1ère Journée de la philosophie à l’UNESCO Table ronde thématique: Les origines

1ère Journée de la philosophie à l’UNESCO Table ronde thématique: Les origines de la création : « regards croisés du philosophe et du scientifique » Théories cherchent origine du temps désespérément Etienne Klein Les scientifiques rencontrent des difficultés fécondes avec la notion générale d'origine, qu’elle concerne la matière, la vie, la conscience, l'homme, la pensée. Car la science a besoin, pour se construire, d'un réel, d'un « déjà-là ». Or l'origine ne fait précisément pas partie du « déjà-là ». Elle correspond à l'émergence d'une chose en l'absence de cette chose. C’est donc un point de rencontre entre l’être et le néant, un contact entre le tout et le rien : rien n’est encore, et quelque chose advient. L’origine, un néant dont quelque chose doit sortir, comme si l’être était déjà contenu en lui. Elle constitue donc une singularité ontologique par le fait qu’elle suppose la non-présence dans la mise en présence-même, en même temps que la potentialité de la présence au sein de l’absence. Or cette singularité-là, la science n'est pas capable de les saisir, et a même beaucoup de difficulté à lui donner un statut permettant de la traiter. Dès qu’elle en parle, elle invoque implicitement une sorte de « cuisse de Jupiter » constituée des ingrédients préalables qu’il faut ajouter à l’histoire pour comprendre l’origine dont il est question. Tout commencement lui apparaît comme une conséquence : il achève quelque chose. En la matière, le temps ferait-il exception ? La plupart des physiciens s'accordent aujourd'hui sur des modèles d'univers particuliers, dits de big bang, au sein desquels règne un temps « cosmologique », lié à l’expansion de l’univers et auquel la relativité générale donne un statut. Il partage avec le temps newtonien la propriété d'être universel : des observateurs qui ne sont soumis à aucune accélération et ne subissent aucun effet gravitationnel mutuel peuvent en effet synchroniser leurs montres, et celles-ci resteront en phase tout au long de l’évolution cosmique. Grâce à ce temps, on peut raconter les grandes étapes de l’histoire de l’univers qui, disent les astrophysiciens, se déploie sur quinze milliards d’années : la matière élimine l’antimatière, son double antagoniste ; puis la lumière se sépare de la matière, rendant l’univers transparent à sa propre lumière et la matière libre de se structurer ; naissent alors les galaxies, les étoiles et toutes les formes qui peuplent le ciel nocturne. Se déclinent ainsi des généalogies, des liens génétiques : les étoiles sont les mères des atomes, elles ont pour ancêtres des nuages de poussières, dont la matière provient de l’univers primordial. © UNESCO 2004 1 1ère Journée de la philosophie à l’UNESCO Table ronde thématique: Les origines de la création : « regards croisés du philosophe et du scientifique » © UNESCO 2004 2 L’univers, c’est maintenant certain, a eu une histoire. Donc un début ? Dès que nous évoquons ainsi l'idée d'un commencement, la question de l'origine surgit (il faut bien que genèse se passe). Aussitôt, elle nous dépasse. Nous sommes incapables de savoir si l'univers matériel a eu un prélude temporel : est-il apparu dans un temps lui préexistant ou bien son émergence a-t-elle été contemporaine de celle du temps ? Mais si nous supposons qu’un temps a préexisté à l’univers, qu’est-ce qui nous empêche de prétendre que ce temps était déjà, à lui tout seul, un univers ? C’est ce qu’avait bien vu Kant dans ses Prolégomènes : « Admettons que le monde ait un commencement : comme ce commencement est une existence précédée d’un temps où la chose n’est pas, il doit y avoir eu un temps où le monde n’était pas, c’est-à-dire un temps vide. Or dans un temps vide, il n’y a pas de naissance possible de quelque chose. »1 Parler du commencement du temps conduit donc à une aporie : cela revient à situer le temps … dans le temps. Seuls les mythes semblent capables de dépasser cette contradiction. De façon plus générale, les questions concernant l’origine se transforment vite en histoires de poule et d'œuf qui oublieraient de faire référence au coq. Presque toujours, elles entraînent dans leur sillage une cohorte de grands mots, en lutte pour la préséance et qui se tiennent par la barbichette : création, émergence, finalité, hasard, nécessité, et même Dieu dans les situations extrêmes. Quelle est la véritable origine du temps cosmologique ? Comment s’est-il mis en marche ? Les réponses à ces questions semblent hors de portée. Pourtant, régulièrement, des astrophysiciens viennent promettre qu’ils sauront