Eugène Zamiatine NOUS AUTRES (1920) Traduit du russe par B. Cauvet-Duhamel Tabl
Eugène Zamiatine NOUS AUTRES (1920) Traduit du russe par B. Cauvet-Duhamel Table des matières NOTE 1 Une annonce. La plus sage des lignes. Un poème. ...........................................................................6 NOTE 2 Le ballet. L’harmonie carrée. L’X. ...................9 NOTE 3 La jaquette. Le Mur. Les Tables. ...................18 NOTE 4 Le sauvage et le baromètre. Épilepsie. .............24 NOTE 5 Le carré. Les souverains du monde. La fonction agréable et utile. ..............................................30 NOTE 6 L’occasion. Ce damné : « c’est clair ». Les 24 heures. .........................................................................34 NOTE 7 Le cil. Taylor. La jusquiame et le muguet. .....45 NOTE 8 Une racine imaginaire. R-13. Le triangle. .....54 NOTE 9 La liturgie. Les ïambes et les trochées. La main de fonte. ......................................................................62 NOTE 10 La lettre. La membrane. Mon moi velu. ......68 NOTE 11 ..................................................................81 NOTE 12 La limitation de l’infini. L’ange. Réflexions sur la poésie. ................................................................88 NOTE 13 Le brouillard. « Tu ». Un incident absolument absurde. .....................................................93 NOTE 14 « Mien » impossible. Le parquet froid. ....... 102 – 3 – NOTE 15 La cloche. La mer comme un miroir. Il me faut brûler éternellement. ............................................ 107 NOTE 16 Le jaune. L’ombre à deux dimensions. Une âme incurable. ........................................................... 114 NOTE 17 À travers le mur. Le couloir. ..................... 123 NOTE 18 Les débris logiques. Les blessures et les emplâtres. Jamais plus. ............................................... 133 NOTE 19 L’infiniment petit de troisième ordre. De dessous le front. Par-dessus le parapet. .......................... 142 NOTE 20 Décharge. La matière d’une idée. Le roc zéro.151 NOTE 21 Le devoir d’un auteur. La glace se boursoufle. L’amour le plus difficile. ............................................. 155 NOTE 22 Les vagues figées. Tout se perfectionne. Je suis un microbe. ............................................................... 164 NOTE 23 Les fleurs. La dissolution d’un cristal. « Si seulement » ? .............................................................. 170 NOTE 24 Les limites de la fonction. Pâques. Il faut tout barrer. ....................................................................... 177 NOTE 25 La descente des cieux. La plus grande catastrophe de l’histoire. La fin du connu. .................... 183 NOTE 26 Le monde existe. Le typhus. 41°. ............... 193 NOTE 27 (Pas de titre, c’est impossible) ................. 198 – 4 – NOTE 28 Elles deux. Entropie et énergie. La partie la plus opaque du corps. .................................................. 207 NOTE 29 Des fils sur le visage. Les jeunes tiges. Une compression antinaturelle. ........................................... 219 NOTE 30 Le dernier chiffre. L’erreur de Galilée. Ne vaudrait-il pas mieux… ............................................. 224 NOTE 31 La Grande Opération. Je pardonne tout. La collision des trains. ..................................................... 230 NOTE 32 Je ne crois pas. Les tracteurs. Le déchet humain. .................................................................... 241 NOTE 33 C’est la dernière, écrite à la hâte, elle n’aura point d’en-tête. ........................................................... 250 NOTE 34 Les réprouvés. La nuit ensoleillée. Une radio- Valkyrie. ................................................................... 252 NOTE 35 Dans l’anneau. La carotte. Un meurtre. .... 264 NOTE 36 Les pages blanches. Le Dieu des Chrétiens. Ma mère. .................................................................. 273 NOTE 37 L’infusoire. Le jugement dernier. Sa chambre. ................................................................... 278 NOTE 38 (Je ne sais quel titre donner à ce chapitre, qui pourrait tout entier s’intituler : le bout de cigarette.). ................................................................ 283 NOTE 39 La fin. .................................................... 287 NOTE 40 Des faits. La cloche. J’ai confiance. ............ 295 – 5 – À propos de cette édition électronique ...................... 