STUDIA UBB DRAMATICA, LXI, 2, 2016, p. 29 - 53 (Recommended Citation) La Mise e
STUDIA UBB DRAMATICA, LXI, 2, 2016, p. 29 - 53 (Recommended Citation) La Mise en scène de soi : Tzara, l’avant et l’après ŞTEFANA POP-CURŞEU1 Abstract: Self-Staging: Tzara, Before and After. Hundred years after the birth of the Dada movement in Zürich, Tristan Tzara’s theatre is unjustly not as well known as his poetry or manifestos. Being himself a theatrical person, always staging his own personality as the leader of the Dadaists in Zürich and Paris, he refused to walk on already traced paths, in a similar way the medieval fools had done it in their search for the abolition of given rules and conventions. Turning upside down the traditional dramaturgical and staging patterns, Dadaist plays such as Mouchoir de nuages (Cloud Handkerchief) or Cœur à gaz (Gas Heart) leave behind a significant heritage if we think of surrealist performing arts and of the New Theatre of the 60’s, especially Eugène Ionesco’s and Samuel Beckett’s theatrical work. The present study focuses on how Tzara’s personality and work can be seen as part of the same genealogical theatrical line as the famous Shakespearian triad “the poet, the lunatic and the fool”, and which are the constants making of him not only an acrobat-poet (in the tradition of the antique mime and of the medieval fool), but also a path opener and a dramatic character in the history of the 20th and 21st century modern and postmodern literature. Keywords : Tristan Tzara, Dada, Mouchoir de nuages, avant-garde, medieval fool, theatre of the Absurd. À l’occasion de la célébration du centenaire de la naissance du mouvement Dada, la relecture de l’œuvre de Tristan Tzara, le leader roumain des dadaïstes en pays francophones, et un des inventeurs du terme même de « Dada », fondateur du mouvement, s’avérait nécessaire. Mais 1 Faculté de Théâtre et Télévision, Université Babeş-Bolyai Cluj-Napoca, email : pop_curseu@yahoo.com ŞTEFANA POP-CURŞEU 30 comment peut-on parler de « relecture » en regardant le nombre de volumes de ses écrits, soigneusement assemblés, ordonnés, mis en perspective et édités par Henri Béhar ? A-t-on jamais véritablement lu Tristan Tzara ? Ce poète excentrique qui est resté dans la mémoire du XXème siècle toujours jeune, le monocle à l’œil droit, débitant énergiquement ses manifestes dadaïstes et sortant des morceaux de papier journal d’un chapeau ou de ses poches pour en faire un poème ; un personnage que tout le monde semble connaître, mais qui n’est malheureusement que trop vite étiqueté, entouré de clichés simplificateurs. Pourtant, plus on se plonge dans la lecture de ses poèmes, de son théâtre, de ses proses et textes critiques, plus on découvre un homme profondément attaché à la vie, à liberté, à l’être humain avec toutes ses contradictions, ses désirs fous, ses pulsions, sa violence, mais aussi ses rêves, ses joies, ses jeux, ses bonheurs et douleurs primitives, son humour, ses penchants innés pour l’expression artistique, son désir de liberté absolue. On découvre cet homme qui, au-delà de l’enfant terrible, est aussi, comme le dépeint Henri Béhar, un poète véritablement « convaincu des vertus essentielles de l’humanité »2. Non pas un classique, ni un moderne comme nombre de ses contemporains, mais plutôt un antimoderne, tel qu’Antoine Compagnon comprend le terme, se situant dans la lignée de Chateaubriand, Nietzsche et, encore plus que tous, Charles Baudelaire, adversaire, comme plus tard Tzara, de ce « fameux style coulant, cher aux bourgeois »3. Car, comme l’affirme Antoine Compagnon : Il y a une verve propre aux antimodernes, car la posture antimoderne, fondée sur un paradoxe – « je plaide une cause où tout se tournerait de nouveau contre moi si elle triomphait », admettait Chateaubriand –, est un prodigieux engrenage rhétorique. L’énergie du désespoir, la vitalité désespérée donnent une éloquence qui peut toucher au sublime.4 Et dans le cas de Tristan Tzara, la présence constante de la verve et du paradoxe, que ce soit dans le discours ou dans le comportement artistique, s’accompagne justement de cette énergie du désespoir paire de la vitalité 2 Dans la Préface du tome I des Œuvres complètes de Tristan Tzara, Paris, Flammarion, 1975, p. 6. 3 Charles Baudelaire, Mon cœur mis à nu, in Œuvres complètes, éd Claude Pichois, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1975-1976, 2 vol., t. I, p. 686. 