Cahiers de la Villa Kérylos La Bible des Septante Marc Philonenko Citer ce docu

Cahiers de la Villa Kérylos La Bible des Septante Marc Philonenko Citer ce document / Cite this document : Philonenko Marc. La Bible des Septante. In: Alexandrie : une mégapole cosmopolite. Actes du 9ème colloque de la Villa Kérylos à Beaulieu-sur-Mer les 2 & 3 octobre 1998. Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1999. pp. 145-155. (Cahiers de la Villa Kérylos, 9); https://www.persee.fr/doc/keryl_1275-6229_1999_act_9_1_1003 Fichier pdf généré le 04/05/2018 LA BIBLE DES SEPTANTE La Bible des Septante est une illustration exceptionnelle de la vie culturelle et religieuse de la mégapole cosmopolite que fut Alexandrie. Alexandrie a été avec Antioche l'un des deux pôles de la diaspora juive dans le bassin méditerranéen. A l'époque romaine, les Juifs occupaient à Alexandrie un des cinq quartiers de la ville, le quartier Delta, mais ils étaient également présents dans d'autres quartiers l. Les estimations sont difficiles, mais, à Alexandrie même, la population juive devait compter un peu plus de 100 000 habitants 2. Après la conquête d'Alexandre, les Juifs avaient appris à parler, lire et écrire en grec. L'araméen, et l'hébreu plus encore, n'étaient plus compris du plus grand nombre. Les Juifs, dans des conditions discutées, et sur lesquelles nous reviendrons, furent amenés à traduire la Bible de l'hébreu en grec. C'est la Bible des Septante, du nom des soixante-dix ou soixante-douze traducteurs qui s'acquittèrent de cette tâche, non en regroupant des essais antérieurs, mais en établissant à frais nouveaux une traduction qui se voulait « autorisée ». Elias Bickerman a estimé que cette traduction est la plus importante qui ait jamais été faite 3. Certes, on connaît dans l'Antiquité d'autres exemples de traduction : l'inscription de Darius à Behistoun, traduite en araméen, à partir de la version babylonienne, et portée à la connaissance de tout l'empire 4 ; l'inscription du roi Asoka, en grec et en araméen, faite sur un modèle indien et trouvé à Kandahar 5. Mais il s'agit là de textes 1 . Philon d'Alexandrie, In Flaccum LV. 2. Voir (M. Harl), G. Dorival, (O. Munnich), La Bible grecque des Septante, Paris, 1988, p. 34. 3. E. J. Bickerman, The Jews in the Greek Age, Londres, 1988, p. 101. 4. Voir P. Lecoq, Les Inscriptions de la Perse achéménide, Paris, 1997, p. 56 et 212 sq. 5. A. Dupont-Sommer, « Une inscription nouvelle en grec et en araméen du roi Asoka », Revue de l 'Histoire des Religions 155, 1959, p. 136 sqq. ; E. Benveniste, « Édits d'Asoka en traduction grecque », Journal asiatique 252, 1964, p. 137-157. 146 M. PHILONENKO assez courts. La traduction des Septante est une entreprise d'une toute autre ampleur. Jamais un corpus tout entier n'était ainsi passé d'Orient en Occident. Cet événement littéraire de première grandeur aura des conséquences incalculables. C'est un moment de l'histoire de l'esprit humain. On ne saurait trouver de meilleur guide à la Bible d'Alexandrie que l'introduction de M. Harl, G. Dorival et O. Munnich, indispensable complément de la traduction française de la Bible d'Alexandrie, richement annotée et en cours de publication. On ne peut comprendre la Bible des Septante qu'en contrepoint de la Bible hébraïque. Le canon palestinien s'est formé de façon progressive et comprend trois parties, La Loi, les Prophètes et les Écrits. Ce canon a été arrêté définitivement par les autorités juives aux alentours de l'an 100 de notre ère. Les manuscrits hébreux qui n'étaient pas conformes au texte retenu ont été pourchassés et détruits. Le texte massorétique est l'aboutissement de ce long travail d'unification. En Palestine même, à l'époque hellénistique et romaine, l'hébreu se vit peu à peu supplanté par l'araméen. Le texte hébreu de la Bible, lu dans le cadre du culte synagogal, devint assez rapidement incompréhensible à la majorité de l'auditoire ; d'où la pratique de donner après la lecture des péricopes hébraïques, une traduction araméenne immédiate. Ces traductions, ou targoums, pouvaient être assez littérales ou paraphrastiques. On a longtemps cru que ces targoums n'avaient été fixés par écrit que tardivement 6. La découverte, sur le site de Qoumrân, de fragments d'un targoum du Lévitique et d'un targoum de Job montre que, dans certains milieux, cette fixation a pu se faire dès avant le Ier siècle de notre ère 7. En Egypte, plus encore qu'en Palestine, l'hébreu n'était plus compris. On s'explique aisément que certains critiques aient voulu, à la suite de P. Kahle, assimiler la Bible grecque à un targoum 8. Dès 1931, le P. Lagrange pourtant s'était élevé contre cette idée. Il écrivait : « La traduction grecque n'est point un Targoum, c'est-à- dire à l'occasion une paraphrase ou une glose du sens. C'est bien une traduction, avec l'intention de reproduire le mieux possible un texte vénéré comme sacré, tout en ménageant la noble langue grecque. » 9 C'est là, nous semble-t-il, la sagesse même. 6. Voir encore (M. Harl), G. Dorival, (O. Munnich), op. cit. (n. 2), p. 54. 