Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie 48 | 2013 Varia Leibniz dans l’Enc

Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie 48 | 2013 Varia Leibniz dans l’Encyclopédie Khanh Dao Duc Édition électronique URL : http://rde.revues.org/5036 ISSN : 1955-2416 Éditeur Société Diderot Édition imprimée Date de publication : 10 décembre 2013 Pagination : 123-142 ISBN : 978-2-9520898-6-9 ISSN : 0769-0886 Référence électronique Khanh Dao Duc, « Leibniz dans l’Encyclopédie », Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie [En ligne], 48 | 2013, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 02 janvier 2017. URL : http://rde.revues.org/5036 ; DOI : 10.4000/rde.5036 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. Propriété intellectuelle Khanh DAO DUC Leibniz dans l’Encyclopédie Mathématicien, philosophe, physicien ou encore juriste de pre- mier ordre, Leibniz ne pouvait que laisser une trace importante dans l’Encyclopédie, en dépit d’une perception alors encore partielle de son œuvre. Mais cette partialité rend la question de sa présence d’autant plus intéressante, et à même de rendre compte du travail des encyclo- pédistes, selon la double perspective suivante : pour Leibniz, voir comment l’Encyclopédie conçoit et traduit sa pensée ; et pour l’Ency- clopédie, voir comment l’œuvre de Leibniz peut s’inscrire dans un projet de présentation des connaissances humaines, selon des métho- des de travail, une utilisation de sources, et une épistémologie propre à ses différents auteurs. En faisant la liste des articles de l’Encyclopédie relatifs à Leibniz, trois auteurs se dégagent par une contribution importante, dont les deux éditeurs Diderot et D’Alembert. Le troi- sième auteur est Formey, dont la contribution embrasse des concepts fondamentaux de la métaphysique et la physique leibniziennes. Après s’être intéressé à la question des sources de l’Encyclopédie, l’on pourra mettre en évidence pour chacun d’entre eux une appréhension de Leibniz et une conception de l’Encyclopédie singulières, rendant compte de la pluralité et l’hétérogénéité qui la caractérisent. Tandis que Diderot met de côté les considérations scientifiques de Leibniz et s’approprie ses thèmes philosophiques sous l’angle de son propre éclectisme, la démarche de Formey s’inscrit, à l’inverse, à la rencontre de la métaphysique et la physique, dans le cadre de la diffusion du système de Christian Wolff. Le modèle épistémologique de D’Alem- bert nourrit encore une autre approche de son travail scientifique, inscrite dans une Histoire des Mathématiques dont l’Encyclopédie donne les bases. Une triple vision, qui témoigne tout à la fois de la richesse de l’œuvre du philosophe et scientifique allemand comme de celle de l’Encyclopédie. Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 48, 2013 La connaissance de Leibniz au XVIIIe siècle : la question des sources dans l’Encyclopédie Dans l’Encyclopédie, on peut dénombrer un ensemble de 133 articles traitant de Leibniz, bien au-delà de la liste donnée par les tables de Mouchon sur le leibnitzianisme. Une analyse de l’ensemble de ces articles laisse dans un premier temps penser à une approche assez complète de la plupart de ses travaux, que ce soit dans le domaine des mathématiques, de la mécanique, de la métaphysique, de la philoso- phie, de l’histoire ou de l’histoire naturelle. Dans le détail, l’évocation de Leibniz se fait cependant selon des modalités et des sources diverses. Au centre de l’article LEIBNITZIANISME de Diderot, cette question des sources est directement abordée : Ceux qui voudront connoître plus à fond la vie, les travaux & le caractere de cet homme extraordinaire, peuvent consulter les actes des savans, Kortholt, Eckard, Baringius, les mémoires de l’académie des sciences, l’éloge de Fontenelle, Fabricius, Feller, Grundmann, Gentzkennius, Reimann, Col- lins, Murat, Charles Gundelif-Ludovici. (Enc., IX, 372a) Ce passage reprend l’Historia Philosophia criticae de Brucker1, dont Diderot s’inspire pour ses articles sur l’Histoire de la Philosophie. Par ailleurs, notons qu’il n’a sans doute pas pu lire (selon leur disponibilité de l’époque) les références qu’indique Brucker, traduisant une tendance générale aux emprunts assez libres, à la non-hiérarchie des sources, et à la non-prétention à l’exhaustivité, d’autant que l’article n’est pas signé. S’il est donc difficile de considérer l’Encyclo- pédie comme un pont méthodique et rigoureux vers l’œuvre historio- graphique leibnizienne du XVIIIe siècle, notons néanmoins qu’un nombre important d’articles reprennent certaines sources de façon systématique : c’est notamment le cas des Institutions de Physique de la Marquise du Châtelet par Formey ou encore de l’œuvre de Jean Bernoulli par D’Alembert, que nous étudierons plus en détail. La prépondérance de ces sources indirectes sur les sources directes est, à cet égard fondamentale, puisqu’elle traduit une vision de l’œuvre 1. Brucker Johann Jakob (1696-1770) fut professeur d’histoire de la philosophie à Iéna, puis pasteur de l’église de Saint-Ulric à Augsbourg, et fut élu membre de l’Académie de Berlin. Il est auteur de l’Historia critica philosophiae a mundi incunabulis ad nostram usque aetatem deducta (Leipzig, 1741-1744 et 1767, 6 volumes in 4), ouvrage où les opinions des philosophes sont exposées et jugées avec une certaine liberté. L’auteur en donna lui-même un abrégé sous le titre d’ Institutiones historiae philososo- phicae, en 1747 et 1756, que reprend Diderot dans l’Encyclopédie. Voir Jacques Proust, Diderot et l’Encyclopédie, Paris, A. Colin, 1967 p. 255-293. 