LAURENT JENNY Laurent Jenny Belin | « Po&sie » 2018/3 N° 165-166 | pages 230 à

LAURENT JENNY Laurent Jenny Belin | « Po&sie » 2018/3 N° 165-166 | pages 230 à 232 ISSN 0152-0032 ISBN 9782410014099 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.inforevue-poesie-2018-3-page-230.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Belin. © Belin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Je te fais écho depuis un cran générationnel en-dessous (je suis né en 1949), qui cependant t’a côtoyé de près (on fut ensemble à « Vincennes » dans « Le département des poètes », moi jeune homme de la génération 68, extrême- ment inaccompli, et toi déjà poète important, dans ton premier poste uni- versitaire). Et je repars non pas de là, mais des années 30 qui ont amorcé ta réflexion. Paradoxalement, bien qu’elles soient plus proches de toi historiquement, il se pourrait que, brièvement, j’en aie été plus contemporain que toi. C’est à la fin des années 60 que ressurgit le surréalisme, plus ou moins mis au ban par la géné- ration d’après-guerre. C’est dans la décennie 70 qu’on publie les Œuvres com- plètes de Bataille et que Denis Hollier édite Le Collège de sociologie. Mais ce retour des années 30 vient fonder en théorie les derniers feux de la transgression qui illuminent le ciel de 68, puis s’épuisent. Assez vite, on décèle l’équivoque des jeux d’apprenti-sorcier de Bataille et les fantasmagories politiques périlleuses de Caillois. Ce dernier me devient bientôt un simple objet de curiosité par la bizar- rerie de ses spéculations sur le mimétisme animal et les « sciences diagonales ». Fausse piste ? Pas tout à fait cependant pour les générations suivantes. La cri- tique de l’idéalisme menée par Bataille et le travail de la revue Documents sur l’informe vont inspirer toute l’œuvre de Georges Didi-Huberman et sa réflexion sur l’image jusqu’à aujourd’hui. Et celui qui me paraît avoir eu le plus de longé- vité féconde dans le siècle, c’est Marcel Mauss, pas le Mauss bataillien de L’essai sur le don, mais celui de la Théorie de la magie qui se prolonge dans L’anthropologie structurale de Lévi-Strauss, et inspire à la fin des années 70 le grand livre de Jeanne Favret-Saada, Les Mots, la mort, les sorts, où la magie apparaît comme une rela- tion structurale dé-exotisée et éclairée par la psychanalyse. Il y a enfin un dernier Mauss, plus discret, celui des « Techniques du corps », qui nourrit encore aujourd’hui une réflexion anthropologique élargie sur les « manières d’être » et les « formes de vie » chez des plus jeunes, comme Marielle Macé. Si, à présent, je change d’angle de vue, non plus l’examen du « bain » général dans lequel je trempe avec ceux qui ont 20 ans en 68, si j’essaye de reconstituer la façon dont, pour ma propre gouverne, j’essaye de me forger une pensée de la littérature à la fin des années 80, je découvre un autre enchevêtrement généra- tionnel non moins complexe. Ce qui m’est directement contemporain ce sont les débuts de la « poétique » qui secoue l’ennui des études littéraires sorbonnardes. Mais, bien que participant aux débuts de Poétique, je m’éloigne très vite de son formalisme. Je rêve de tout autre chose : une synthèse de phénoménologie et de poétique. Je découvre un article de toi dans le no 269 de Critique (1969) qui me 230 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Ecole Normale Supérieure - Paris - - 129.199.59.249 - 03/09/2019 09:20 - © Belin Document téléchargé depuis www.cairn.info - Ecole Normale Supérieure - Paris - - 129.199.59.249 - 03/09/2019 09:20 - © Belin met sur la voie et me servira longtemps de boussole : « Vers une théorie générali- sée de la figure » et je lis avec passion le Merleau-Ponty de La Prose du monde (1969). De tout cela, je tire La Parole singulière (1990), que tu publies, et qui va plutôt à contre-courant des approches rhétoriciennes et sémioticiennes alors en vogue. De fait je suis un peu seul dans cette époque des études littéraires, et il faudra attendre un certain désenchantement du formalisme pour que La Parole singulière fasse