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{PAGE } Du narcissisme chez Lacan Alice Delarue Conférence à la Section clinique de Strasbourg 22 novembre 2014 Dans l’argument qui annonce votre thème de travail pour cette année, « Narcissisme et Perversion », vous mentionnez, je cite, l’une des dernières « efflorescence de notre temps », le terme de perversion narcissique. Cela fait en effet plusieurs années que ce terme envahit la littérature psy, les médias, mais aussi les lieux de soins et même les cabinets d’analystes. Vous nous invitez, dans ces quelques lignes, à refuser de conjoindre ces deux termes et à en faire l’étude distincte. Je vous propose pour ma part de reprendre le trajet de la notion de narcissisme chez Lacan. Narcissisme et libido C’est tandis qu’il s’attache, dans son premier Séminaire, à démontrer la plurivalence de la notion de transfert, qui « s’exerce à la fois dans plusieurs registres, le symbolique, l’imaginaire et le réel »1, que Lacan va s’atteler à mettre au jour la structure qui articule la relation narcissique, relisant au plus près le texte freudien daté de 1914 « Pour introduire le narcissisme ». Alberto Eiguer, « théoricien » de la perversion narcissique, affirme, dans son ouvrage Le pervers narcissique et son complice, que, je le cite, « le narcissisme a été considéré, à l’origine, comme une perversion. S. Freud (1914) dit avoir emprunté le terme “narcissisme” à P. Näcke (1899), lequel l’avait trouvé chez H. Ellis (1898) ; ces deux derniers le considèrent comme une perversion. Souvenons-nous également que le terme “narcissique” apparaît pour la première fois dans l’œuvre [de Freud] pour expliquer le choix d’objet de l’homosexuel qui se prend lui-même comme modèle d’objet sexuel »2. Freud emprunte en effet le terme de narcissisme à Näcke, chez lequel il désigne « le comportement par lequel un individu traite son propre corps de façon semblable à celle dont on traite d’ordinaire le corps d’un objet sexuel ». Le narcissisme aurait alors la signification 1 Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les écrits techniques de Freud, Paris, Seuil, 1975, p. 130. 2 Eiguer A., Le pervers narcissique et son complice, Paris, Dunod, 2012, p. 4. {PAGE } d’une perversion, remarque Freud à propos de cette définition. Mais il choisit d’emblée de ne pas rabattre le narcissisme sur la problématique perverse, l’articulant à sa théorie générale de la libido et des pulsions : « un certain placement de la libido, qui doit être considérée comme narcissisme [...], peut revendiquer sa place dans le développement sexuel régulier de l’être humain ». Le narcissisme est, précise-t-il, « le complément libidinal à l’égoïsme de la pulsion d’autoconservation »3. Et c’est le champ des psychoses (notamment la mégalomanie), et non celui des perversions, qui lui donne le « motif impérieux » de s’intéresser à la question du narcissisme. Dans son commentaire, Lacan rappelle que Freud, en réponse à Jung qui tendait à diluer le concept de libido dans la « notion vague d’intérêt psychique »4, s’attache dans ce texte à isoler la libido, sexuelle, de l’ensemble des fonctions de conservation de l’individu. Mais il s’agit aussi pour Freud de séparer la libido égoïste, narcissique, de la libido sexuelle. Comment la libido du moi et la libido d’objet peuvent-elle être rigoureusement distinguées « si on conserve la notion de leur équivalence énergétique, qui permet de dire que c’est pour autant que la libido est désinvestie de l’objet qu’elle vient se reporter dans l’ego ? »5 Pour Freud, en effet, le délire de grandeur apparaît aux dépends de la libido d’objet : « la libido retirée au monde extérieur a été apportée au moi, si bien qu’est apparue une attitude que nous pouvons nommer narcissisme »6. L’on connait aussi l’importance de cette distinction dans son texte « Deuil et mélancolie » : dans la mélancolie la libido retirée à l’objet et rapportée au moi y sert alors à « établir une identification du moi avec l’objet abandonné »7. Rappelons enfin que Freud parlera en 1916 des névroses narcissiques8 pour désigner les psychoses, les opposant aux névroses dites de transfert (l’hystérie et la névrose obsessionnelle). On peut aussi penser aux personnalités as if d’Helene Deutsch, qui note que dans ces cas de psychoses discrètes les investissements d’objets, et par conséquent le transfert, sont appauvris. Freud va faire l’hypothèse d’un « narcissisme primaire », c’est-à-dire d’un investissement libidinal originaire du moi, dont une partie sera plus tard cédée aux objets, et d’un « narcissisme secondaire » – lorsque la libido investie dans les objets fait retour sur le moi. Mais, problème, comment distinguer ce narcissisme primaire de l’autoérotisme, dont il a démontré dans ses « Trois essais sur la théorie de la sexualité » la présence « dès l’origine » ? On voit pourquoi Lacan a insisté à plusieurs reprises sur le fait que « tout ce qui concerne le 3 Freud S., « Pour introduire le narcissisme », La vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, p. 82 & 81. 