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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Kom Ambroise Études françaises, vol. 37, n° 2, 2001, p. 33-44. Pour citer la version numérique de cet article, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/009006ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/documentation/eruditPolitiqueUtilisation.pdf Document téléchargé le 31 octobre 2009 « La littérature africaine et les paramètres du canon » 33 La littérature africaine et les paramètres du canon ambroise kom Face aux littératures dûment instituées d’Europe et surtout des anciens pays impériaux, la France et la Grande-Bretagne en l’occurrence, les littératures dites émergentes d’Afrique, d’Asie, des Caraïbes, et même de la diaspora européenne des Amériques et d’Australie, ont du mal à se faire reconnaître et surtout à dégager des classiques représentatifs de la culture dont se réclament leurs auteurs. Malgré l’immensité du cor- pus, malgré les nombreux prix engrangés, on sait le mal qu’ont dû et doivent encore parfois se donner les spécialistes de la littérature des États-Unis d’Amérique pour faire entendre leur voix dans les départe- ments d’anglais des maisons d’enseignement, autant en Europe qu’un peu partout dans le monde, y compris parfois aux États-Unis même. Pour pas mal de spécialistes, les départements d’anglais sont moins un lieu d’enseignement des littératures de langue anglaise qu’un espace réservé à l’enseignement de la littérature britannique. Toujours est-il qu’au regard des institutions qui se sont créées dans nombre de pays industrialisés certaines querelles hégémoniques pren- nent un caractère de plus en plus feutré. Bien que certains combattants d’arrière-garde n’aient pas baissé les bras, oser mettre en question l’importance du corpus des États-Unis face à la littérature de Grande- Bretagne est une bataille bien dérisoire. Pareil phénomène peut s’ob- server au Canada où l’on constate aisément qu’au Québec même, par exemple, la littérature québécoise a pour ainsi dire gagné la guerre qui l’opposa naguère à la littérature française. Depuis quelque temps déjà, au Québec, la légitimité passe de moins en moins par Paris. 34 études françaises • 37, 2 Mais si les littératures émergentes des pays du Nord ont presque tiré leur épingle du jeu, du fait sans doute qu’elles ont développé des stra- tégies institutionnelles d’inspiration européenne, pas mal reste à faire en ce qui concerne les pays du Sud, l’Afrique en particulier, et l’Afrique francophone de manière plus précise encore. Alors que, dans les pays du Nord, des politiques volontaristes permettent d’encourager la pro- duction culturelle locale et nationale et de favoriser la création d’insti- tutions littéraires autonomes, les responsables de la plupart des pays africains, sous prétexte de donner la priorité à un hypothétique dévelop- pement économique, se préoccupent peu de l’avenir culturel de leur espace. À telle enseigne qu’il n’est pas évident, près de soixante-dix ans après le mouvement de la négritude (1933), de dire ce qui, en réalité, définit l’africanité de la littérature africaine. En quoi est-elle spécifique, ou autonome, puisque ni son écriture, ni sa critique, ni ses institutions, ni les instances qui la légitiment n’ont de prétention à l’autonomie? Certes, on parle de plus en plus d’une litté- rature francophone d’origine africaine, mais s’agit-il d’une littérature française d’Afrique ou d’une littérature africaine de langue française? Le débat est loin d’être tranché et je ne m’attarderai pas sur la polémi- que qu’anime le Kényan Ngugi wa Thiong’o au sujet de ce qu’il ap- pelle la langue de la littérature africaine. D’autres se sont demandé si l’écriture dans une langue étrangère peut traduire les réalités d’un autre monde, d’une autre culture. Ngugi leur emboîte un peu le pas et pose la question fondamentale de savoir si la littérature africaine doit s’écrire dans la langue maternelle de l’auteur (gikuyu, swahili, yoruba, hosa, etc.) ou si on peut appeler littérature africaine des textes qui s’éla- borent dans la langue de l’Autre, une langue qui, comme les religions étrangères, fut introduite en Afrique comme un moyen de déportation spirituelle. Ngugi croit avoir trouvé la solution puisqu’il a résolu de ne plus créer qu’en kikuyu. Mais il se charge immédiatement de se tra- duire en anglais avant de conclure, un peu rêveur : The future of the African novel is then dependent on a willing writer (ready to invest time and talent in African languages) ; a willing translator (ready to invest time and talent in the art of translating from one African language into another); a willing publisher (ready to invest time and money) or a progressive state which would overhaul the current neo-colonial lin- guistic policies and tackle the national question in a democratic manner; and finally, and most important, a willing and widening readership1. 