Ida Zilio-Grandi La figure de Caïn dans le Coran In: Revue de l'histoire des re

Ida Zilio-Grandi La figure de Caïn dans le Coran In: Revue de l'histoire des religions, tome 216 n°1, 1999. pp. 31-85. Abstract The figure of Cain in the Koran In the Koran, the story of Genesis corresponds to the story about the burst out of evil in the Creation. Adam's wicked son represents in particular the evil which generates from within the human soul. It is neither the evil that comes from the use of reason, as in the case of the fallen angel, nor the evil born from disobeying God's Word as was the case of the first man. Cain is here analyzed in the Koranic text following the suggestions of some famous exegetical works and with ideas passed down by Tradition, beyond the Biblical substrate. Analizing the figure of Cain lends very well to any principal questions about the problem of evil in the Islamic culture. Résumé Dans le Coran, le récit de la Genèse correspond au récit de l'irruption du mal dans la Création. Le mauvais fils d'Adam représente en particulier le mal issu du plus profond de l'âme humaine. Ce n'est ni le mal qui provient de l'usage de la raison, comme dans le cas de l'ange déchu, ni le mal qui naît de la désobéissance à la parole divine, comme dans le cas du premier homme. Caïn est ici analysé dans le Coran, en suivant les suggestions de quelques exégètes célèbres et en présentant les développements introduits par la Tradition, au-delà du substrat biblique, fondamental à cet égard. Cette analyse permet d'aborder les principales questions soulevées dans la culture islamique autour du problème du mal. Citer ce document / Cite this document : Zilio-Grandi Ida. La figure de Caïn dans le Coran. In: Revue de l'histoire des religions, tome 216 n°1, 1999. pp. 31-85. doi : 10.3406/rhr.1999.1111 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1999_num_216_1_1111 IDA ZILIO-GRANDI Université de Venise La figure de Caïn dans le Coran Dans le Coran, le récit de la Genèse correspond au récit de l'irruption du mal dans la Création. Le mauvais fils d'Adam représente en particulier le mal issu du plus profond de l'âme humaine. Ce n'est ni le mal qui provient de l'usage de la raison, comme dans le cas de l'ange déchu, ni le mal qui naît de la désobéissance à la parole divine, comme dans le cas du premier homme. Caïn est ici analysé dans le Coran, en suivant les suggestions de quelques exégètes célèbres et en présentant les développements introduits par la Tradition, au- delà du substrat biblique, fondamental à cet égard. Cette analyse permet d'aborder les principales questions soulevées dans la culture islamique autour du problème du mal. The figure of Cain in the Koran In the Koran, the story of Genesis corresponds to the story about the burst out of evil in the Creation. Adam's wicked son represents in particular the evil which generates from within the human soul. It is neither the evil that comes from the use of reason, as in the case of the fallen angel, nor the evil born from disobeying God's Word as was the case of the first man. Cain is here analyzed in the Koranic text following the suggestions of some famous exegetical works and with ideas passed down by Tradition, beyond the Biblical substrate. Analizing the figure of Cain lends very well to any principal questions about the problem of evil in the Islamic culture. Revue de l'histoire des religions, 216-1/1999, p. 31 à 85 Dans le Coran, le récit de la Genèse coïncide avec le récit de l'irruption du mal et de son effective concrétisation au sein de la Création. Cette coïncidence se manifeste de manière explicite et originale : le substrat biblique, qui demeure le fon dement privilégié des énoncés relatifs à cet argument, s'enrichit ici de nouvelles hypothèses. Dans les passages coraniques consacrés à la Genèse1, l'émergence du mal est illustrée à trois moments différents du récit : en premier lieu, la révolte d'Iblîs contre Dieu, qui refuse de se prosterner en adoration devant le premier homme, car il se considère comme meilleur que lui ; puis la désobéissance d'Adam et de sa femme, tentés par Iblîs lui- même - en effet, ils ne respectent pas l'interdiction divine, mais obéissent aux chuchotements de Satan. Ils s'approchent de l'arbre et en goûtent les fruits ; ils découvrent alors la honte qui leur était jusque-là inconnue - enfin, l'action du fils impie d'Adam accomplie contre son propre frère, qui mène à la mort et à la première sépulture. Cette étude se propose d'analyser la figure de Caïn2. Nous examinerons, avant toutes choses, les données du Livre de l'Islam dans leur expression achevée3. Nous prendrons ensuite en examen la lexicologie relative à ce point et nous termine rons par le texte coranique tel qu'il paraît dans l'exégèse de certains commentateurs de grand renom. 