7. Voir R. Le Déaut, Targum du Pentateuque, I, Paris, 1978, p. 16. 8. Voir P. Kahle, The Caire Geniza 2, Oxford, 1959, p. 213 sq. et, entre autres, A. Pelletier, Lettre d'Aristée à Philocrate, Paris, 1962, p. 49, 52 et 235 note. 9. M.-J. Lagrange, Le Judaïsme avant Jésus-Christ, Paris, 1931, p. 526. Voir aussi Ch. Perrot, « La Lecture de la Bible dans la diaspora hellénistique », dans Études sur le judaïsme hellénistique, Paris, 1984, p. 109-132 [116-118]. LA BIBLE DES SEPTANTE 147 L'expression « Bible des Septante », ou « Septante », peut être utilisée au sens strict et désigne alors la traduction grecque des cinq premiers livres de la Bible hébraïque, la Torah. Au sens large, la Septante désigne la traduction grecque de tous les livres de la Bible hébraïque et des écrits qui sont venus s'y joindre, parfois appelés « apocryphes » ou, mieux, « deutérocanoniques ». Cette Bible juive de langue grecque deviendra l'Ancien Testament des églises chrétiennes, comme le montre l'addition, après le Psautier, d'un petit recueil d'Odes qui comprend quelques hymnes tirés du Nouveau Testament, comme les Cantiques de Zacharie et de Siméon. Une comparaison, à plusieurs niveaux, s'impose entre la Bible hébraïque et la Bible des Septante. Tout d'abord, aux livres contenus dans la Bible hébraïque s'ajoutent dans la Septante les deutérocanoniques. Énumérons, / Esdras, Judith, Tobit, I, II, III, IV Machabées, Baruch, Y Épure de Jérémie, la Sagesse de Salomon, le Siracide. D'autre part, les livres d'Esther et de Daniel font l'objet d'importantes additions. L'insertion de ces ouvrages a entraîné des modifications importantes dans l'ordre des livres. Le Pentateuque est toujours en tête, mais la place des livres prophétiques et sapientiaux, et des deutérocanoniques varient selon les manuscrits 10. Pour ce qui est du texte lui-même, une comparaison minutieuse du texte massorétique et de la version des Septante est à faire, verset par verset, partout où l'original hébreu a été conservé. Des générations de chercheurs se sont consacrés à cette tâche, souvent dans l'idée de corriger, à partir du substrat hébreu hypothétique de la Septante, le texte massorétique que l'on pouvait croire corrompu. La situation est parfois très complexe : la fin du « Cantique de Moïse », en Deutéro- nome 32, 43, a été conservé en trois rédactions : le texte massorétique comporte quatre stiques, le texte qoumrânien six stiques, la Septante huit stiques n. On doit s'interroger sur les raisons qui ont amené la communauté juive d'Alexandrie à s'engager dans cette aventure et à traduire la Torah en grec. Deux thèses sont en présence. La première, qui a été longtemps classique, se réclame des besoins de la communauté en matière de liturgie. Cette explication peut trouver quelques appuis dans la version des Septante elle-même. Ainsi, par exemple, en Deu- téronome 6, 4, la formule solennelle « Écoute Israël » est précédée 10. H. B. Sweete, An Introduction to the Old Testament 2, Cambridge, 1902, p. 197-230. 1 1 . Voir P.-M. Bogaert, « Les trois rédactions conservées et la forme originale de l'envoi du Cantique de Moïse. (Deut. 32, 43) », dans Das Deuteronomium, N. Lohfink éd., Louvain, 1985, p. 329-340. 148 M. PHILONENKO d'un verset supplémentaire, emprunté à Deutéronome 4, 45 et qui annonce le Décalogue. Par là se trouvent associés le Shema et le Décalogue. Or, cette association, de caractère liturgique, est traditionnelle 12. La deuxième thèse a pour elle le témoignage de la Lettre d'Aris- tée, pieuse fiction, très difficile à dater 13. Selon cet écrit, la Torah aurait été traduite en grec, sous le patronage de Ptolémée Philadelphe, au IIIe siècle av. notre ère (285-246), à l'initiative de Démétrius de Phalère, bibliothécaire du roi. Ce qui fait difficulté. Ptolémée II se serait mis en relation avec Éléazar, le Grand Prêtre de Jérusalem, qui lui aurait envoyé des rouleaux sur lesquels la Loi était écrite avec des ors 14 et soixante-douze traducteurs, à raison de six traducteurs par tribus 15 ; le roi, en recevant ces rouleaux, se serait prosterné sept fois 16 et en serait venu à pleurer de joie 17. Un grand banquet aurait été offert aux traducteurs 18. Les traducteurs travaillèrent « en se mettant uploads/Litterature/ la-bible-des-septante.pdf

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