son modeste chemin. En revanche, et pour en venir à la question de la négativité que tu évoques, j’ai certaines distances avec toi. C’est d’abord évidemment que je ne suis pas phi- losophe. Bien sûr, j’en lis, mais je me méfie de Heidegger, je ne connais guère Hegel. Et je n’entre que dans certains textes de Derrida, surtout ceux du début, alors que son œuvre et ton amitié avec lui te passionnent. Pour ma part, je ren- contre la négativité dans un champ nourri de philosophie mais nettement plus littéraire. Dans les années 70, je suis passé par la « machine Blanchot ». Sa puis- sance rhétorique de fascination, ses reformulations renversantes de la pensée d’autrui, m’ont sidéré. Je suis entraîné, un moment par toute l’ambiguïté du dis- cours de Blanchot sur la « terreur ». J’y cède puis j’y résiste : derrière l’emprise de Blanchot sur toute la seconde moitié du 20e siècle français, j’éprouve le poids de ce que je ressens comme une théologie de la négativité partout palpable. Et voici à nouveau que les générations se mélangent. Car ce qui met sur la voie d’une résistance, c’est un anachronique pour moi : c’est le Paulhan des Fleurs de Tarbes ou la terreur dans les lettres (mort en 1968), qui tout d’un coup me devient contemporain. Il y aurait beaucoup à dire de Paulhan, de son obscurité. Elle tient à beaucoup de choses, il me semble, à une certaine pente mystique per- sonnelle peut-être, mais essentiellement à l’inadéquation de sa linguistique avec les problèmes qu’il se pose. Comme le montre L’expérience du proverbe, Paulhan essaye de penser avec une linguistique pré-saussurienne des questions qui seront abordées au-delà de Saussure par la pragmatique à partir d’Austin. Donc, on n’y comprend rien. Mais, c’est depuis la lunette des années 80 où se développe la pragmatique que son effort pourrait prendre sens. La dénonciation de la « ter- reur » en revanche est, dans le même esprit, une mise en question assez claire (dans les premières pages…) de la négativité littéraire. Blanchot, avec un diabo- lique talent, dans son compte rendu des Fleurs de Tarbes, « Comment la littéra- ture est-elle possible ? » (1941, repris dans Faux pas), parvient à retourner complètement le sens de la « terreur » paulhanienne et à en faire le lieu incon- tournable et impossible de la littérature. Paulhan ne s’en aperçoit pas tout de suite, mais le comprend dès 1945, et dès lors ne le pardonne plus à Blanchot. Quoi qu’il en soit, je m’attaque pour ma part à un démontage de la négativité littéraire sous la figure de la « révolution poétique » qui couvre un siècle et demi d’avant-gardisme de Hugo à Tel Quel en passant par les surréalistes et Blanchot. C’est toi qui publies Je suis la révolution en 2008. Dès lors, je m’attache plutôt à chercher les bases d’une pensée, qui ne nie pas toute négativité de la littérature et de l’art, mais qui cherche à démythologiser cette négativité. J’en trouve beau- coup d’éléments dans la somme que constitue Les Célibataires de l’art, Pour une esthétique sans mythes, de Jean-Marie Schaeffer (1996) et la critique de ce qu’il désigne comme « théorie spéculative de l’art ». Et je me tourne vers une pensée 231 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Ecole Normale Supérieure - Paris - - 129.199.59.249 - 03/09/2019 09:20 - © Belin Document téléchargé depuis www.cairn.info - Ecole Normale Supérieure - Paris - - 129.199.59.249 - 03/09/2019 09:20 - © Belin personnelle du vécu esthétique, qui est passée par John Dewey, mais veut donner chair et précision à sa généralité un peu vague par l’écriture « poétique » (requé- rant donc une précision sensible que seule l’écriture peut assurer) d’expériences précises et quasi autobiographiques. Voilà qui semble m’avoir un peu éloigné de tes préoccupations et de ta ques- tion finale mais ce n’est qu’en partie. D’abord parce que je te retrouve dans la préoccupation éco-poétique. La question de « l’habitation poétique du monde », pour uploads/Litterature/ jenny-laurent-laurent-jenny-ge-ne-rations.pdf

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