Esquisse pour UNE HISTOIRE DE "L'EXISTENTIALISME" DU MÊME AUTEUR Les philosophi

Esquisse pour UNE HISTOIRE DE "L'EXISTENTIALISME" DU MÊME AUTEUR Les philosophies pluralistes d'Angleterre et d' Amé­ rique. (Alcan, 1920.) Le rôle de l'instant dans la philosophie de Descartes. (Alcan, 1920.) Études sur le Parménide de Platon. (Rieder, 1926.) Le malheur de la conscience dans la philosophie de Hegel. (Rieder, 1930.) Vers le concret. (Vrin, 1932.) Études Kierkegaardiennes. (Alcan, 1938.) Connaître sans connaître, poèmes. (G. L. M., 1938.) Poèmes de circonstance. (Éditions de la revue Confluences, Lyon, 1934.) Epuisé. Poèmes. (Édition de l'Arbre, Montréal, 1945.) Existence humaine et transcendance. (La Bacon­ nière, Neufchâtel, 1944.) Tableau de la philosophie française. (Fontaine, 1946.) JEAN WAHL Esquisse pour UNE HISTOIRE DE "L'EXISTENTIALISME" Suivie de Kafka et Kierkegaard L 'ARCHE 67, rue des Saints-Pères, PARIS Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pa ys. Copyright by l'Arche, éditeurs, I949· ESQUISSE POUR UNE HISTOIRE DE L'EXISTENTIALISME L'AUTRE jour, en sortant du Café de Flore, j'ai rencontré une bande d'étudiants ; l'un d'eux s'est détaché et a dit : « Sûrement, Monsieur est existentialiste »; et j'ai dit : « Non. » Pourquoi ai-je dit non? Je n'ai pas pris le temps de réfléchir, mais j'ai pensé sans doute que les mots en « iste » recou­ vrent ordinairement de vagues généra­ lités. Cette question de l'existentialisme, elle occupe New-York - d'où je viens - comme Paris. Sartre a écrit dans Vogue un article ; Mademoiselle, le journal des jeunes filles de dix-sept ans, me dit un ami, a consacré un article à la littéra­ ture existentialiste ; d'autre part, Marvin - 9 - HISTOIRE DE L'EXISTENTIALISME Farber a écrit dans sa revue que Heidegger constitue un danger international. L'exis­ tentialisme est devenu, non seulement un problème européen, mais un problème mondial. La première difficulté devant laquelle nous nous trouvons, c'est celle qui vient du fait qu'on ne peut définir d'une façon satisfaisante le terme existentialisme. Le mot existence, dans le sens philosophique qu'il a aujourd'hui, a été employé pour la première fois, a été découvert par Kierke­ gaard. Mais peut-on appeler Kierkegaard un existentialiste? Il ne veut pas être un philosophe, et surtout un philosophe d'une doctrine déterminée. Heidegger a parlé dans un de ses cours contre ce qu'il appelle l'existentialisme. Jaspers a affirmé que l'existentialisme est la mort de la philosophie de l'existence. De sorte que nous serions amenés à restreindre le - 10 - HISTOIRE DE L'EXISTENTIALISME terme à ceux qui veulent bien l'accepter, à ce que nous pourrions appeler l'École Philosophique de Paris, avec Sartre, Simone de Beauvoir, Merleau-Ponty. Mais cela ne nous donne pas une définition du terme. Une deuxième difficulté èonsiste en ce paradoxe que la façon dont on parle aujourd'hui de l'existentialisme - dont presque tout le monde parle de lui - fait partie de ce que Heidegger appelle le domaine de « l'inauthentique ». On parle de l'existentialisme ; c'est précisé­ ment ce que Heidegger, et certainement Sartre aussi voudraient éviter, puisqu'il s'agit ici de questions qui ne peuvent pas être à proprement parler des sujets de discours, mais qui doivent être laissées à la méditation solitaire. Et c'est pourtant un fait que nous nous réunissons auj our­ d'hui pour en discuter en commun. - Il - HISTOIRE DE L'EXISTENTIALISME Il s'agit, au début, d'opposer la philo· sophie de l'existence aux conceptions clas· siques de la philosophie telles qu'on les voit, soit dans Platon, soit dans Spinoza, soit dans Hegel. La philosophie, chez Platon, est la recherche de l'essence, parce que l'essence est immuable. Spinoza veut accéder à une vie éternelle qui est béati· tude. Le philosophe, en général, veut trouver une vérité universelle valable pour tous les temps, il veut s'élever au-dessus du devenir, et il opère généralement, ou pense opérer, avec sa seule raison. On pourrait dire que le dernier des philo­ sophes de ce type est Hegel, et c'est lui qui a poussé le plus loin cet effort pour comprendre le monde rationnellement. D'autre part, il est différent des autres par l'insistance qu'il y a chez lui sur le devenir, par l'importance qu'il donne au devenir. Déjà, en ce sens, il n'est plus un - 12 - HISTOIRE DE L'EXISTENTIALISME philosophe du même genre que Platon, ou Descartes, ou Spinoza. Mais néanmoins, il pense qu'il y a une raison universelle. Il nous dit que chacune de nos pensées, chacun de nos sentiments n'a de sens que parce que cette pensée, ce sentiment est relié à notre personnalité qui, eUe-même, n'a de