298 – 6 – NOTE 1 Une annonce. La plus sage des lignes. Un poème. Je ne fais que transcrire, mot pour mot, ce que publie ce matin le Journal national : La construction de l’Intégral sera achevée dans 120 jours. Une grande date historique est proche : celle où le pre- mier Intégral prendra son vol dans les espaces infinis. Il y a mille ans que nos héroïques ancêtres ont réduit toute la sphère terrestre au pouvoir de l’État Unique, un exploit plus glorieux encore nous attend : l’intégration des immensités de l’univers par l’Intégral, formidable appareil électrique en verre et cra- chant le feu. Il nous appartient de soumettre au joug bienfai- sant de la raison tous les êtres inconnus, habitants d’autres planètes, qui se trouvent peut-être encore à l’état sauvage de la liberté. S’ils ne comprennent pas que nous leur apportons le bonheur mathématique et exact, notre devoir est de les forcer à être heureux. Mais avant toutes autres armes, nous emploie- rons celle du Verbe. Au nom du Bienfaiteur, ce qui suit est annoncé aux nu- méros de l’État Unique : – 7 – Tous ceux qui s’en sentent capables sont tenus de compo- ser des traités, des poèmes, des proclamations, des manifestes, des odes, etc., pour célébrer les beautés et la grandeur de l’État Unique. Ce sera la première charge que transportera l’Intégral. Vive l’État Unique. Vive les numéros. Vive le Bienfai- teur ! J’écris ceci les joues en feu. Oui, il s’agit d’intégrer la grandiose équation de l’univers ; il s’agit de dénouer la courbe sauvage, de la redresser suivant une tangente, sui- vant l’asymptote, suivant une droite. Et ce, parce que la ligne de l’État Unique, c’est la droite. La droite est grande, précise, sage, c’est la plus sage des lignes. Moi, D-503, le constructeur de l’Intégral, je ne suis qu’un des mathématiciens de l’État Unique. Ma plume, habituée aux chiffres, ne peut fixer la musique des asso- nances et des rythmes. Je m’efforcerai d’écrire ce que je vois, ce que je pense, ou, plus exactement, ce que nous autres nous pensons (précisément : nous autres, et NOUS AUTRES sera le titre de mes notes). Ces notes seront un produit de notre vie, de la vie mathématiquement parfaite de l’État Unique. S’il en est ainsi, ne seront-elles pas un poème par elles-mêmes, et ce malgré moi ? Je n’en doute pas, j’en suis sûr. J’écris ceci les joues en feu. Ce que j’éprouve est sans doute comparable à ce qu’éprouve une femme lorsque, – 8 – pour la première fois, elle perçoit en elle les pulsations d’un être nouveau, encore chétif et aveugle. C’est moi et en même temps ce n’est pas moi. Il faudra encore nourrir cette œuvre de ma sève et de mon sang pendant de longues semaines pour, ensuite, m’en séparer avec douleur et la déposer aux pieds de l’État Unique. Mais je suis prêt, comme chacun, ou plutôt comme presque chacun d’entre nous. Je suis prêt. – 9 – NOTE 2 Le ballet. L’harmonie carrée. L’X. Nous sommes au printemps. De derrière le Mur Vert, des plaines sauvages et inconnues, le vent nous apporte le pollen jaune et mielleux des fleurs. Ce pollen sucré vous sèche les lèvres, sur lesquelles il faut passer la langue à chaque instant, Toutes les femmes que l’on rencontre doi- vent avoir les lèvres sucrées (et les hommes aussi naturel- lement). Cela trouble un peu la pensée logique. Mais, par contre, quel joli ciel ! Il est bleu, pur du moindre nuage (à quel point les anciens devaient avoir le goût barbare, pour que leurs poètes fussent inspirés par ces volumes vaporeux, informes et niais, se pressant stupide- ment les uns les autres !). J’aime, et je suis sûr de ne pas me tromper si je dis que nous aimons seulement ce ciel ir- réprochable et stérile. En des jours comme celui-ci, le monde entier paraît être coulé dans le même verre éternel et impassible que celui du Mur Vert et de tous nos édi- fices. En des jours comme celui-ci, on aperçoit la profon- deur bleue des choses et l’on voit leurs équations stupé- fiantes, qui jusque-là vous avaient échappé, même pour les objets les plus familiers et les plus quotidiens. – 10 – En voici un exemple. Je me trouvais ce matin sur le dock où l’on construit l’Intégral et examinais les machines. Aveugles, inconscientes, les boules des régulateurs tour- naient, les pistons étincelants oscillaient à droite et à gauche, le balancier jouait fièrement des épaules et le ci- seau du tour grinçait au rythme d’une tarentelle merveil- leuse. Je compris alors toute la musique, toute la beauté de ce ballet grandiose, inondé d’un léger soleil bleu. « Pourquoi est-ce beau ? me demandai-je. Pourquoi la danse est-elle belle ? » Parce que c’est un mouvement con- traint, parce que le sens profond de la danse réside juste- ment dans l’obéissance absolue et extatique, dans le manque idéal de liberté. S’il est vrai que nos ancêtres se soient adonnés à la danse dans les moments les plus inspi- rés de leurs vies (au cours des mystères religieux, des revues militaires), c’est seulement parce que l’instinct de la con- trainte a toujours existé dans l’homme. Nous autres, dans notre vie actuelle, nous ne faisons qu’entrevoir… Je finirai plus tard : le tableau vient de faire entendre son déclic. Je lève les yeux : c’est O-90, naturellement. Elle sera ici dans une demi-minute : elle vient me chercher pour une promenade. Chère O ! il m’a toujours paru qu’elle ressemblait à son nom. Il lui manque environ dix centimètres pour avoir la Norme Maternelle, c’est pourquoi elle a l’air toute ronde. Sa bouche rose, qui ressemble à un O, s’entrouvre à la rencontre de chacune de mes paroles. Elle a un repli rond aux poignets comme en ont les enfants. uploads/Litterature/ nous-autres.pdf
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- Publié le Jul 08, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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