La nature théâtre de Dieu, selon Jean Bodin Author(s): Ann M. Blair Source: Nou

La nature théâtre de Dieu, selon Jean Bodin Author(s): Ann M. Blair Source: Nouvelle Revue du XVIe Siècle, Vol. 7 (1989), pp. 73-91 Published by: Librairie Droz Stable URL: http://www.jstor.org/stable/25598723 Accessed: 04-06-2018 14:16 UTC JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://about.jstor.org/terms Librairie Droz is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Nouvelle Revue du XVIe Siècle This content downloaded from 146.155.94.33 on Mon, 04 Jun 2018 14:16:03 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms Nouvelle Revue du Seizieme Siecle - 1989 - n? 7, pp. 73-91 LA NATURE THEATRE DE DIEU, SELON JEAN BODIN Vers la fin d'une carriere mouvementee comme avocat, conseiller du due d'Alengon et procureur du roi, Jean Bodin ajoute en 1596 a la liste dej& pres tigieuse de ses publications YUniversae naturae theatrum. Cet in-octavo de 631 pages est divise en cinq livres traitant, sous la forme d'un dialogue, du principe et des causes de toutes choses: des elements, meteores, mineraux et metaux; des plantes et animaux; de Pame; et des corps celestes, soit les domaines traditionnels de la ?physique)) antique1. La premiere edition publiee k Lyon en 1596 fut suivie de renditions a Francfort en 1597 et a Hanau en 1605, chez Wechel. Une traduction frangaise par le medecin lyonnais Frangois de Fougerolles parut a Lyon en 1597. On peut se demander pour quoi un homme dont la renommee internationale reposait sur les multiples editions de la Rgpublique, appuyees de la Mithode de l'histoire et de la D&monomanie, se tournait maintenant, et si serieusement, vers la science naturelle; quels aspects de la nature Pinteressaient plus particulierement; et avec quels lecteurs il partageait cet interet. Bodin ne meritera certes pas de figurer au pantheon des grands hommes de science de son temps; mais, pre cisement pour cette raison, son livre peut aider k definir ce qu'est pour une 61ite cultivee non-specialiste la science de la fin du XVIe siecle, et a situer celle-ci dans un contexte culturel plus large avant tes developpements dits r6volutionnaires du siecle suivant. La derniere oeuvre publiee de Jean Bodin, trop meconnue, revele k la fois une ambition caracteristique de Bodin de trouver des lois naturelles universelles et un souci plus prononce qu'ailleurs de faire une apologetique de la foi. II est possible que Bodin ait forme le projet d'ecrire le Theatre des le temps de sa Mfrhode de l'histoire de 1566. II ecrit au debut de celle-ci: ?I1 y a trois sortes d'histoire ou de recit veridique: l'histoire humaine, l'histoire naturelle et Phistoire sacree [...]. Ainsi en agirons-nous avec les ignorants qui saisiront d'abord dans les choses humaines la bonte et la transcendance divi nes, pour la percevoir ensuite dans les causes les plus remarquables de la 1 R.P. Festugiere, La Re've'lation d*Hermes Trisme'giste, vol. II: ?Le Dieu cosmique?, Paris, Les Belles Lettres, 1981, p. 361, n. 2. This content downloaded from 146.155.94.33 on Mon, 04 Jun 2018 14:16:03 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms 74 ANN M. BLAIR nature, dans les proprietes et la splendeur des corps celestes, enfin dans l'ordre admirable, le mouvement, Pimmensite, Pharmonie et la beaute de Punivers: autant de degres qui nous conduiront enfin k retrouver notre filia tion divine, a renouer Punion totale avec notre Createur.?2 Les histoires humaine et naturelle constituent ainsi pour Bodin des etapes de la progres sion de ?l'ignorant? vers la connaissance du divin3. L'epitre dedicatoire du Theatre ne va pas k Pencontre de ce projet ante rieur de trente ans mais le complete. Pour justifier son nouveau livre, Bodin, en bonne rhetorique, y presente un bilan assez negatif du projet de la Methode de constituer une science du droit universel fondee sur l'etude com parative des lois et des coutumes: ?Cela explique assez pourquoi de tout temps et en tout lieu, les bornes de cette discipline [une science du droit] n'ont pu etre etablies, puisqu'elle depend du jugement et des erreurs des hommes a tel point que ce que certains jugeront dignes de recompense, d'autres le trouveront meriter le supplice [...]