L'ALLIANCE DE LA LITTÉRATURE ET DE LA PSYCHANALYSE Laurence Apfelbaum In Press
L'ALLIANCE DE LA LITTÉRATURE ET DE LA PSYCHANALYSE Laurence Apfelbaum In Press | « Libres cahiers pour la psychanalyse » 2006/1 N°13 | pages 127 à 135 ISSN 1625-7480 ISBN 2848350954 DOI 10.3917/lcpp.013.0127 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-libres-cahiers-pour-la- psychanalyse-2006-1-page-127.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour In Press. © In Press. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Et le fait qu’il ait considéré les poètes et les écrivains comme des « alliés2 », susceptibles d’étayer ses thèses sur l’inconscient en apportant des preuves de la justesse de ses interprétations, vient de ce que nous puisons aux mêmes sources, même si nous les traitons différemment. Cette alliance de la psychanalyse et de la littérature doit même être indéfec- tible, car « ou bien le romancier et le médecin ont aussi mal compris l’un que l’autre l’inconscient, ou bien nous l’avons tous deux bien compris3 ». 1. S. Freud, Lettre à Fliess du 15/10/1897, in La naissance de la psychanalyse, Puf, p. 198. 2. S. Freud, 1907, Délire et rêves dans la Gradiva de Jensen, idées / Gallimard, p. 127. 3. Ibid., p. 243. On est bien obligé d’envisager l’hypothèse que si les analystes citent le poète, ce n’est pas seulement parce que, orfèvre de la langue, il dit les choses bien mieux qu’eux; mais c’est aussi parce qu’il est offert au transfert de tous, de façon bien plus accessible. © In Press | Téléchargé le 04/04/2022 sur www.cairn.info (IP: 201.9.91.204) © In Press | Téléchargé le 04/04/2022 sur www.cairn.info (IP: 201.9.91.204) Cet état des lieux, pour évident qu’il apparaisse si l’on jette un œil sur les citations littéraires qui émaillent les textes analytiques, et les idiomes analytiques insérés dans les textes littéraires, réclame quand même qu’on s’y arrête pour se demander de quoi est faite cette naturelle alliance. Par exemple, la proposition est-elle extensible : qu’est Anna O. pour nous? Peut-elle aussi être considérée comme un personnage littéraire, un « personnage psychopathique4 », sinon à la scène, du moins dans le texte qui la raconte? En 1895, Freud semblait retenir la possibilité d’un effet symétrique : « Je m’étonne moi-même de constater que mes obser- vations de malades se lisent comme des romans et qu’elles ne portent pour ainsi dire pas ce cachet de sérieux, propre aux écrits des savants. Je m’en console en me disant que cet état de choses est évidemment attribuable à la nature même du sujet traité et non à mon choix person- nel5. » L’observation de malades n’étant pas la seule argumentation possible pour exposer les idées analytiques, on aurait pu imaginer qu’un tel constat aboutisse à une division entre textes « sérieux » et « romans » analytiques, se renforçant les uns et les autres pour convaincre, tantôt plaisamment, tantôt par une exigence d’étude. Mais rien n’est jamais si simple, et les textes de Freud réputés métapsychologiques s’avèrent, à la lecture, éminemment cliniques ; et l’écriture « sérieuse » couvre jusqu’à nos jours un champ si divers qu’entre le style « pseudo-scien- tifique », le « remarquablement bien écrit », le pathétique ou l’allusif mystérieux, il n’est pas toujours aisé de dégager le contenu conceptuel de sa manière littéraire. Mais, déjà en 1905, Freud avait surmonté son étonnement, en refu- sant à son observation de Dora la qualité de « roman » qu’on pourrait être tenté de lui attribuer : « Si je devais, poète, imaginer pour quelque nouvelle un pareil état d’âme, au lieu, médecin, de le disséquer […] une “complication” surgirait qui ne pourrait que faire pâlir le conflit si beau, si digne d’être poétisé, que nous pouvons admettre chez Dora6. » 128 Passions et caractères 4. S. Freud, 1905 ou 1906, « Personnages psychopathiques à la scène », in Résultats, idées, problèmes, I, Puf, pp. 123-130. 5. S. Freud, 1895, Études sur l’hystérie, Puf, p. 127. 