sens que parce qu'elle prend place dans une histoire, dans un état, qu'elle est à une époque déterminée de l'évolu­ tion de l'idée universelle. Pour comprendre n'importe quoi se passant en nous, il faut d'abord aller vers cette totalité qui est nous-mêmes, puis de cette totalité. aller vers la totalité qui est l'espèce humaine, et puis, finalement, vers l'en­ sׯmble des choses qui est l'Idée absolue. C'est contre cette conception que s'est élevé celui qu'on peut appeler le fondateur de la philosophie de l'existence : Kierke­ gaard. A la recherche de l'objectivité qu'il - 13 - HISTOIRE DE L'EXISTENTIALISME trouve chez Hegel, et à la passion et au désir de la totalité, il oppose l'idée que la vérité est dans la subjectivité, c'est-à-dire que c'est par l'intensité de mon sentiment que j'atteindrai une existence véritable. Kierkegaard se refuse à être considéré comme une partie d'un tout; le considérer comme un simple paragraphe dans l'en­ semble du système du monde, c'est le nier. On pourrait dire, écrit-il, que je suis le moment de l'individualité, mais je me refuse à être un paragraphe dans un sys­ tème. Au penseur objectif, il oppose donc le penseur subjectif, ou encore celui qu'il appelle l'individu, l'unique. A force de connaissance, affirme-t-il, on a oublié ce que c'est qu'exister; son principal ennemi, c'est celui qui expose un système, c'est le professeur. li y a des choses qui ne peuvent pas être comprises par un savoir; l'individu existant, tel qu'il va le définir, - 14 - HISTOIRE DE L'EXISTENTIALISME c'est celui qui se rapporte à soi, qui a un intérêt infini en lui-même et dans sa des­ tinée. De plus, cet individu existant se sent toujours en devenir, a toujours devant lui une tâche ; et, appliquant cette idée au christianisme, Kierkegaard dit : on n'est pas chrétien, on le devient. Il s'agit là d'un effort continu. En troisième lieu, il sera passionné, passionné de pensée passionnée, il sera inspiré, il sera une sorte. d'incarnation de l'infini dans le fini. Cette passion qui l'animera - et c'est le qua­ trième caractère que nous allons mettre en lumière - c'est ce qu'il appellera la pas­ sion de la liberté. Les idées de choix et de décision ont une importance de premier plan dans la philosophie de Kierkegaard; et cette décision sera toujours un risque, l'existant se sentira environné ׭'incertitude et lui-même plein d'incertitude, mais il décidera. Or ce que nous venons de dire - 15 - HISTOIRE DE L'EXISTENTIALISME sur la façon d'être et de réfléchir de l'exis­ tant, no׮s donne en même temps l'objet de sa pensée, car vouloir d'une telle façon passionnée et infinie, ce ne peut être que vouloir l'infini : on ne peut vouloir infini­ ment que l'infini. Ici, par conséquent, le comment de la recherche nous donne le but de la recherche ; et puisque nous sommes en contact avec cet infini, nos décisions seront toujours des décisions entre le tout et le rien, comme le seront les décisions du Brand d'Ibsen. Sous l'in­ fluence de ces passions et de ces décisions l'existant travaillera sans cesse à se sim­ plifier, à revenir vers l'originaire, vers l'authentique. Mais jusqu'ici nous avons insisté sur­ tout sur le côté subjectiviste de la pensée de Kierkegaard. Or pour lui, comme, nous le verrons, pour ses successeurs, il n'y a de subjectif que par un certain rapport - 16 - HISTOIRE DE L'EXISTENTIALISME avec un objet, il n'y a d'existence que par un certain rapport avec un être. L'exis­ tence du chrétien est contact avec l'être, dit-il en 1854 dans son Journal. Il s'agit pour lui de se sentir toujours devant Dieu, de réintégrer la notion du devant-Dieu dans la pensée chrétienne. Mais se sentir devant Dieu, c'est avant tout se sentir pécheur, c'est par le péché que l'on entre dans la vie religieuse, et particulièrement par la conscience du péché. Exister c'est donc être pécheur; et d'autre part exister c'est la plus haute valeur, de sorte que !"existence est à la fois la plus haute valeur et le péché. Mais une fois entrés dans la sphère religieuse, nous avons encore à accomplir une sorte de voyage spirituel pour aller d'une religion qui reste proche, de la· philosophie à la véri­ table religion, qui est un scandale pour la raison, qui est l'affirmation de l'incar- -. 17- 2 HISTOIRE DE L'EXISTENTIALISME nation en tant qu'elle est l'idée que l'éter­ nel est né à un certain moment, a pris place en un lieu et en une heure dans l'histoire. L'individu existant sera donc celui qui aura cette intensité de sentiments causée uploads/Litterature/ jean-wahl-esquisse-pour-une-histoire-de-lexistentialisme-suivie-de-kafka-et-kierkegaard.pdf

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