Méthodes et problèmes L'autobiographie mythique Dominique Kunz Westerhoff, © 20

Méthodes et problèmes L'autobiographie mythique Dominique Kunz Westerhoff, © 2005 Dpt de Français moderne – Université de Genève Sommaire • Introduction 1. Qu'est-ce qu'un mythe? 1. Une forme narrative 2. Mythe et Logos 3. Le mythe, entre tradition orale et littérature 4. Une réduction du mythe, du récit à l'image 5. Une histoire sacrée 6. Mythe et Histoire 7. Des oppositions structurales 8. Une saturation symbolique 2. Autobiographie et mythographie 3. Le mythe romantique 1. Une forme narrative • Bibliographie Introduction Dès le milieu du XIXe siècle, l'étude des mythes est devenue une discipline universitaire. Le mythe a été considéré comme un objet de réflexion dans la mesure même où il s'est retiré de l'espace social, puisque notre monde s'est passablement démythologisé: la culture mythique s'est réfugiée dans la littérature ou dans l'art, qui en sont devenus une sorte de conservatoire. Les mythes n'ont plus d'impact religieux dans nos sociétés laïcisées. Toutefois, depuis quelques décennies, les recherches des historiens des religions, des anthropologues et des ethnologues ont porté sur la permanence de la pensée mythique dans les sociétés modernes. Dès lors, les mythes ont été envisagés dans leur nécessité, comme des systèmes de représentations qui sont constitutifs de toute culture, et qui répondent à une structure fondamentale de l'imaginaire. Les mythes présentent donc une valeur anthropologique universelle: ils ne peuvent disparaître, mais se modifient en définissant les fondements d'une culture donnée. Il s'agit dans notre approche de voir en quoi la littérature participe de ces modifications, et quelle pertinence elle peut trouver pour elle-même, pour sa propre invention, quand elle recourt au mythe. I. Qu'est-ce qu'un mythe? Le mythologue roumain Mircea Eliade (1963) a proposé la définition la plus simple et la plus souvent citée: Le mythe raconte une histoire sacrée; il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des commencements. [...] C'est toujours le récit d'une création: on rapporte comment quelque chose a été produit, a commencé à être. I.1. Une forme narrative Le mythe est d'abord une histoire et se présente sous la forme d'un récit: il raconte. Cette structure narrative est fondamentale; elle permet de définir le mythe, par opposition au symbole ou à l'allégorie, qui sont des figures non narratives. C'est aussi ce qui distingue le mythe du thème, qui relève du concept abstrait. Ainsi, le personnage d'Œdipe peut être considéré comme le symbole de l'humanité; son histoire peut susciter une analyse des thèmes du désir, de la conscience humaine et de la mort; elle peut allégoriser le passage de la nature à la culture. Mais le mythe d'Œdipe est d'abord une histoire. D'ailleurs, lorsqu'Œdipe répond à l'énigme que lui pose le Sphinx (qu'est-ce qui a quatre pattes le matin, deux pattes à midi et trois pattes le soir?), c'est une histoire qui est racontée, celle de l'homme, de son enfance à sa vieillesse. Tel est le sens étymologique du mot mythe, qui vient du nom grec muthos, signifiant précisément une histoire, un récit, une fable. Lorsqu'Aristote parle, dans la Poétique, de la tragédie, c'est le mot muthos qu'il emploie pour désigner l'intrigue, l'argument de la pièce de théâtre, qui le plus souvent est un mythe au sens où nous l'entendons aujourd'hui (l'Orestie, par exemple). Il définit le mythe comme ce qui a un début, un milieu et une fin: comme ce qui agence des séquences narratives et leur donne un sens. I.2. Mythe et Logos Le mythe raconte une histoire: c'est sa propriété principale, c'est aussi son principal défaut. C'est en effet ce qui l'a disqualifié historiquement, au profit d'un autre régime discursif, celui du logos, c'est-à-dire du raisonnement logique. C'est Platon qui a distingué le plus nettement ces deux types de discours, d'abord analogues dans la Grèce antique, et qui a instauré la suprématie du logos vis-à-vis du muthos. Certes, Platon reconnaît au mythe une valeur pédagogique dans le discours philosophique. Il recourt au mythe dans Protagoras (320 c), c'est-à-dire à la fiction philosophique plutôt qu'à la démonstration théorique, parce que c'est plus agréable: on raconte une histoire. Dans la République (X, 621 c), Platon montre également que le mythe en appelle moins à la raison qu'à la foi. Il suscite une adhésion, une créance chez le lecteur: il se substitue à un discours rationnel et peut appréhender des vérités qui dépassent l'entendement, rendre compte de l'inexplicable, de ce qui défie la raison. Cependant, dans ce même ouvrage de la République, Platon se livre à une violente attaque des fictions créées par les poètes, qui reposent sur l'illusion, l'incroyable, le mensonger: les mythes trompent et doivent être rejetés de la république (livres II et III). Ainsi s'établit