Baroque 12 | 1987 Le discours scientifique du Baroque L’Ars Magna Lucis et Umbr

Baroque 12 | 1987 Le discours scientifique du Baroque L’Ars Magna Lucis et Umbrae d'Athanase Kircher. Néoplatonisme, hermétisme et « nouvelle philosophie » Catherine Chevalley Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/baroque/584 DOI : 10.4000/baroque.584 ISSN : 2261-639X Éditeur : Centre de recherches historiques - EHESS, Éditions Cocagne Édition imprimée Date de publication : 15 janvier 1987 ISSN : 0067-4222 Référence électronique Catherine Chevalley, « L’Ars Magna Lucis et Umbrae d'Athanase Kircher. Néoplatonisme, hermétisme et « nouvelle philosophie » », Baroque [En ligne], 12 | 1987, mis en ligne le 30 juillet 2013, consulté le 10 juin 2020. URL : http://journals.openedition.org/baroque/584 ; DOI : https://doi.org/10.4000/baroque. 584 Ce document a été généré automatiquement le 10 juin 2020. © Tous droits réservés L’Ars Magna Lucis et Umbrae d'Athanase Kircher. Néoplatonisme, hermétisme et « nouvelle philosophie » Catherine Chevalley Communication 1 En 1646 le Père Jésuite Athanase Kircher publie à Rome son septième ouvrage, intitulé Ars Magna Lucis et Umbrae1. Affirmer que ce livre est l’un des exemples les plus frappants du Baroque dans le domaine des sciences serait une platitude, tant il est clair que le seul nom de Kircher attire le qualificatif de « baroque » sous la plume de tous ses commentateurs. Pourtant, à s’efforcer ne serait-ce que de justifier ce jugement, de l’expliquer et d’en argumenter la valeur, on est conduit à des questions embarrassantes. Ainsi, pourquoi voir dans l’Ars Magna un « discours scientifique », ou inversement pourquoi, comme cela a été fait souvent, lui dénier cette qualité ? Quels seront ici les critères du « scientifique » ? Pourquoi dire, en outre, que l’on se trouve en présence d’un « discours baroque » ? Où est exactement le baroque, dans un tel livre ? Quel lien, enfin, pourrait-on éventuellement trouver entre ce caractère scientifique et ce caractère baroque ? Toutes ces questions mènent finalement à une seule : de quoi parle-t-on lorsque l’on commente le style d’une œuvre scientifique ? 2 Poser ces interrogations comme lignes directrices de l’étude résulte du choix d’une lecture appropriée aux difficultés que présente l’œuvre de Kircher. À l’égard d’un livre comme l’Ars Magna, qui en dépit de sa grande célébrité dans la seconde moitié du XVIIe siècle n’a cependant enrichi l’optique d’aucune découverte fondamentale, il existe en effet deux approches possibles. La première est celle d’une lecture historique, ou même sociologique, qui mettrait l’accent sur l’importance de l’œuvre de Kircher dans la diffusion des idées scientifiques à la fin du XVIIe siècle, et dan la constitution d’une L’Ars Magna Lucis et Umbrae d'Athanase Kircher. Néoplatonisme, hermétisme et ... Baroque, 12 | 1987 1 « culture enseignée » dont on sait bien le rôle considérable qu’elle joue à toutes les époques. La seconde, celle retenue ici, consiste plutôt à mettre en évidence les relations que le livre de Kircher tisse entre un contenu scientifique, une certaine philosophie de la nature et une rhétorique, et à se demander si ces relations forment système. Ces deux approches ne sont pas antagonistes et devraient même être menées de front si l’on prétendait à une étude d’ensemble de l’œuvre de Kircher. Si l’on se limite ici à la seconde, c’est que l’originalité essentielle et rarement aperçue de l’Ars Magna tient dans sa cohérence stylistique bien davantage que dans ce qui en fait une curiosité historique. 3 Pourquoi parler de cohérence stylistique, et en quel sens ? On propose, dans l’étude qui suit, de considérer que l’expression de style appliquée à une œuvre d’orientation scientifique désigne le processus, le travail individuel, variable selon chaque savant, par lequel un discours est constitué dans son rapport avec certains objets privilégiés. Le style scientifique serait ainsi l’ensemble des relations permettant de désigner clairement les objets qui doivent être pensés par l’analyse scientifique, et de créer, par disposition et arrangement, des significations nouvelles. Peut-on, cependant, parler de significations nouvelles à propos de l’œuvre de Kircher ? On suppose ici que cela est possible, à condition d’admettre qu’il peut y avoir style sans que nécessairement de nouveaux objets, ou un nouveau symbolisme, apparaissent. La nouveauté peut en effet résider dans une modification interne presque insensible de l’organisation du discours scientifique et du rôle donné à ses références de vérité. Une modification de ce genre se produit dans l’Ars Magna, et cela conduit à critiquer l’idée courante selon laquelle on se trouverait en présence d’un discours désordonné et incomplet, d’une sorte d’écho attardé de la Renaissance dans la seconde moitié du siècle. Mais de quoi est faite la cohérence du livre, si elle n’est induite ni par