JUDA HALLÉVI LE KUZARI APOLOGIE DE LA RELIGION MÉPRISÉE Traduit du texte origin
JUDA HALLÉVI LE KUZARI APOLOGIE DE LA RELIGION MÉPRISÉE Traduit du texte original arabe confronté avec la version hébraïque introduit et annoté par CHARLES TOUATI Collection «Les Dix Paroles» VERDIER isbn : 978-2-86432-814-8 issn: 0243-0541 Ce volume est publié dans la collection Bibliothèque de l’École des Hautes Études Section des sciences religieuses volume C 11200 Lagrasse www.editions-verdier.fr Cette édition a reçu le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah À la mémoire lumineuse de Mad 29 décembre I927 - 29 juillet I993 INTRODUCTION Ayant vécu en Espagne chrétienne et en Espagne musulmane, en butte aux humiliations de la Croix et du Croissant, témoin de la diffusion panni les Juifs de la philosophie gréco-arabe dont il reconnaît et déplore le pouvoir de séduction et les ravages qu'elle provoque, Juda Hallévi, l'un des plus grands poètes de l'Age d'or, achèvera vers la fin de sa vie un ouvrage et accomplira une action d'éclat qui lui assureront une place de premier plan dans le judaïsme. Défendant dans un livre, devenu clas- sique, sa foi contre la philosophie, le christianisme et l'Islam, il tentera, contrairement à la plupart des penseurs juifs du Moyen Age, de mettre en lumière la spéciftté de la religion, qui cesse d'être pour lui la version populaire allégorisée du système de Platon ou d'Aristote, et de fournir une interprétation de l'existence juive sur sa terre ancestrale et dans l'Exil. Ayant également compris que «ni en Orient ni en Occident il n'existe [pour son peuple] un lieu d'espoir en qui [il] puisse se fier» l, il s'arrache, non sans déchirement, à l'Espagne, sa terre natale, et bravant tous les dangers, il part pour Sion, qu'il a chantée en des vers émouvant (<<les Sionides»). Mais sa mort en Egypte fait éclore la légende. 1. JUDA HALLEVI Né vers 1075 à Tudéla (à l'époque ville musulmane)2, Juda Hallévi descend vers le Sud en Andalousie pour y compléter ses études; dans ce milieu de haute culture, il est consacré grand poète, et de nos jours encore certaines de ses compositions sont toujours récitées dans les synagogues. Après un séjour à Grenade et à Séville, il se rend en Espagne chrétienne, à Tolède, où il exerce la médecine. Après les déchaînements contre les Juifs en 1109, il s'installe à Cordoue. En 1140, il achève le livre qui lui vaudra la gloire, Le livre de la réplique et de la preuve en faveur de la religion méprisée (ou, d'après une autre version, Le livre de l'argument et de la preuve pour faire triompher la religion méprisée), écrit en arabe et communément appelé Le Kuzari. La mise en scène, dans cet ouvrage en forme de dialogue, s'inspire de la conversion 1 Voir Hayyim SCHIRMANN, La poésie hébraïque en Espagne et en Provence (en hébreu), T. I., Jérusalem-Tel-Aviv, 1954. p. 493, poème 211, vers 15. 2 Elle ne sera conquise par Alphonse le< qu'en 1115. VIII LE KUZARI APOLOGIE DE LA RELIGION MEPRISEE des Khazars au judaïsme au VIIlème siècle3. Le roi des Khazars ou Kuzari, tourmenté par le problème religieux, interroge tour à tour un philosophe, un théologien chrétien et un théologien musulman. Déçu par leurs réponses, il se voit obligé de faire appel à un docteur de la minorité bafouée et vilipendée, un rabbin, qui finit par le convaincre; sur quoi le monarque se convertit au judaïsme et en approfondit la connaissance avec l'aide de ce maître. En même temps qu'il terminait son livre, l'auteur préparait son départ pour la Terre sainte. La mort l'empêchera de fouler le sol sacré: il décède pendant son escale en Egypte, au mois d'ah (juillet-août) 1141 à Alexandrie4. On racontera plus tard qu'il est mort à Jérusalem sous les sabots d'un cheval arabe alors qu'il baisait la terre d'Israël en récitant une de ses Sion ides. II. ANALYSE DU KUZARI 1) Critique de la philosophie D'après Juda Hallévi, la philosophie nie toute possibilité de dialogue entre l'homme et Dieu. Certes, elle est parvenue à démontrer l'existence d'un Premier Moteur impersonnel (qu'il appelle 'Elohim, «Dieu», nom commun), mais elle est foncièrement incapable d'accéder jusqu'au Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob (dont le nom propre est JHWH). En fait, elle ne comprend pas le phénomène religieux. Cependant, il n'est pas question de récuser la raison. Juda Hallévi affIrme avec force que le judaïsme refuse l'irrationnel. Mais il est très conscient des limites de la raison raisonnante des philosophes: déjà la physique d'Aristote défie le bon sens; une bonne part de sa métaphysique et de celle de ses secta- teurs arabes est ridicule. Il serait vain de réfuter la philosophie en usant des mêmes méthodes ratiocinantes. Il faut partir de l'Histoire. 