1. Ngugi wa Thiong’o, Decolonising the Mind : The Politics of Language in African Literature, Londres, James Currey/Heinemann, 1986, p. 85. 35 Contrairement aux littératures européennes, qui reposent sur des souches culturelles repérables, des préoccupations historiquement iden- tifiables, et qui bénéficient des instances confirmées de consécration, la production africaine est parfaitement hybride, d’autres parleraient même d’inauthentique. Non seulement elle ne s’appuie sur aucune ins- tance légitimante (enseignement institué, maisons d’éditions dignes de ce nom, public identifiable, prix institués, etc.) à «domicile», à l’intérieur du continent, mais elle est enseignée, publiée et même distribuée dans la plupart des cas par nombre d’enseignants/chercheurs, d’éditeurs et de distributeurs — africains et non africains — venus d’ailleurs, je veux dire d’autres disciplines, c’est-à-dire dont la formation de base ne relève pas du domaine proprement africain. Jusqu’à une date récente, la plupart des enseignants de littérature africaine étaient des transfuges d’autres littératures, anglaise et française notamment, et toute la critique était pour ainsi dire subordonnée aux pratiques en cours dans ces autres champs. Ainsi s’explique le dialogue de sourds et les polémiques qui ont marqué les rapports entre écrivains, entre critiques, ou même entre des écrivains et des critiques de la littérature africaine. Un malentendu originel On se souviendra à ce propos de la violente diatribe de Mongo Beti contre Camara Laye qu’il trouvait trop peu engagé: « Laye, écrit-il, ferme obstinément les yeux sur les réalités les plus cruciales […]. Ce Guinéen […] n’a-t-il donc rien vu d’autre qu’une Afrique paisible, belle, maternelle? Est-il possible que pas une seule fois Laye n’ait été témoin d’une seule petite exaction de l’administration coloniale2?» Sur un ton plus conciliant, Jacques Rabemananjara tient le même discours que Mongo Beti puisqu’il affirme: Le temps n’est pas encore né où [les Africains] auraient loisir de […] s’adonner au culte de l’art pour l’art. Toujours est-il que, pour notre part, notre conviction est faite et elle est simple. C’est à la seule situation de son peuple dans les circonstances présentes que le poète noir doit sa distinc- tion des autres poètes, la manière spéciale de son inspiration et la diffé- rence inéluctable de son accent dans le concert poétique de notre temps3. Pareil débat entre artistes va se retrouver au niveau de la critique ou plutôt entre les défenseurs de la vision eurocentrique de la littérature 2. Mongo Beti, Trois écrivains noirs, Paris, Présence Africaine, 1954, p. 420. 3. Jacques Rabemananjara, «Le poète noir et son peuple», Présence Africaine, no 16, oct-nov. 1957, p. 29. la littérature africaine et les paramètres du canon 36 études françaises • 37, 2 et ceux qui croient en l’idée d’une création africaine originale. Pour Noureini Tidjani Serpos, le colonisé «n’écrit pas pour dire que la vie est belle parce que, quand on la trouve belle, on en jouit sans perdre des minutes précieuses à l’écrire4». Senghor, quant à lui, vole au secours de Camara Laye, au nom de l’étymologie du genre : «Lui reprocher de n’avoir pas fait le procès du colonialisme, c’est lui reprocher de n’avoir pas fait un roman à thèse, ce qui est le contraire du romanesque, c’est lui reprocher d’être resté fidèle à sa race, à sa mission d’écrivain5.» Plus récemment, Catherine Ndiaye a emboîté le pas à Senghor en affirmant: «Il serait temps que l’écrivain du tiers-monde se comporte en esthète — qu’il abandonne l’œil du sociologue, qu’il laisse tomber le ressassement de l’historien et qu’il se détourne de la réduction de l’économiste6.» Du côté de la critique non africaine, c’est avec une certaine per- plexité que la littérature africaine a été d’abord perçue. Reléguée à la périphérie, la littérature africaine bénéficie d’un statut pour le moins problématique dans les institutions françaises. C’est plusieurs années après l’élection de Léopold Sédar Senghor à l’Académie française que ses poèmes ont été inscrits aux programmes officiels de certains ensei- gnements. Mais la meilleure illustration qu’on peut donner de l’accueil de la littérature africaine dans les anciennes métropoles impériales est celle de Wole Soyinka, que Bart Moore-Gilbert uploads/Litterature/ la-litterature-africaine-et-les-parametres-du-canon.pdf

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