203 Joanna Warmuzińska-Rogóż Université de Silésie, Pologne asiawarm@wp.pl Résu
203 Joanna Warmuzińska-Rogóż Université de Silésie, Pologne asiawarm@wp.pl Résumé : La présente analyse a pour but de réfléchir sur la complexité des sens, propres à l’écriture migrante au Québec, à l’exemple du roman Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer de Dany Laferrière et de sa traduction polonaise. Les sens multiples sont analysés par le biais du code culturel (relations : Négritude – Occident et sens typiquement québécois, stéréotypes et intertextes) ce qui permet de dégager la spécificité du texte enraciné dans la culture de départ. La complexité des sens se manifeste sur quelques axes : des plus larges (phénomènes culturels généralisés), jusqu’à ceux qui sont caractéristiques pour la culture québécoise. La compréhension du texte par le lecteur de la traduction dépend de son savoir préalable et pourrait être plus grande grâce au paratexte sous forme d’avant-propos ou de postface du traducteur. Une compréhension approfondie augmentera aussi la possibilité de la communication entre les cultures et de leur enrichissement réciproque. Mots-clés : Écriture migrante, code culturel, culture québécoise, traduction Abstract: The aim of the article is to describe the complexity of meanings characteristic for migrant writing in Quebec on the basis of the novel How to Make Love to a Negro by Dany Laferrière and of its Polish translation. The multiple meanings are analysed from the perspective of cultural codes (relations between the Negritude and the West, distinct Quebecois meanings, stereotypes and intertexts), which makes it possible to detect the specificity of the original text. The complexity of meanings is visible on a few axes : from the most universal ones (the generalized cultural phenomena) to those that are characteristic for the Quebecois culture only. The understanding of the translation depends on the reader’s knowledge which may be greater thanks to a paratext (a preface or a postface written by the translator). The deep understanding can increase the communication between the two cultures and subsequently advance their mutual enrichment. Key words: Migrant writing, cultural code, Quebecois culture, translation La richesse des sens dans « Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer » de Dany Laferrière dans la perspective traductologique Synergies Pologne n°6 - 2009 pp. 203-213 204 Peut-on rêver l’autre ? Peut-on pénétrer le rêve de l’autre ? L’Occident dit : territoire inconnu. Attention : DANGER. Danger d’osmose. Danger de véritable communication (CF , 84)1 Vu l’enracinement profond de la littérature québécoise dans l’histoire et la culture, il est légitime de constater que sa réception peut être restreinte, voire même impossible, aux lecteurs étrangers moyens qui possèdent un savoir limité sur l’histoire et l’actualité de la province. Parfois donc la difficulté se présente non pas tellement au niveau des mots que l’on peut détecter facilement sauf si l’on a affaire à un vocabulaire exclusivement québécois, mais au niveau du sens ou des sens dévoilés. La situation se complique davantage avec des oeuvres écrites au Québec par des écrivains immigrants, ou autrement dit néo-quebécois. Comme le constate Yannick Gasquy-Resch, « [c]es textes sont d’autant plus intéressants qu’ils expriment, au sein du français pris comme langue d’écriture, les tensions provoquées par la rencontre de la culture d’origine et la culture du pays d’accueil » (Gasquy-Resch, 1994 : 235). Il paraît particulièrement intéressant de regarder de plus près comment fonctionne cette littérature, appelée au Québec « littérature migrante », dans la perspective traductologique. Il nous semble qu’elle permet de voir une richesse particulière des sens d’autant plus que les textes traduits sont transmis par le filtre du traducteur2 (dans ce cas-là ce qui nous intéresse le plus, c’est le filtre culturel) et c’est le traducteur qui effectue un choix subjectif parmi un nombre infini d’interprétations possibles d’une oeuvre ouverte, selon la terminologie d’Umberto Eco. Nous avons choisi pour notre analyse le roman de Dany Laferrière, intitulée Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiquer. Nous nous concentrerons sur la version originale en suivant le