6. S. Freud, 1905, « Fragment d’une analyse d’hystérie », in Cinq psychanalyses, Puf, p. 43. © In Press | Téléchargé le 04/04/2022 sur www.cairn.info (IP: 201.9.91.204) © In Press | Téléchargé le 04/04/2022 sur www.cairn.info (IP: 201.9.91.204) Or il y a tout lieu de tenir compte des inquiétudes de Freud qui, s’il a pu être convaincu qu’il était un grand homme, n’a pas pour autant forcé- ment cru qu’il était un grand écrivain, et c’est bien ce qui nous occupe ici : « Je sais que dans cette ville tout au moins, il y a nombre de méde- cins qui – cela est assez répugnant – voudront lire cette observation non pas comme une contribution à la psychopathologie de la névrose, mais comme un roman à clef destiné à leur divertissement7. » Ce n’est probablement point là ce qu’il aurait dit de la profonde portée d’un texte littéraire, de ceux du moins qu’il se délectait tant à lire. Le cas analytique, quelle que soit la poésie qui sera mise dans son écriture, ne serait donc pas forcément appelé à faire œuvre de bon livre, ni Dora à devenir Lady Macbeth, même si leurs caractères psychopathiques se valent bien. Pourtant, il ne faut pas surestimer la première contrainte qui enserre l’analyste rédigeant : le souci de confidentialité, qui doit rendre le patient méconnaissable partout et de tout temps, et ceci pas seulement dans une Vienne indiscrète : « Je puis affirmer aux lecteurs de ce genre que toutes les observations que je pourrai ultérieurement publier seront en mesure, grâce aux mêmes garanties de secret, d’échapper à leur pers- picacité, bien que, de ce fait, l’utilisation de mes matériaux doive subir une limitation extrême8. » Sur ce point, on peut ne rien changer à l’es- sentiel, omettre maints détails, et prétendre toujours à « un haut degré de véridicité9 ». Le souci de Freud ne tient pas à cette pauvreté impo- sée dont il pense, et de nombreux analystes après lui, qu’on peut s’ac- commoder. En revanche, il est une sélection propre à la pensée par cas10 qui, allant bien au-delà du souci de confidentialité, induit de façon plus fondamentale une « imperfection » : l’impossibilité de faire tenir ensemble deux projets aussi nécessaires l’un que l’autre à la compré- hension du cas : L’alliance de la littérature et de la psychanalyse 129 7. Ibid., p. 3. 8. Ibid., p. 43. 9. Ibid., pp. 3-4. 10. À cet égard, voir l’ouvrage collectif sous la direction de Jean-Claude Passeron et Jacques Revel : Penser par cas, Enquête, Éditions EHESS, 2005. © In Press | Téléchargé le 04/04/2022 sur www.cairn.info (IP: 201.9.91.204) © In Press | Téléchargé le 04/04/2022 sur www.cairn.info (IP: 201.9.91.204) Intentionnellement, j’ai introduit moi-même une autre imperfection encore. Je n’ai généralement pas exposé le travail d’interprétation qu’il fallait effec- tuer sur les associations et les communications de la malade, mais seule- ment ses résultats. Excepté pour les rêves, et sauf à de rares endroits, la technique du travail analytique n’a, par conséquent, pas été dévoilée. Je tenais à mettre en évidence dans cette observation la détermination des symp- tômes et la structure intime de la névrose; une confusion inexprimable s’en serait ensuivie si j’avais voulu en même temps accomplir l’autre tâche11. Certes, cette omission de la technique dans le cas Dora n’a pas été à proprement parler un choix, puisqu’à l’avis de Freud lui-même « la partie la plus difficile du travail technique n’a pu être abordée chez cette malade, le facteur du “transfert”, dont il est question à la fin de l’ob- servation, n’ayant pas été effleuré pendant ce court traitement ». Mais ceci n’est peut-être pas sans rapport avec le malaise de la possible lecture « en roman à clef », alors que tout l’intérêt de l’affaire, pour un lecteur éclairé, devrait tenir non seulement dans l’« histoire » mais aussi dans la façon dont l’interprétation des rêves peut s’entrelacer à l’histoire du traitement, uploads/Litterature/ l-x27-alliance-de-la-lietterature-et-de-la-psychanalyse.pdf
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- Publié le Apv 09, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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