124 khanh dao duc leibniziennesousleprismed’unautreauteur,dontl’interprétationpeut traduire une réelle divergence avec l’œuvre initiale, et constitue un indi- cateur important de la diffusion de Leibniz dans l’Encyclopédie. Dide- rot mentionne en effet, toujours dans l’article LEIBNITZIANISME : Il s’en manque beaucoup que nous ayons parlé de tous ses ouvrages. Il en a peu publiés séparément ; la plus grande partie est dispersée dans les jour- naux & les recueils d’académies ; d’où l’on a tirée sa protogée, ouvrage qui n’est pas sans mérite, soit qu’on le considère par le fond des choses, soit qu’on n’ait égard qu’à l’élévation du discours. (Enc., IX, 373a) Il est à noter que Diderot ne donne ainsi jamais de citation littérale, ni le titre exact d’un ouvrage de Leibniz, tout comme les allusions à l’œuvre bibliographique de Leibniz sont rares dans l’Ency- clopédie. Nous avons noté la Protogée, citée par le chevalier de Jau- court dans les articles LICORNE et MONTAGNES, ou encore la Théodicée, indiquée comme référence à l’article MAL (seul livre de Leibniz publié et connu à l’époque, en dehors des très rares ayant pu avoir la Monadologie entre les mains, dont Diderot pour la version latine). Des textes philosophiques et métaphysiques de Leibniz dispo- nibles à cette époque, on pouvait, comme il est mentionné dans l’article de Diderot, compter sur une œuvre éparpillée dans les journaux (comme les Acta Eruditorum que Diderot traduit quelquefois) ou les recueils d’académies. Pour ce qui est des ouvrages en France, selon Belaval2, la Théodicée était l’œuvre la plus accessible par ces multiples éditions : 1710, 1712, 1714, et on peut noter que le chevalier de Jaucourt, contributeur important à l’Encyclopédie, écrit une vie de Leibniz, ajoutée à l’édition de 1734 à Amsterdam, puis augmentée en 1747 et en 1760 à Lausanne. En 1717 (Londres), la correspondance entre Leibniz et Clarke sur l’espace et le temps, est très lue, (et Jacob Bruckner donnera, en 1744, le résumé analytique qu’utilise Diderot). Des Maizeaux, avait aussi donné, à Amsterdam, en 1720, un Recueil de diverses pièces sur la Philosophie, célèbre au XVIIIe siècle, où Diderot a pu lire les Principes de la Nature et de la Grâce. Cependant, de nombreux textes importants tels que les nouveaux Essais sur l’Enten- dement Humain ne seront édités que tardivement durant le XVIIIe (en 1765, d’où l’impossibilité pour Diderot d’y avoir eu accès au moment de la rédaction de l’article). Et il faut compter aussi sur son immense correspondance, d’une importance majeure (sur les monades notam- ment, la correspondance avec des Bosses sur le vinculum substantiale) 2. Y . Belaval, Etudes Leibniziennes, de Leibniz à Hegel, Paris, Gallimard, 1976 p. 232-233. leibniz dans l’ENCYCLOPÉDIE 125 dont on ne dispose pas encore entièrement, et à laquelle l’accès est très difficile, si bien que lorsque Diderot traduit la seconde partie du texte de Brucker du latin vers le français, il traduit en vérité une traduction d’une lettre en français de Leibniz à Huygens3. Par conséquent, Leib- niz est vu au XVIIIe siècle de façon biaisée, généralement par Voltaire, Wolf, Bernoulli ou la marquise du Châtelet ¢ et leur trace est bien présente dans l’Encyclopédie comme nous le verrons. L’article LEIB- NITZIANISME traduit ce problème dans sa conclusion : Jamais homme peut-être n’a autant lu, autant étudié, plus médité, plus écrit que Leibnitz ; cependant il n’existe de lui aucun corps d’ouvrages ; il est surprenant que l’Allemagne à qui cet homme fait lui seul autant d’honneur que Platon, Aristote & Archimede en font ensemble à la Grece, n’ait pas encore recueilli ce qui est sorti de sa plume. (Enc., IX, 379b) Dans un tel contexte, la présence de Leibniz dans l’Encyclopédie est principalement une présence du leibnizianisme, à travers différents auteurs. L’étude des différents articles qui suit n’est donc pas établie selon un rapport de l’auteur à Leibniz, mais bien d’un auteur à une source. C’est dans ce rapport singulier que se dessinent les enjeux épistémologiques de l’Encyclopédie. Diderot lecteur et traducteur de Leibniz : illustration de la philo- sophie éclectique Eu égard à la méconnaissance des œuvres de Leibniz à cette époque, il est incontestable que l’Encyclopédie uploads/Litterature/ khanh-dao-duc-leibniz-dans-l-x27-encyclopedie.pdf

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