2) Israël Dieu a fait irruption dans l'Histoire: à tout un peuple, issu d'hommes exceptionnels dotés d'une faculté spéciale supérieure à la faculté d'intel- lection, la faculté divine, et de ce fait apte à Le percevoir, il S'est révélé 3 Voir D.M. DUNLOP, History of the Jewish Khazars, 1954 et id., «Khazars» dans Encyc/opaedia Judaica, Jérusalem, 1973, volume X, colonne 944-952. 4 Voir S.D. GOITEIN, «The Biography of Rabbi Judah hal-Levi in the Iight of the Cairo Geniza documents», in Proceedings of the American Academy for Jewish Research, XXVIII, 1959, pages 41-56. INTRODUCTION IX sur le mont Sinaï. Cette théophanie est un fait irréfutable parce que les témoins en furent des centaines de milliers d'hommes à l'esprit critique aiguisé, qui avait été élevés en Egypte dans l'idée que Dieu ne peut adresser la parole à des mortels, et qui ne s'en laissaient aucunement accroire. La tradition ininterrompue, qui vaut l'expérience sensible, a transmis la mémoire de ce miracle aux générations ultérieures. L'histoire miraculeuse de la communauté d'Israël constitue une autre preuve. Ce peuple qui n'est soumis à aucun déterminisme sociologique et dont l'état est toujours lié à sa relation, serrée ou relâchée, avec Dieu prouve sur- abondamment qu'il existe un Dieu qui dialogue avec l'homme, exerce sur lui sa Providence et accomplit des prodiges. Si l'on élimine Israël, on supprime le seul argument irrécusable qu'on puisse avancer en méta- physique. Aussi bien le christianisme et l'Islam se servent-ils d'Israël comme du seul argument qui démontre que Dieu a parlé à l'homme. Aux temps glorieux où le Temple existait et où Israël vivait sur sa terre, les prophètes, élite de l'élite, recevaient des messages divins, et la tota- lité des sciences vraies étaient cultivées par ce peuple. Mais l'Exil l'en a dépouillé tandis que les nations du monde se les appropriaient, les fai- sant passer pour leurs. De ces richesses intellectuelles il n'est plus resté que le «Livre de la Création» (Sefer Ye~ira), que Juda Hallévi comme tout le Moyen Age attribue à Abraham, et qu'il se met en devoir d'expli- quer par allusions. Il trouve également des vestiges de ces sciences à peu près inégalées dans la Mishna et le Talmud. 3) L'union avec Dieu La philosophie et les religions aspirent à rapprocher l 'homme de Dieu. Mais on ne s'attache à Dieu que grâce aux moyens révélés par Dieu lui-même: les préceptes de la Loi mosaïque, correctement interpré- tés par la chaîne ininterrompue des docteurs qui se sont succédé depuis Moïse. AI' intérieur même du judaïsme, la secte des Karaïtes qui préconise la libre exégèse personnelle de la Bible se morcelle en une multiplicité de groupes et compromet l'efficace d'un système organique de règles dont l'accomplissement est destiné à faire descendre sur l'homme l'influx divin. La philosophie vénère la Cause Première; mais il ne s'agit là que d'une simple politesse à son égard qui ne coûte rien. Le christianisme et l'Islam ont prétendu imiter le judaïsme: mais ils n'en sont que des contrefaçons. Ils raillent l 'humiliation et les souffrances des Juifs sans se rendre compte qu'ils exaltent, chez le fondateur de leur propre religion et ses premiers adeptes, précisement ces humiliations et ses souffrances. Ils prétendent que l'homme est sauvé par la prononcia- tion d'une formule - un credo -, qui le hisse du rang des animaux à celui des êtres immortels, même s'il ne comprend rien à ce qu'il dit. x LE KUZARI APOLOGIE DE LA RELIGION MEPRISEE Pour le Juif, le service de Dieu est un engagement total qui exige des actions pénibles et de grands sacrifices mais qui lui procure dès ici-bas cette félicité que les deux autres religions promettent à leurs fidèles dans l'autre monde. Cependant, en dépit des jugements sévères que Juda Hal- lévi porte sur le christianisme et l'Islam, il n'en pense pas moins qu'ils contribuent à préparer l'avènement du Messie. 4) Le judaïsme dans l'Exil Pour le moment, les Juifs exilés, sans Temple, sans culte sacrificiel, sans prophète, vivent humiliés, vilipendés, persécutés comme le Servi- teur souffrant d'Isaïe (chap. 52, 13-53), mais ils n'en restent pas moins liés à Dieu par l'alliance de la circoncision et l'alliance du shabbat. Certes, en proférant un seul mot, le credo de leurs adversaires, chrétiens et musulmans, ils pourraient facilement rejoindre la majorité et échapper à leur humiliation; mais ils ne le font pas par fidélité à leur Dieu qui ne peut manquer de uploads/Litterature/ le-kuzari-extrait.pdf
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- Publié le Mai 10, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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