une supériorité du logos, ouvrant l'ère du concept et de l'abstraction, sur le muthos, désormais associé au passé et à la tradition. Cette supériorité va être entérinée par la développement de la pensée logique et de la science, lesquelles vont infirmer les mythes d'origine et imposer des explications objectives, empiriquement prouvées, en lieu et place des histoires fabuleuses et sacrées. Tel est le cas de la Genèse, mythe d'origine qui sera évincé dans sa réalité scientifique par la découverte de l'évolution des espèces au XIXe s. Au XIXe siècle, le philosophe Nietzsche cherchera à renverser cette hégémonie du Logos qu'a instaurée la métaphysique platonicienne. Il concevra la tragédie comme une forme qui a permis historiquement de maintenir le mythe, aujourd'hui disparu: Le logos l'a emporté sur le mythe, Apollon sur Dionysos. Aujourd'hui, l'homme est dépourvu de mythes (Naissance de la tragédie). Il s'agit donc pour lui de faire revivre le mythe, de préparer sa renaissance, en inventant une philosophie qui raconte la sagesse, plutôt qu'elle ne l'explique dans un discours logique (Ainsi parlait Zarathoustra). Si l'explication objective l'a emporté sur le discours mythique, celui-ci reste cependant à même de représenter des aspects qui échappent à l'analyse rationnelle. La littérature a peut-être eu pour fonction d'accueillir le mythe supplanté par le langage logique, comme l'avance Nietzsche. Mais elle peut aussi y trouver un moyen de figurer des expériences qui ne relèvent pas de l'explication conceptuelle, d'en éclairer le sens par d'autres biais que l'analyse objective. I.3. Le mythe, entre tradition orale et littérature Mircea Eliade considère également comme catégorie définitoire le fait que le mythe soit d'abord anonyme et collectif, et véhiculé par une tradition orale, avant d'être mis par écrit dans des textes singuliers. Dans cette perspective anthropologique, la scription du mythe correspond souvent à un seuil de dégradation: le passage de l'oralité au texte littéraire marquerait une exténuation du mythe, comme le dit Claude Lévi-Strauss dans une étude intitulée Mythe et roman. C'est par exemple la thèse que soutient Florence Dupont, dans son ouvrage intitulé L'invention de la littérature: pour elle, le mythe ne serait vivant que dans sa transmission orale, qui se faisait dans des récitations publiques, à la fin des repas communautaires. Le théâtre antique aurait eu pour fonction de réactiver sa performance, de le reconduire à sa profération collective et à sa mise en jeu, dans le rite dionysiaque. Le texte écrit, lui, n'en serait que la trace, et il servirait de canevas à de nouvelles représentations sociales. Il n'était pas conçu comme un objet esthétique, mais comme le support d'un événement rituel. Ainsi la littérature naîtrait lorsque le mythe meurt, et avec lui, la parole vive. Elle est elle-même un mythe culturel de notre modernité. Cependant, Claude Lévi-Strauss définit le mythe par l'ensemble de toutes ses versions: on ne peut considérer qu'il y aurait un état originel du mythe dans sa forme pure, une version authentique ou primitive. Le plus souvent, nous n'avons pas accès aux mythes antiques tels qu'ils auraient existé dans leur transmission orale, c'est par le biais des textes que nous pouvons les reconstituer et en comprendre le sens. Et ces textes se présentent parfois d'emblée comme des oeuvres littéraires, même s'ils ne correspondent pas à notre conception moderne de la littérature (c'est le cas de L'Iliade et de L'Odyssée d'Homère). L'helléniste Claude Calame écrit ainsi qu'il n'y pas de mythe comme genre, pas d'ontologie du mythe. Nous ne connaissons les mythes qu'à travers des mythologies toujours changeantes, qu'à travers des contextes particuliers, médiatisés, entre autres, par des textes. En tous les cas, cette perspective anthropologique montre qu'un texte qui recourt au mythe s'inscrit dans un espace culturel de parole collective: il est une nouvelle actualisation, singulière, d'un discours dont l'énonciation a déjà été partagée. C'est aussi vrai de la littérature moderne. Lorsque Leiris, dans L'Âge d'homme, fonde son récit autobiographique sur des figures mythiques, telles Lucrèce et Judith, il manifeste cette collectivité énonciative en citant, par exemple, les rubriques du dictionnaire Larousse. Il rejoue aussi la performance communautaire de l'énonciation mythique en comparant sa confession au rituel tauromachique et à son cérémonial. Le mythe lui permet d'élaborer une parole individuelle, un discours sur soi, mais l'intègre en retour dans une communauté culturelle. I.4. Une réduction du mythe, du récit à l'image À cette double évolution, conduisant du récit mythique à l'avènement du discours logique, et de la transmission orale à la uploads/Litterature/ l-x27-autobiographie-mythique-methodes-et-problemes.pdf

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