il substitue aux situations qu’il vit celle de l’antiquité romaine. A l’exemple des succès scolaires que nous avons déjà cités, nous pouvons en ajouté un autre, peut-être plus frappant. Au cours d’un voyage à Rome dont il retrace le souvenir à Fermina, Léniot se rappelle d’avoir obtenu, avec ses parents, une audience au Vatican. Mais son esprit enflammé uploads/Litterature/ copie-de-la-notion-du-desir-triangulaire.pdf
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- Publié le Dec 09, 2021
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