bientôt les trouver, les réponses : Nous sommes sur le point, expliquent-ils, de porter l'univers à bout d'équations, le dévoilement du scénario est en passe d’être complet. Cette phraséologie n’est pas neuve. La puissance de la physique a toujours suscité des enthousiasmes allant bien au-delà de ce qu’offrent les théories. La physique contemporaine n’échappe pas à la règle. Parfois aveuglée par ses succès, elle se trouve exposée aux risques qui accompagnent souvent les victoires. Prompte à annoncer son prochain aboutissement, elle s’inspire d’une pensée « satisfaite » : celle, toujours bénéfique, qui l’invite à d’audacieuses hypothèses ; ou bien celle, plus toxique, qui la conforte dans l’arrogante certitude de toucher au but. Alors qu’en est-il au juste de notre connaissance de l’ « origine du temps », si tant est que l’expression ait un sens ? Tout comme celle de l’univers, elle se perd dans les brumes aurorales de l'univers primordial. Ni la relativité générale, ni la physique quantique, ni une éventuelle synthèse des deux ne permettent aujourd’hui de décrire l’apparition de l’univers comme un événement physique. Le langage est lui aussi impuissant à dire quoi que ce soit à ce sujet : on ne peut pas 1 Emmanuel Kant, Prolégomènes à toute métaphysique future qui voudra se présenter comme science, Editions Vrin, 1968, p. 132. 1ère Journée de la philosophie à l’UNESCO Table ronde thématique: Les origines de la création : « regards croisés du philosophe et du scientifique » raconter avec des mots quelque chose qui ressemblerait à « l’histoire de la naissance du temps » puisque l’univers, c’est – entre autres choses – le temps, et que nul ne voit comment l’on pourrait parler d’une création du temps hors du temps. Mais là encore, je vous entends : les équations de la cosmologie traditionelle ne permettent-elles pas de remonter du présent jusqu‘à un « intant zéro » ? Soit, cet « instant zéro », on peut l’appeler « origine » si l’on y tient vraiment, mais sans perdre de vue qu’il correspond justement à une situation où les équations cessent d’être valables. Autrement dit, ce premier instant n’en est pas tout à fait un, au sens où il ne correspond à aucun moment effectif du passé de l’univers. La physique actuelle est certes capable de décrire l’univers « à rebrousse-temps ». Mais quand on extrapole ses lois dans le passé, on finit par tomber sur un état de l’univers dans lequel elles entrent en conflit les unes avec les autres, du fait de l’incompatibilité des principes de la physique quantique avec ceux de la relativité générale. Si ces deux théories se bousculent, c’est justement à cause de problèmes concernant l’espace et le temps. Chaque fois qu’elles s’essaient à de vagues épousailles, des singularités (c’est-à-dire des divergences à l’infini) germent spontanément : l’espace-temps que cela produit devient une mer non navigable2. Cette situation autorise toutes les conjectures sans dire comment déterminer laquelle semble la plus conforme à ce qu’a été le passé le plus lointain de l’univers3 . Nous ne savons donc rien – aujourd’hui - de l’origine de l’univers, rien non plus de l’origine du temps, que le terme origine soit pris ici au sens chronologique ou au sens explicatif. Il est tout aussi périlleux de se demander ce qu’il pouvait bien y avoir avant le big bang4. Certes, il existe des théories, celle des supercordes notamment que nous venons d’évoquer, qui permettent d’envisager un « pré-temps » différent du temps physique habituel, mais cette notion, loin de répondre à la question posée, ne fait que la déplacer : qu’y avait-il donc avant ce fameux « pré- temps » ? Et encore avant ? Si de futures lois physiques – une éventuelle « théorie du tout » - nous permettaient un jour de décrire l’origine du temps, nous nous demanderions aussitôt : qu’est-ce qui © UNESCO 2004 3 2 Un argument simple fournit les échelles de temps et de distance en deçà desquelles devrait impérativement intervenir une refonte conceptuelle permettant de penser ensemble la physique quantique et la relativité générale. Cet argument prend acte du fait qu’existent en physique des constantes fondamentales : la constante de la gravitation G, la vitesse de la lumière c et la constante de Planck h. Chacune de ces trois constantes s’exprimant selon une unité bien définie, il est possible de les combiner de façon à obtenir une grandeur s’exprimant selon une unité de temps. La durée ainsie obtenue, dite de Planck, est égale à (Gh/c5)1/2. Elle vaut à peu près 10-43 seconde. En deçà de cette échelle, nos uploads/Litterature/ klein.pdf

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