LA LECTURE LITTÉRAIRE REVUE DU CENTRE DE RECHERCHE SUR LA LECTURE LITTÉRAIRE DE
LA LECTURE LITTÉRAIRE REVUE DU CENTRE DE RECHERCHE SUR LA LECTURE LITTÉRAIRE DE L’UNIVERSITÉ DE REIMS LA LECTURE LITTÉRAIRE THÉORIE LITTÉRAIRE ET TEXTES POSSIBLES Actes du colloque d’Oléron (14-18 avril 2003) organisé par le groupe de recherche Fabula TEXTES RÉUNIS PAR M. ESCOLA & S. RABAU Présentation La case blanche : théorie littéraire & textes possibles Description systématique des formes littéraires, la poétique ou théorie de la littérature a-t-elle affaire aux seuls textes du passé ou doit-elle embrasser tout le champ du possible ? Opérant un classement des formes attestées à partir de critères logiques et rationnels, que peut-elle bien faire des « cases blanches » pour lesquelles elle ne dispose d’aucun exemple ? Et si elle ne doit pas se confondre avec le commentaire d’un texte singulier, est-ce pour pouvoir imaginer tout texte réel comme un texte seulement possible ? En d’autres termes : la fonction de la théorie n’est-elle pas de dégager des possibles textuels, qui seraient à traquer dans la bibliothèque ou qui res- teraient à écrire ? Cette chasse aux textes possibles reste encore à ouvrir : de quel usage peuvent bien être les possibles ainsi dégagés ? Adresser la ques- tion des possibles à la théorie littéraire elle-même, c’est l’inviter à (re)pen- ser sa fonction et sa valeur propres. Les contributions réunies dans le présent volume – le troisième publié par l’équipe Fabula1 dans le prolongement des activités du site www.fabula.org – sont à lire comme autant d’illustrations de la vitalité de cette question du possible en littérature. La question adoptée en commun a eu aussi pour mérite de faire prendre l’air aux différents intervenants qui se sont réunis, une semaine du mois d’avril 2003, sur l’île d’Oléron, à « La Vieille Perrotine », Centre de séjour CNRS, pour débattre des propositions que reprend ici le texte introductif de M. Escola et S. Rabau. Car la question des possibles littéraires n’est pas une doctrine ; elle appelait et continue d’appeler un débat dont nous espérons seulement qu’il sera aussi salubre et vivace que l’air marin qu’il nous fut donné de respirer alors – aussi amical que nos discussions de bord de mer. On ne regardera donc pas les contributions ici rassemblées comme des illus- trations, encore moins comme des démonstrations des thèses d’abord for- mulées, mais comme autant de réactions, n’engageant évidemment que leurs auteurs, aux hypothèses d’ouverture. On a donc cherché à lire les textes, à écrire leur histoire et l’histoire de leurs interprétations, en observant non seulement ce qui fut écrit mais égale- ment ce qui aurait pu, peut ou pourrait s’écrire. 1 Après Frontières de la fiction, A. Gefen & R. Audet (éds.), Presses Universitaires de Bordeaux / Éditions Nota Bene (Québec), 2001, et Barthes, au lieu du roman, A. Gefen & M. Macé (éds.), Desjonquères / Éditions Nota Bene (Québec), 2002, le présent livre consti- tuant ainsi le troisième volume d’une collection Fabula elle-même « itinérante ». 8 Théorie littéraire et textes possibles On a conjointement voulu interroger les enjeux épistémologiques, idéo- logiques et esthétiques attachés à ce versant singulier de la théorie littéraire. On a tenté aussi de suggérer de nouvelles pistes, en indiquant quelles pratiques pourraient être demain celles de la théorie littéraire et de son enseignement. Au lecteur d’apprécier aujourd’hui le dépaysement que procure toute spéculation sur les textes possibles. Que soient ici remerciés tous les équipiers, orateurs et auditeurs, qui ont participé au voyage, Vincent Jouve qui permet aujourd’hui d’en publier la relation, et Michel Charles sans qui peut-être nous n’aurions jamais largué les amarres. L’équipe Fabula (de retour à son port d’attache) École Normale Supérieure « Inventer la pratique » : pour une théorie des textes possibles Je n’opposerais plus le « scriptible » au « lisible » comme le moderne au classique ou le déviant au canonique, mais plutôt le virtuel au réel, comme un possible non encore produit, dont la démarche théorique a le pouvoir d’indiquer la place (la fameuse case vide) et le caractère. Le « scriptible », ce n’est pas seulement du déjà écrit à la récriture duquel la lecture participe et contribue par sa lecture. C’est aussi un inédit, un inécrit dont la poétique, entre autres, par la généralité de son enquête, découvre et désigne la virtualité, et qu’elle nous invite à réaliser. Qui est ce « nous », l’invitation s’adresse-t- elle seulement au lecteur, ou le poéticien doit-il lui-même passer à l’acte, je n’en sais trop rien, ou si l’invite doit rester invite, désir