Studia Romanica Posnaniensia 43/1 (2016): 125-141 DOI: 10.14746/strop.2016.425.

Studia Romanica Posnaniensia 43/1 (2016): 125-141 DOI: 10.14746/strop.2016.425.009 Adam Mickiewicz University Press ISSN 0137-2475, eISSN 2084-4158 Received: 29.09.2015 / Accepted: 30.11.2015 L’interdisciplinarité dans la traduction spécialisée Interdisciplinarity in Specialist Text Translation Barbara Walkiewicz Uniwersytet im. Adama Mickiewicza, Poznań barwal@amu.edu.pl Abstract The paper is aimed at presenting interdisciplinarity in specialist text translation. It starts with an over- view of different forms of interdisciplinarity against a background of other types of relations between different fields. Then the author moves on to the presentation of various manifestations of field interdis- ciplinarity (involving different fields) in architectural design translations. Keywords: interdisciplinarity, translation, specialist text, architectural design L’interdisciplinarité de la traduction est un fait. Mais dire que la traduction est une activité interdisciplinaire ne suffit pas pour mettre en relief le fait que l’interdisciplinarité est l’essence même de la traduction indépendamment de la nature de celle-ci : écrite, orale, automatique, audiovisuelle, littéraire ou spé- cialisée. Car la traduction est une interdiscipline à part, dotée tout naturellement d’une « pluralité d’objets, d’objectifs théoriques, de finalités professionnelles. Mais cette pluralité est interne à une unité » (Meyriat, 1994 in : Gallot, 2014) « entre-disciplinaire » plus que d’autres disciplines et activités, ce qui est obser- vable surtout dans la traduction de textes de spécialité émanant d’un confluent de plusieurs disciplines. Le présent article a pour vocation de montrer l’espace ‘entre-’ entre les disci- plines attelées au service de la traduction de projets d’architecture – l’espace stratégique où le traducteur peut confronter deux regards différents sur la même réalité extra-linguistique et les rapprocher au moyen de son arsenal technique tout aussi pluriel. 126 Barbara Walkiewicz 1. INTERDISCIPLINARITÉ L’interdisciplinarité est un concept devenu très à la mode. L’incessante po- pularité dont il jouit depuis un certain temps résulte sans aucun doute d’une nécessité bien fondée. En effet, il est difficile de concevoir une discipline quel- conque sans aucun apport avec d’autres domaines, ce qui s’explique doublement par les besoins toujours croissants de « compréhension globale », engageant tous les acquis scientifiques possibles d’un côté et par le besoin social de résoudre « des problèmes complexes » à travers les moyens relevant de différents do- maines d’activité humaine (scientifique, industrielle, informatique, etc.) (Kloch, 2007). Cet état de choses entraîne comme corollaire une profusion termino- logique menant inévitablement à l’effacement des contours définitionnels : L’interdisciplinarité est une notion en vogue qui imprègne plusieurs sphères d’activités et qui laisse dans son sillage une nomenclature abondante : coopération, échange, dialogue, décloisonnement, croisement, métissage, hybridation, intégration, fusion, etc. Ces mots nous sont familiers et font référence à un espace commun entre les disciplines, un lieu d’échange qui favorise l’enrichissement mutuel, la créativité et l’innovation (Valentine, 2002). L’espace commun entre les disciplines, dont parle l’auteur cité, ouvre plu- sieurs possibilités pour l’exploiter, chacune se traduisant par une autre relation interdisciplinaire. De nos jours on distingue trois types de relations entre différentes disci- plines, applicables à la recherche : pluridisciplinarité, interdisciplinarité et trans- disciplinarité. Leurs spécificités signalent étymologiquement les préfixes qui for- ment les termes correspondants (Meynard, Lebarbé, 2011). La pluridisciplinarité (pluri- = ‘plusieurs’) concerne plusieurs disciplines concentrées autour d’un même objet d’études. Le rapport qui les unit est celui de complémentarité étant donné qu’il s’agit d’une simple juxtaposition de points de vue disciplinaires, sans aucune interaction entre eux. L’interdisciplinarité – de par la valeur sémantique du préfixe inter- = ‘entre’ – peut être interprétée de deux façons. La première interprétation met en valeur l’interaction entre plusieurs disciplines s’opposant à leur simple coexistence dans le cadre de la pluridisciplinarité : Cet échange (que les Anglais nomment interchange, soulignant ainsi l’idée de trans- mission réciproque) impose un dialogue entre les disciplines, la constitution d’un terrain commun. Par conséquent la frontière disciplinaire devient floue, il n’existe plus de « territoire » disciplinaire, il est remplacé par un continuum interdisciplinaire (Meynard, Lebarbé, 2011). L’interdisciplinarité dans la traduction spécialisée 127 C’est sur ce continuum interdisciplinaire que se fonde la deuxième interpré- tation du phénomène en question, en le considérant comme un sous-ensemble à valeur ajoutée qui apparaît à l’intersection des disciplines entrant en ligne de compte. Si donc la première approche met l’accent sur la relation interactive entre les disciplines, l’opposant à la passivité de la juxtaposition pluridiscipli- naire, la seconde souligne le résultat de ce dialogue interdisciplinaire, qui peut donner naissance à une nouvelle méthodologie, voire une nouvelle (sous-)disci- pline / direction de recherche, née d’« un effort commun d’articulation des savoirs » dont le fruit est « l’enrichissement des