. J'ai assurement ete retenu de fonder une science des lois par la pensee que tous les edits, decrets et lois des peuples se rapportent au hasard des jugements et des passions des hommes, s'ils ne s'appuient pas sur la loi divine, c'est-a-dire naturelle, qui est comme le fil qui, dans un labyrinthe, guide nos pas aveugles.?4 Au contraire, Bodin montre qu'une science de la nature ne presente aucune de ces difficultes: elle n'est pas sujette aux caprices des hommes mais revele clairement la volonte de Dieu. Ainsi ?dans la nature rien n'est incertain. Nous voyons bien que le feu brule en Perse comme chez les Celtes et que la neige est blanche partout et que le cours des orbes celestes est constant comme les lois qui les regissent sont semblables k elles-memes depuis leur toute premiere origine: et pour cette raison nous sommes exhortes par les oracles et les decrets et les senten ces de tous les sages k suivre la nature, notre guide, comme une divinite?5. L'etude de la nature est done superieure a toutes les autres sciences: nul plai sir plus doux, nulle contemplation plus noble ni plus libre des passions et ambitions humaines que de penetrer les replis caches de la nature, de com prendre Penchainement des causes et des effets, d'admirer a la fois la beaute, la Constance et la variete de ses phenomenes. 2 Jean Bodin, La Mithode de l'histoire, d. et tr. Pierre Mesnard, Paris, Presses Universi taires de France, 1951, pp. 114, 281-282. 3 Voir Pierre Mesnard, ? Jean Bodin et le probleme de r&ernite* du monde?, Bulletin de VAssociation Guillaume Bude', (1951), 117-131, p. 117. 4 Jean Bodin, Universae naturae theatrum, Francfort, Wechel, 1597, ff. 2 v?-3 r?. 5 Theatrum, f. 3 r?. This content downloaded from 146.155.94.33 on Mon, 04 Jun 2018 14:16:03 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms LA NATURE THEATRE DE DIEU, SELON JEAN BODIN 75 Mais Bodin ne loue pas la science naturelle seulement pour lui avoir fait oublier les malheurs des guerres civiles et les plaisirs meilleurs qu'il dit, de fa$on quelque peu contradictoire d'ailleurs, avoir connus auparavant. La science naturelle est utile avant tout comme un outil de persuasion sans egal. ?Comme il est precieux que ceux que ni les preceptes de la loi divine ni les oracles des prophetes ne peuvent arracher a leur folie inveteree et tourner vers le culte de la vraie divinite, soient forces par les tres certaines demonstrations de cette science comme par la torture et la question a abandonner toute impi&e et k adorer la seule et unique divinite eternelle!?6 Bodin propose done le Theatre comme une arme contre les impies: ?Parce qu'il nous faut souvent disputer avec ceux qui n'ont aucun gout de la vraie piete, on doit les contraindre par la science naturelle. [...] C'est le devoir du philosophe non de contraindre par la force ouverte mais de presser par la raison, d'enseigner et d'instruire en entramant a Passentiment par des raisons non seulement probables mais aussi necessaires: tache que nous croyons avoir principale ment accomplie dans cette disputation. ?7 Le Theatre peut ainsi s'inscrire dans une etude generale de la polemique au XVIe siecle: il constitue d'une certaine fagon une argumentation soutenue contre ces impies un peu myste rieux que ?ni les preceptes de la loi divine ni les paroles des prophetes n'ont pu tirer de leur folie?. II est peut-etre utile de voir cet acharnement contre Pimpiete en partie comme une strategic de la part de Bodin. En attaquant des impies dont la definition satisferait pleinement tous les partis religieux, Bodin s'assurait Passentiment de son lecteur. II pouvait ainsi eviter des declarations specifi ques concernant sa propre position religieuse qui auraient pu le mettre dans une situation delicate. Bodin preserve habilement Pambigui'te sur la nature de sa propre foi, si bien qu'on Pa cru catholique, protestant, juif et natura liste. Ce n'est pas mon propos d'essayer d'apprecier ?ce que Bodin croyait vraiment?, tache ardue, sinon vaine, etant donn6 le manque de documents personnels, mais la strat6gie bodinienne de Pambigui'te doctrinale a Pinte rieur d'une oeuvre ou Dieu reste le figurant principal est remarquable et m6rite d'etre etudtee pour elle-meme. Bodin est certainement prudent, mais je ne vois pas pour autant de raison de douter de la sincerite de ses attaques contre Pimpiete. La passion qui Panime a travers le livre est en effet de mon trer la providence, la puissance et la bonte d'un Dieu createur et directeur du monde. 6 Theatrum, ff. 3 r?-v?. 7 Theatrum, ff. 3 v?, 4 r?. This content downloaded from 146.155.94.33 on Mon, 04 Jun 2018 14:16:03 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms 76 ANN M. uploads/Litterature/ la-nature-theatre-de-dieu.pdf

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