insatisfait, suggestion sans effet – mais non toujours sans influence : ce qui est sûr, c’est que la poétique en général, et la narratologie en particulier, ne doit pas se confiner à rendre compte des formes et des thèmes existants. Elle doit aussi explorer le champ des possibles, voire des « impossibles », sans trop s’arrêter à cette frontière, qu’il ne lui revient pas de tracer. Les critiques n’ont fait jusqu’ici qu’interpréter la littérature, il s’agit maintenant de la transformer. Ce n’est certes pas l’affaire des seuls poéticiens, leur part sans doute y est infime, mais que vaudrait la théorie, si elle ne servait pas aussi à inventer la pratique ?1 Les lignes finales de Nouveau discours du récit ont fait couler moins d’encre que les questions débattues par Gérard Genette dans le même ou- vrage. Avec cette simple page pourtant, le propos du poéticien prend sou- dain un tour différent : voici que, pour une part certes « infime » mais qui fait, selon G. Genette, la valeur de la théorie, la poétique semble se trouver soudainement non pas en aval mais en amont des textes ; voici qu’elle ne sert plus à mieux lire, mais bien à produire ; qu’elle ne s’intéresse pas seulement aux textes existants mais à ceux qui pourraient exister ; et qu’à la différence du commentaire, elle n’est nullement tenue d’être une écriture seconde. Voici qu’apparaît incidemment, comme l’esquisse d’un pro- gramme, la force de proposition et d’exploration inhérente à la démarche poétique, sa capacité à dire ce qui pourrait être écrit ou ce qui est peut-être bien écrit quelque part mais que l’on ne connaît pas encore. Voici que le théoricien se dit capable, non seulement de lire ce qui est, mais de produire un nouveau texte. Voilà brouillé le partage des tâches entre l’auteur inventeur et le théoricien lecteur. 1 Genette, G. Nouveau discours du récit, Le Seuil, « Poétique », 1983, p. 108-109. 10 « Inventer la pratique » Genette n’a pas seulement appelé de ses vœux cette invention de la pratique ; d’une œuvre à l’autre, il ne cesse, ponctuellement mais régulière- ment, d’esquisser voire d’écrire ces textes possibles que la théorie permet- trait d’inventer. Que l’on songe seulement à ce « récit homodiégétique en focalisation externe » dont Nouveau Discours du récit interroge la possibi- lité et que, faute d’exemple, il tente aussitôt d’ébaucher : « Le tintement de la glace sembla me donner une inspiration »2. Que l’on se souvienne de ces passages plus troublants où le poéticien prend la plume non pas par manière de parenthèse, mais bien en droite ligne du travail : c’est de la question du rapport entre « narration extradiégétique » et « récit-cadre » que naît, dans Nouveau Discours du récit, l’ébauche d’un authentique récit-cadre pour À la Recherche du temps perdu (« Dans un salon parisien trois hommes bavar- daient devant la cheminée »3). C’est la question théorique de l’ordre et du rythme narratif qui conduisit le même G. Genette à produire, à propos du même roman, le sommaire que l’on sait : « Marcel devient écrivain »4 qu’une autre théoricienne corrigea pour plus d’exactitude en un « Marcel finit par devenir écrivain »5. C’est dans un autre chapitre de Palimpsestes, consacré à la transmétrisation, que se trouve encore esquissée une récriture en alexandrins du « Cimetière Marin », occasion de créer ce vers qui a le mérite de faire « recommencer la mer une fois de plus que dans l’original » : « La mer, la mer, la mer toujours recommencée »6. On pourrait voir dans ces exemples autant de digressions ludiques ou illustratives en regard du propos théorique et, dans le cas de G. Genette, le signe d’un élan créatif chez un théoricien trop timide pour créer et trop doué pour ne pas inventer. Or, ces passages ne sont nullement digressifs ; envisa- geant ce qui pourrait être écrit demain au lieu de se limiter à la description et à l’analyse de ce qui fut écrit hier, G. Genette manifeste un trait qui concerne toute la poétique moderne : parce qu’elle se pense et se pratique comme une description systématique des formes littéraires, parce qu’elle n’entend pas classer les textes qui existent mais dresser a priori un tableau systématique des formes littéraires, la poétique par la nature même de son projet envisage toutes les possibilités d’écriture – en quoi elle se place en amont bien plus qu’en aval de la production littéraire. La « figure » la plus explicite de cette position tient sans doute uploads/Litterature/ la-case-blanche-theorie-litteraire-et-textes-possibles.pdf
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- Publié le Jan 18, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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