L’INFLUENCE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE SUR LA POESIE ROMANTIQUE ROUMAINE DANS
L’INFLUENCE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE SUR LA POESIE ROMANTIQUE ROUMAINE DANS LES PERSPECTIVES COMPARATISTES DE NICOLAE APOSTOLESCU ET DE BASIL MUNTEANO Ma démarche se propose de mettre en évidence la contribution apportée à la francophonie par Nicolae I. Apostolescu et Basil Munteano, deux personnalités qui ont reçu relativement peu d’attention de la part de la critique littéraire de notre pays, mais qui ont popularisé la littérature française en Roumanie et notre littérature en France. Pour mieux souligner la place importante que ces deux savants occupent dans le développement des relations franco-roumaines, j’ai décidé de me concentrer sur leurs façons de percevoir l’influence que la littérature française a eue sur notre poésie romantique. Mais, avant de commencer, je voudrais dire quelques mots sur leurs vies et leurs activités. Basil Munteano est né à Brăila en 1897. Il fait des études de philologie moderne à l’Université de Bucarest et il obtient sa licence en 1920, avec l'appréciation « magna cum laude ». Il travaille comme bibliothécaire à la Bibliothèque de l'Académie et il devient membre de de l’École Roumaine de Fontenay-aux-Roses, dirigée par Nicolae Iorga (1923-1925). Il soutient son doctorat ès lettres à l’Université de Bucarest et il est élu membre correspondant de l'Académie roumaine (1939). Après la mort de Charles Drouhet, il est nommé titulaire de la Chaire de langue et littérature française. Parmi les étudiants avec lesquels il discute de “l’immense prestige” de la France, se trouvent Virgil Ierunca, Theodor Cazaban, Monica Lovinescu, Sanda Stolojan, etc. En 1946, il part à Paris, pour rester définitivement en France. Il occupe la fonction de directeur adjoint de l’École Roumaine de Fontenay-aux-Roses et il est désigné membre du Centre National de la Recherche Scientifique. Il publie des études de littérature comparée, mais aussi de littérature roumaine. Il collabore avec Marcel Bataillon et, à partir de l'année 1952, il est secrétaire de rédaction de la Revue de Littérature Comparée. En étant introduit par Hélène Vacaresco dans le monde intellectuel parisien et en déployant une riche activité culturelle, Basil Munteano devient l’un des plus connus et des plus appréciés hommes de lettres roumains en France et en Europe. Troublé par la mort de cette « figure d’élite », survenue en 1972, Marcel Bataillon affirme que "peu d'hommes se sont sentis plus enracinés (en France) que ce déraciné qui n'a jamais voulu perdre sa nationalité roumaine".1 Malheureusement, Basil Munteano a été peu médiatisé par ses compatriotes, étant couvert d’une certaine indifférence en Roumanie. D’ailleurs, Cristian Florin Popescu, affirme : « Insuffisamment connu en Roumanie, oublié en France, sur Basil Munteano l’on a écrit rarement, poliment, à la hâte et presque en chuchotant. Il semble ne pouvoir être localisé nulle part, bien qu’il fasse sentir sa présence partout. Sa vaste œuvre en témoigne. En Roumanie, Basil Munteano est perçu comme l’un des connaisseurs les plus autorisés et les plus profonds de la 1 Marcel Bataillon, Revue de littérature comparée, XLVI, 3, 1972, cité par Alexandru Niculescu, « 30 de ani de la moarte: Basil Munteanu », România literară, 29, 2002, http://www.romlit.ro/basil_munteanu. littérature française, vue en tant que expression fidèle de l’esprit gaulois. En France, Basil Munteano est l’un des plus infatigables propagateurs de la culture et des valeurs littéraires roumaines. Dans la communauté des comparatistes européens, Basil Munteano devrait occuper le lieu convenu à l’un des plus dignes successeurs de Paul Hazard… Trop cartésien pour l’espace roumain, trop sensible pour la rigueur sentimentale française, Basil Munteano représente, parmi d’autres, une curiosité grâce à l’acribie, à la ténacité et à la passion avec lesquelles il étudie, analyse et ranime, dans ses études solides et captivantes, des siècles de culture et de sentiment qui sont passés depuis longtemps. »2 En ce qui concerne l’essayiste, critique et historien littéraire Nicolae I. Apostolescu, il est né à Alexandrie en 1876. Il suit les cours de la Faculté de Philosophie et des Lettres de l'Université de Bucarest, où l’on compte, parmi ses maîtres, B.P. Hasdeu, Titu Maiorescu, Gr. Tocilescu, Ion Bianu, etc. En 1899, il passe sa licence en philologie et il devient enseignant au lycée „I.C. Brătianu” de Piteşti, où il restera jusqu’à la fin de sa vie. En 1905, il gagne une bourse d’études pour participer aux cours de « sémantique, noématologie et littérature comparée » de l’Université de Paris, où il a comme professeurs Émile Faguet, Antonie Thomas, Émile Picot, L. Havet et Mario Roques, qui ont formé la nouvelle génération de l’école comparatiste française, représentée pendant l'entre-deux-guerres par Paul Hazard, Jean Marie Carré, Paul van Thieghem, etc. Sous la direction d'Émile Faguet, il obtient le titre de Docteur ès lettres avec la