1. Il s'agit de parties importantes extraites de cinq sourates révélées à La Mekke (7:11-28; 15:26-42; 17:60-65; 20:115-124; 38:71-85) et deux sourates révélées à Médine (2:30-39 ; 5:27-31) ; brèves allusions dans les ver sets 3:33 (période médinoise) et 18:50 (période mekkoise). 2. Comme extension, au sens théologique et spéculatif, de la recherche déjà consacrée à Caïn par W. Bork-Qaysieh, Die Geschichte von Kain und Abel (Hâbîl wa-Qâbîl) in der sunnitisch-islamischen Ûberlieferung, Berlin, 1993, menée sur des textes hagiographiques, historiographiques et de tradi tion populaire, et dans un esprit comparatif par rapport à la littérature hébraïque et chrétienne. 3. Sans tenir compte, autrement dit, des différentes lectures coraniques transmises par la Tradition ; ces dernières ne seront citées, par la suite, que si recueillies par les commentateurs. LA FIGURE DE CAÏN DANS LE CORAN 33 Le récit coranique La terre est tissée d'inimitiés. La condition historique de l'homme est placée sous le signe de l'hostilité envers Satan. Lorsque Dieu chassa du Jardin les désobéissants, Sa parole fut très claire : « Vous serez [vous et vos descendants] les uns ennemis des autres. »4 Les créatures ont transgressé ; négligeant les commandem ents divins et détournant leur regard, elles ont franchi les limites établies par Dieu et se sont hâtées de dépasser les bor nes. Elles s'agressent à présent les unes les autres, en empiét ant constamment sur le terrain de l'autre, en se passant leur propre mal, en se contaminant et s'infectant mutuellement5. La corruption (fasâd) et l'effusion de sang (safk al-dimâ') paraissent inévitables6. L'histoire se déroule en partant du bas ; les hommes ont été précipités, jetés à terre et c'est à partir de cette position basse que les deux fils d'Adam tentent de s'approcher (qar- raba) de Dieu, en offrant (à nouveau qarrabd) le premier sacrifice (qurbân) de l'histoire. La progéniture d'Adam dirige aussitôt son geste vers le Seigneur. Ce désir de s'approcher de Dieu est la première action humaine, après la chute, que le 4. Ba'du-kum li-ba'din 'aduwwun, Cor. 2:36 et 7:24. Toutes les citations du Coran sont extraites de la traduction du Cheikh Boubakeur Hamza (Alger, 1989), à l'exception des cas qui peuvent sembler ambigus dans le cadre de ce travail. 5. Tel est le champ sémantique de la racine 'dw, d'où dérivent précisé ment, entre autres, les termes : 'aduww, « ennemi », 'adâ, passer près de quelque chose sans y prêter attention, dépasser les limites, transgresser; mais aussi contaminer par une maladie contagieuse, d'où 'adw, syphilis ; 'adwa et 'idwa, bord, frontière, rive ; 'adwâ, 'adâ' et 'idâ', course. Cf. A. De Biberstein Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, Paris, 1860 (réimpr. Bey routh s.d.), II, 193-198 ; R. Dozy, Supplément aux dictionnaires arabes, Leyde, 1881 (réimpr. Beyrouth, 1981), II, 104-106. 6. Cf. in Cor. 2:30, les paroles des anges à Dieu : « Placeras-tu [sur la terre] quelqu'un qui y sèmera le désordre et y versera le sang (man yufsidu fï-hâ wa yasfiku al-dimâ'), alors que nous par nos louanges, nous publions ta gloire et magnifions [par nos prière] ta sainteté ? » 34 IDA ZILIO-GRANDI Coran rapporte, dans la sourate de la Table : « Narre-leur en toute vérité ce qui advint aux deux fils d'Adam, lorsqu'ils offrirent [à Dieu] leurs oblations. Celle de l'un fut acceptée, celle de l'autre refusée. »7 Ce rapprochement n'est pas permis aux deux ; seul à l'un est autorisé ce rapprochement de Dieu, tandis que l'autre n'obtient : rien ; Dieu tourne son regard vers l'un et non pas vers l'autre8 : Dieu ne concède pas aux deux la proximité de sa propre personne; il se sert - et cet usage n'est pertinent qu'à lui seul - du libre choix : « Ton Seigneur crée ce qu'il veut et choisit pour les hommes ce qui leur convient le mieux. »9 Le fait de découvrir que Dieu porte une attention différente à leurs tentatives de rapprochement pose les hom mes face à la différence qui existe entre eux et les oblige à reconnaître les oppositions qui les séparent. « Celle de l'un fut acceptée, celle de l'autre refusée : "Cert es, je te tuerai", s'écria celui-ci [à l'adresse de son frère] qui dit : "Dieu n'accepte que les offrandes uploads/Litterature/ la-figure-de-cai-n-dans-le-coran-pdf.pdf

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