points de vue particuliers » (Valentine, 2002). Si c’est le cas, on est fondé à parler du troisième type de relations entre différentes disciplines, la transdisciplinarité. La transdisciplinarité (trans- = ‘à travers’) se prête, tout comme l’interdis- ciplinarité, à un double regard, ce qui résulte de deux aspects attribuables à chaque action : de mouvement et de résultat. Le premier aspect de la transdisciplinarité accentue la transversalité des points communs, « c’est-à-dire l’identification de concepts, de méthodes, de théories qui peuvent traverser les disciplines ». Le second – comme le constate l’auteur – « revêt le sens de ‘au- dela’. C’est l’intégration, la production de nouveaux objets, de nouvelles théo- ries, de nouvelles disciplines qui englobent et surpassent les disciplines de référence » (Valentine, 2002). Les types de rapports mentionnés s’articulent linéairement sur l’axe de continuum dressé par Vincent Valentine comme suit (fig. 1). Fig. 1. Différentes configurations disciplinaires selon Vincent Valentine (2002) La nature continue des relations entre les disciplines implique inévitablement l’estompement progressif des frontières de sorte que parfois il n’est pas facile de constater indubitablement s’il s’agit encore de l’interdisciplinarité ou déjà de la transdisciplinarité, ce qu’observe Nicole Rege Colet : « La hiérarchisation des 128 Barbara Walkiewicz collaborations entre disciplines se place bel et bien dans la perspective de l’unité des sciences et de la recomposition des savoirs morcelés, l’objectif final étant bien entendu l’effacement des frontières, des barrières ou encore des limites disciplinaires » (Rege Colet, 2002 : 24). En effet, la différence entre la pluri- disciplinarité et l’interdisciplinarité paraît plus flagrante qu’entre l’interdiscipli- narité et la transdisciplinarité, car la transdisciplinarité résulte toujours de l’interdisciplinarité, bien que tous les cas d’interdisciplinarité n’atteignent pas le niveau transdisciplinaire : « Alors la pluridisciplinarité n’est-elle pas véritable- ment l’interdisciplinarité qui, seule, peut conduire à la transdisciplinarité » (Far- gier, 2000)1, ce qu’on peut illustrer par la formule ci-dessous : PLURIDISCIPLINARITÉ ≠ INTERDISCIPLINARITÉ → TRANSDISCIPLINARITÉ Si le dialogue entre les disciplines « collaborant » dans le cadre d’une « en- treprise » interdisciplinaire aboutit à un « trans-faire » durable, transformable en une nouvelle discipline / sous-discipline, l’interdisciplinarité franchit « un saut qualitatif » pour verser dans la transdiciplinarité qui se traduit par « l’émergence d’une méta-science » (Rege Colet, 2002 : 24). Par exemple, la traduction automa- tique ou audiovisuelle est un fruit transdisciplinaire de l’apport de plusieurs disci- plines : linguistique, traductologie, informatique, ingénierie de l’image et du son. Pourtant, indépendamment du statut inter- ou trans-, pour pouvoir entamer une collaboration quelconque, « le cloisonnement disciplinaire doit être trans- gressé, mais ne peut l’être qu’à la condition que le dialogue s’instaure et que chaque discipline soit à même d’appréhender la langue, les rituels et le savoir technique de l’autre » (Meynard, Lebarbé, 2011). 2. INTERDISCIPLINARITÉ VS TRADUCTION Parler de la traduction en termes d’échange interdisciplinaire revient à con- stater qu’il en est le fondement même. Son principe consiste à mettre en contact, et donc à entamer un dialogue entre les domaines (de spécialité) concernés. Ceci est envisageable de deux manières correspondant aux deux interprétations de l’interdisciplinarité mentionnées. La première mise en interaction, que j’appelle opérationnelle (technique) par souci de clarté, est de nature méthodologique et accuse nettement une visée ______________ 1 Fagier Patrick, thèse de doctorat : Contribution à une réflexion sur la gestion de sa vie physique en EPS. http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2000.fargier_p&part =21435, consulté le 10 septembre 2015. L’interdisciplinarité dans la traduction spécialisée 129 transdisciplinaire qu’on reconnaît à la traduction depuis (au moins) le siècle passé. En revanche, la seconde, proprement domaniale, relève de la rencontre des domaines d’une même spécialité fonctionnant dans deux cultures distinctes. 2.1. INTERDISCIPLINARITÉ OPÉRATIONNELLE La traduction en tant que telle est une activité spécifique : elle se sert d’instruments fournis par d’autres disciplines pour élaborer avec leur concours conceptuel, méthodologique et empirique un encadrement analytique ajusté aux besoins d’un cas traductionnel donné (fig. 2). Visant à mettre de concert les outils venant de différents domaines en vue de résoudre un problème, elle s’apparente à ce que Rege Colet appelle « interdisciplinarité du point de vue de l’organisation du travail » (2002 : 30). Dans ce sens, elle recouvre aussi la dimension méthodologique de Daniel Gile (2006 : 25)2. L’éventail des disci- plines attelées au service de la traduction dépend de plusieurs facteurs, dont les plus déterminants sont le type de texte soumis à la traduction et le support qui le pérennise. Cependant, indépendamment des facteurs mentionnés, il y a des disciplines sans lesquelles aucune traduction ne saurait se concevoir. Fig. 2. Interdisciplinarité opérationnelle Comme la traduction travaille sur les langues, la discipline uploads/Litterature/ l-x27-interdisciplinarite-dans-la-traduction-specialisee.pdf

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