4 Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les écrits techniques de Freud, op. cit., p. 132. 5 Ibid., p. 132-133. 6 Freud S., « Pour introduire le narcissisme », op. cit., p. 82-83. 7 Freud S., « Deuil et mélancolie », Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1968, p. 158. 8 Freud S., Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 1961, p. 397. {PAGE } développement prégénital de la libido n’est concevable [pour Freud] qu’après l’apparition de la théorie du narcissisme »9. De fait, nous dit Lacan, Freud est amené à concevoir le narcissisme comme un processus secondaire, forcé de convenir qu’il « n’existe pas dès le début, dans l’individu, une unité comparable au moi ; le moi doit subir un développement »10. C’est en effet à partir de l’Urbild, commente Lacan en se référant à sa théorisation du stade du miroir, que le moi « commence de prendre ses fonctions ». C’est cela qui « donne forme » au narcissisme, ou plutôt c’est l’assujettissement à l’image narcissique qui donne forme au moi. Il introduit alors son schéma optique : il y a d’abord « un narcissisme qui se rapporte à l’image corporelle [...] et donne sa forme à l’Umwelt »11 – il fait l’unité du sujet. Il y a ensuite un second narcissisme, qui tient au fait que son semblable, le petit autre, a pour l’homme « valeur captivante, de part l’anticipation que représente l’image unitaire telle qu’elle est perçue soit dans le miroir, soit dans toute réalité du semblable ». Dès lors, l’identification narcissique c’est « l’identification à l’autre qui [...] permet à l’homme de situer avec précision son rapport imaginaire et libidinal au monde en général »12. L’aliénation de l’homme à l’image réfléchie de lui-même structure également le rapport réflexif à l’autre ; le narcissisme est l’investissement libidinal de l’image de l’ego13. Nous sommes loin de la définition de Näcke ! Et bien plus proches du mythe rapporté par Ovide, dans lequel Narcisse est « saisi par l’image de la beauté qu’il aperçoit »14. Lacan formulera d’une manière saisissante la distinction entre autoérotisme et narcissisme dans son « Discours aux catholiques », en 1960 : « Je m’aime moi-même [...], je suis lié à mon corps par [...] [la] libido. Mais ce que j’aime en tant qu’il y a un moi où je m’attache d’une concupiscence mentale, n’est pas ce corps dont le battement et la pulsation échappent trop évidemment à mon contrôle, mais une image qui me trompe en me montrant mon corps dans sa Gestalt, sa forme. Il est beau, il est grand, il est fort, il l’est encore plus d’être laid, petit et misérable. »15 Cette théorisation du narcissisme permet des élaborations plus fines de ce qui est en jeu, par exemple, dans les personnalités « comme si » d’H. Deutsch. On peut aussi penser à la célèbre présentation de malades qu’a faite Lacan en 1976, avec cette patiente qui se dit « intérimaire d’elle-même », et semble ne pas avoir de corps autre que ce corps spéculaire du miroir. 9 Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 52. 10 Freud S., « Deuil et mélancolie », op. cit., p. 84. 11 Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les écrits techniques de Freud, op. cit., p. 144. 12 Ibid. 13 Ibid., p. 188. 14 Ovide, « Métamorphose de Narcisse » (3, 402-510), Métamorphoses, livre III. 15 Lacan J., « Discours aux catholiques », Le Triomphe de la religion, Paris, Seuil, 2005, p. 46-47 {PAGE } « J’aimerais mieux vivre suspendue », dit-elle. « Une robe suspendue... j’aimerais vivre comme un habit. Si j’étais anonyme, je pourrais choisir l’habit auquel je pense... j’habillerais les gens à ma façon. Je suis un peu théâtre de marionnettes, quoi... » « Elle n’a pas la moindre idée du corps qu’elle a à mettre dans cette robe, commente Lacan. Il n’y a personne pour habiter le vêtement ». Et les corps des petits autres sont pour elle marqués de la même inconsistance. Mais revenons au commentaire de Lacan. S’appuyant sur l’éthologie (où c’est l’image, par exemple dans le cadre uploads/Litterature/ la-perversion-narcissique-copie.pdf

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