mention très honorable avec deux thèses publiées la même année (1909) : L’Influence des romantiques français sur la poésie roumaine et L’Ancienne versification roumaine. Il devient ainsi un des premiers comparatistes roumains et aussi un de nos meilleurs spécialistes de la versification. De retour en Roumanie, il continue à enseigner au lycée de Pitești et il est nommé inspecteur général des établissements culturels du pays et conférencier de la Maison des écoles. Malheureusement, il ne reçoit une chaire universitaire qu'en 1918, peu avant sa mort inattendue. Apostolescu a élaboré des études de philosophie de la culture et de littérature roumaine, universelle et comparée, mais aussi des essais de folklore et de théorie littéraire. Il a fait un travail pionnier dans l’affirmation de la littérature roumaine sur le plan européen, en contribuant pleinement au fleurissement de l’école roumaine de comparatisme. Sa thèse de doctorat, L’influence3 des romantiques français sur la poésie roumaine, se trouve parmi les premiers ouvrages roumains de littérature comparée, pouvant être considérée comme une « œuvre d’histoire de la littérature roumaine, la première écrite dans une langue de circulation européenne ».4 2 Cristian Florin Popescu, Basil Munteanu, contemporanul nostru : Studiu monografic, București, Muzeul Literaturii Române, 2003, p.2. 3 Tout comme les autres comparatistes du début du XXe siècle (Pompiliu Eliade, Charles Drouhet, etc.), Apostolescu entend en général par la recherche des influences l’étude parallèle et formelle des textes, en déterminant leurs similitudes extérieures et en établissant leur succession chronologique. Cette approche est aujourd’hui dépassée. 4 Ion M. Dinu: Nicolae I. Apostolescu. Omul și opera, Craiova, Scrisul românesc, 1983, p. 6 Apostolescu est un représentant du comparatisme sorbonnard5, qui est basé sur l’historicisme et le positivisme. Il a comme précurseur Pompiliu Eliade, dont le premier ouvrage, De l'influence française sur l'esprit public en Roumanie. Les origines. Étude sur l'état de la société roumaine à l'époque des règnes phanariotes (1898), a été nommé « l’acte de naissance de la littérature comparatiste roumaine »6. Eliade analyse la littérature en tant que manifestation de l’esprit roumain qui a subi l’influence française, pendant que son deuxième étude, Histoire de l'esprit public en Roumanie au dix-neuvième siècle, reprend le thème de son premier livre, en montrant comment cette influence a façonné la pensée et la sensibilité de notre pays. Eliade considère que celle-ci représente un facteur déterminant pour la culture roumaine, car, pour lui, les deux petites provinces n’existent pas pour la civilisation avant l’influence française. Apostolescu suit l’initiative de son précurseur lorsqu’il considère que les roumains doivent tout à la France. Sa thèse de doctorat, L'Influence des romantiques français sur la poésie roumaine, met en évidence l’influence déterminante des poètes de la France sur la poésie de notre pays jusqu'à l’avant-dernière décade du XIXe siècle. Dans l’esprit de Pompiliu Eliade, il considère que les romantiques français ont influencé la poésie roumaine dans son intégralité, car « il n'y a pas de poète roumain - grand ou petit – qui n'ait subi ce joug d'ailleurs si agréable. »7 En décrivant la pénétration de la culture française dans les Principautés Danubiennes à la fin du XIIIe siècle, Apostolescu affirme que celle-ci s’est produite directement, par la lecture des ouvrages français ou indirectement par la voie des traductions. Le comparatiste roumain soutient que ces traductions constituaient un mélange de classicisme de fin du XVIIIe siècle et de romantisme8 et, pour illustrer cette idée, il montre comment l'Art Poétique de Boileau et des Lamartiniennes peuvent coexister en un même volume. Pourtant, par l’intermède de ces traductions et des imitations de la poésie française, la mélancolie de Lamartine, la tristesse de Musset, la beauté de Chateaubriand et l'esprit frondeur de Victor Hugo séduisent toute une génération de roumains avides de nouveauté et de liberté. Apostolescu ajoute : La littérature et surtout la poésie roumaine suivra la marche de la littérature française, mais elle s'arrêtera longtemps et de préférence au Romantisme, parce qu'il fut le rêve de sa jeunesse. Et les premiers moments d'enthousiasme politique et social passés, on ne s'en tiendra pas seulement aux idées ; on cherchera à soigner la forme et à s'approprier aussi et autant que possible les allures des écoles dérivées du Romantisme ou aimées par celui-ci : on chantera Ronsard et on imitera Baudelaire ou Gérard de Nerval.9 5 Aujourd’hui, on reproche à ce type de comparatisme la minimalisation du récepteur, la surestimation de l’émetteur, la schématisation des processus d’influences, etc. 6 Ibidem, p. 66 7 Nicolae. I. uploads/Litterature/ la-poesie-romantique-roumaine.pdf
Documents similaires
-
14
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mar 09, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.4784MB