4 Antoine Compagnon, Les Antimodernes de Joseph de Maistre à Roland Barthes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Idées », 2005, p. 135. LA MISE EN SCÈNE DE SOI : TZARA, L’AVANT ET L’APRÈS 31 désespérée, due à la pression thanatique de la première conflagration mondiale, et d’une éloquence poétique à touches sublimes, qui le rapproche d’une figure emblématique de la littérature dramatique : Hamlet. Hamlet, dans ses trois hypostases « le poète, le fou et le bouffon », qui traverse comme un fantôme son œuvre, depuis ses premiers poèmes5, en passant par sa pièce Mouchoir de nuages, jusqu’à ses dernières préoccupations liées au décryptage des anagrammes de Villon. Hamlet le justicier, l’amant passionné, le poète, le philosophe mais surtout le metteur en scène : metteur en scène de souricières pour déjouer les plans de ses spectateurs et metteur en scène de soi, bouffon, fou, sot, saltimbanque, personnage au deuxième degré. Comment la personnalité et l’œuvre de Tristan Tzara s’inscrivent-elles dans la lignée théâtrale de la fameuse triade shakespearienne et quelles sont les constantes qui font finalement de Tzara non pas seulement un poète-saltimbanque (dans la tradition du mime antique ou du sot médiéval), mais aussi un véritable personnage dans l’histoire de la littérature moderne et postmoderne du XXème et XXIème siècle ? Si nous regardons de plus près les textes poétiques de Tzara, on peut remarquer que les références aux saltimbanques et au monde des funambules sont assez fréquentes déjà dans ses premiers poèmes roumains. Dans Vacances en Province et Viens à la campagne avec moi, ce monde théâtral apparaît comme une alternative au présent donné : Mais j’ai à la maison un polichinelle à clochettes Pour distraire ma tristesse quand tu me trompes. ou Je voudrais lentement disparaître au long du pays, Et voir mon âme hésiter comme le danseur sur sa corde.6 Cette fugue imaginaire prendra un contour réel au moment où, quittant la Roumanie natale, Tzara est mis en contact avec le fascinant couple Hugo Ball et Emmy Hennings, par son ami, ancien camarade de lycée, Marcel Iancu (Janco). Le Cabaret Voltaire devint, dès les premières soirées, un espace de liberté d’expression acrobatique et de plus en plus explosive, un espace de 5 Tzara, OC., t. 1, p. 437-439. 6 Ibidem, pp. 29 et 33. ŞTEFANA POP-CURŞEU 32 mise en scène de soi où la projection mentale de l’hésitation du danseur sur sa corde se concrétise dans l’apparition saugrenue devant le public bourgeois zurichois, et devient ainsi une extraordinaire source d’adrénaline et de force créatrice qui délivre du présent, du climat étouffant de la première guerre mondiale. Se mettre en scène : auteur-acteur-performeur Dès leurs premières apparitions en public, les dadaïstes ont affirmé haut et fort la liberté d’être ce qu’on est mais aussi celle d’être différent, de changer d’avis et de se transformer, en se jouant des conventions sociales et de idées bien arrêtées. Si Apollinaire, à propos de sa pièce Les mamelles de Tiresias, parlait de la nécessité de surprendre les spectateurs, dans « l’esprit nouveau » lancé déjà par Alfred Jarry7, Tristan Tzara va plus loin en voulant choquer ces mêmes spectateurs, afin d’apporter un changement réel dans leur conscience artistique et sociale. Pour atteindre ce but, tout devait subir un bouleversement, se retrouver sens dessus-dessous, et répondre au principe de la spontanéité en assumant ses effets attendus ou inattendus sur le spectateur. Et cela ne pouvait être obtenu que par la confrontation directe, sans médiation avec le spectateur visé. Ainsi, les poètes et auteurs de théâtre avant-gardiste dada et plus tard, surréaliste, ne sont-ils pas les auteurs d’une pièce dramatique, d’un texte littéraire à mettre en scène, mais les auteurs de spectacles : spectacles-parades d’images, de paroles, de mouvements, de présence scénique théâtrale en liberté. À ce propos, il suffit de citer un fragment très parlant du manifeste dadaïste inclus dans La première aventure céleste de Monsieur Antipyrine, en 1916 : Dada est l’art sans pantoufles ni parallèle ; qui est contre et pour l’unité et décidément contre le futur ; nous savons sagement que nos cerveaux deviendront des coussins douillets que notre anti-dogmatisme est aussi exclusiviste que le fonctionnaire que nous ne sommes pas libres et que nous crions liberté Nécessité sévère sans discipline ni morale et crachons sur l’humanité. Dada reste dans le cadre européen des faiblesses, c’est tout de même de la merde, mais nous voulons 7 « C’est par la surprise, par la place importante qu’il a faite à la surprise que l’esprit nouveau se distingue de tous les mouvements artistiques et littéraires qui l’on précédé. », Apollinaire, « L’esprit nouveau et les poètes » in Mercure de France, 1er décembre 1918 (publié un mois après sa mort). 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- Publié le Apv 13, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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