une découverte de première importance ni par l’invention d’un langage nouveau ? Il est certain que l’Ars Magna est, pour le lecteur moderne, un texte énigmatique. Une lecture attentive y révèle pourtant un contenu scientifique d’une grande actualité, couronné par un exposé philosophique néoplatonicien et hermétique, et met en évidence l’unité et la cohésion de la composition du livre. À mesure que cette lecture se poursuit, on voit se dégager une conception précise de la science qui impose l’usage de certains artifices rhétoriques. Le style de Kircher est, certes, différent de celui de Pascal ou de Descartes, et cela fait, pourrait-on dire, son malheur historique. Mais il possède néanmoins une richesse propre, si bien que l’Ars Magna apparaît comme un discours plein, qui développe sans inconséquence une façon originale de penser la science et sa pédagogie à l’intérieur d’une tradition philosophique très puissante. La mise en évidence de cette cohésion d’une pensée oubliée fait supposer que l’œuvre de Kircher était, pour l’avènement de la science positive, un obstacle bien plus redoutable que ce à quoi elle est habituellement réduite, c’est-à-dire à un obscurantisme scolastique. Un obstacle intelligent, en somme, une parade subtile à l’exigence d’avoir à penser le fondamental. * * * 4 L’Ars Magna est un véritable livre de philosophie de la nature, ce n’est pas un recueil d’expériences ou de problèmes de science amusante. Pourtant, à première vue, on n’aperçoit qu’un foisonnement de mots inconnus, de sujets étranges et d’images déconcertantes. Le livre de Kircher ne satisfait aucun des critères par lesquels on reconnaît aujourd’hui un discours « scientifique » d’un discours qui ne l’est pas. Il ne L’Ars Magna Lucis et Umbrae d'Athanase Kircher. Néoplatonisme, hermétisme et ... Baroque, 12 | 1987 2 délimite pas un domaine d’objets précis, la langue utilisée est d’une richesse qui semble exclure la rigueur, les questions traitées sont très hétérogènes, les moyens d’exposition très variés, aucune construction déductive n’est décelable. 5 Quel est, en effet, l’objet propre de l’Ars Magna ? S’agit-il d’un problème d’optique particulier, encore non résolu ? Nullement, écrit Kircher dans son Avant-Propos. L’Ars Magna n’est pas un livre ordinaire, c’est un Navire qui vogue dans l’immense étendue du monde sensible, et dont le domaine est le tout de l’univers. Pour illustrer ce caractère, Kircher reprend l’apologue du jeune homme qui, au cours d’une promenade au bord du rivage, heurte inopinément un tolet détaché du plat-bord d’une barque. Pris du désir d’être utile, le jeune homme répare le tolet, remet la rame, puis, réjoui de son succès, s’emploie également à rattacher la voile qui s’était détachée du mât. Se demandant alors pourquoi la voile s’était détachée, il trouve que la construction même de la barque est déficiente et il reconstruit toute la charpente. Enfin il traverse la mer et acquiert, de l’autre côté, d’immenses richesses. De même Kircher s’est-il trouvé obligé, par le hasard d’une commande de Ferdinand III, de réfléchir à certaines questions d’optique, qui l’ont entraîné à une refonte complète de tout l’édifice de la science de la lumière, ce qui, enfin, l’a conduit à la révélation de l’essence de tout ce qui existe dans cette « immense enceinte des choses sensibles2 ». Car, dit-il, « il n’est rien dans ce monde qui ne tienne ses principes et ses éléments des combinaisons de la Lumière et de l’Ombre ». Ainsi le seul objet du Grand Art de la Lumière et de l’Ombre est-il de donner une cosmologie universelle, son seul projet de dévoiler l’ordre entier de l’univers3. 6 La profusion des mots déconcerte immédiatement le lecteur qui cherche à progresser dans ce labyrinthe. L’Ars Magna présente en effet une richesse de création verbale qui exige un véritable apprentissage de la lecture... L’invention de mots nouveaux est frappante dans tout le livre, mais particulièrement dans la table des matières, pour la désignation des parties de l’optique, et dans les passages consacrés aux instruments, pour la description des machines imaginées par Kircher. C’est ainsi que la première partie de l’Ars Magna, intitulée « Physiologie de la lumière et de l’ombre », contient trois sous-ensembles : la « Photosophie », c’est-à-dire, écrit Kircher, « une nouvelle science que j’ai fondée », la « Sciagnomique », science de la mesure de l’ombre, et la « Chromatique », science des couleurs. De même le second livre de l’Ars Magna s’intitule « Actinobolismus » parce qu’il traite de tous les phénomènes de propagation de radiations, qu’il s’agisse de radiations lumineuses, acoustiques, odorifiques, plastiques (la transmission génétique des formes), ou sympathiques uploads/Litterature/ kirchner-athanasius-l-x27-ars-magna-lucis-et-umbrae-d-x27-athanase-kircher-ne-oplatonisme-herme-tisme-et-nouvelle-philosophie.pdf

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