principe que le traducteur, avant d’effectuer la traduction, doit mener une analyse approfondie d’une oeuvre littéraire. Ajoutons qu’il existe la traduction polonaise, publiée en Pologne sous le titre Jak bez wysiłku kochać się z Murzynem (Polska Oficyna Wydawnicza, traduction de Jacek Giszczak). Dany Laferrière est représentant de la communauté haïtienne au Québec, un groupe ethnique très actif au sein de la culture québécoise (qu’il suffise de rappeler qu’il possède la maison d’édition Nouvelle Optique). Notre choix d’un roman pour l’analyse n’est pas un hasard : bien que Laferrière vienne du Haïti, il est un cas à part – il se montre à travers son roman comme un écrivain typiquement québécois qui porte toutefois tout un bagage de souvenirs d’immigrant. En plus, le roman de Laferrière se caractérise par la polyphonie, qui s’inclut, selon Józef Kwaterko, dans la multiplication des signes, citations, allusions, répétitions propres à l’écriture migrante (Kwaterko, 2003 : 221). Avec Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer Laferrière inaugure sa carrière au Québec en emportant un succès spontané de l’ouvrage (environ 10 000 exemplaires vendus). Bien que certains attribuent ce succès au titre provocateur, le roman se maintient plusieurs semaines au palmarès des best- sellers. Ce succès est suivi d’autres romans importants et d’une carrière brillante. Synergies Pologne n° 6 - 2009 pp. 203-213 Joanna Warmuzińska-Rogóż 205 Quant au récit, le lecteur connaît la vie quotidienne de deux immigrés de race noire, Bouba et Vieux. Le premier , mystique acharné, passe son temps à méditer en écoutant du jazz ou à lire le Coran. Le deuxième, narrateur , s’adonne à deux activités : la drague des filles Blanches et la rédaction de son premier roman. L’univers romanesque est complété par des Miz (Miz Littérature, Miz Sundae, Miz Beauté, etc.) qui succombent au charme exotique du personnage principal. Le roman constitue une réflexion parodique sur la condition nègre en Amérique et sur le problème d’altérité. Dans notre analyse nous proposons de voir de près les sens multiples cachés dans le roman et leur présence ou absence possible dans la traduction, notamment en polonais, par le biais de l’analyse du code culturel. Rappelons que ce terme renvoie dans la traductologie à la possibilité de vérifier le transfert des éléments propres à la culture de départ, tels que les mots-clés enracinés dans la culture source, le modèle de culture étant le résultat des changements et transformations au cours de l’histoire d’une certaine société ou d’un pays, ce qui influe ensuite sur la conscience collective. Cette dernière se manifeste à son tour dans la manière de penser , dans des réactions et comportements ainsi que dans le mode de perception de la réalité (vocabulaire, symboles particuliers) (Krysztofiak, 1996). Il nous semble que cette notion permettra de systématiser les problèmes qui ont pu ou pourraient apparaître lors de la traduction de l’oeuvre de Laferrière. Le code culturel se manifeste dans le roman sur quelques axes que l’on pourrait qualifier des plus larges, portant sur les phénomènes culturels généralisés, jusqu’à ceux qui sont caractéristiques uniquement pour la culture de départ et qui peuvent susciter des problèmes traductologiques ou des problèmes de réception. Ainsi nous analyserons le phénomène que P . Nepveu (Nepveu, 1999) désigne comme la multiplication des signes renvoyant à d’autres signes ce qui est typique pour l’écriture migrante. Commençons par l’axe le plus universel, à savoir la présentation des relations : Négritude – Occident. Rappelons que le thème principal du roman porte sur l’altérité enrichie par un aspect intertextuel3. L’une des manifestations de l’altérité se présente sous forme des différences culturelles entre les Noirs, incarnés par des personnages-clés (Vieux et Bouba) et toutes les filles draguées (les Miz). Ainsi le texte abonde en exemples de ce contraste. En voilà un des plus significatifs : Regarde, maman, dit la jeune Blanche, regarde le Nègre coupé. Un bon Nègre, lui répond le père, est un Nègre sans couilles. Bon, bref, telle est la situation en ce début des années 80 marquées d’une pierre noire dans l’histoire de la civilisation nègre. A la bourse des valeurs occidentales, le bois d’ébène a encore chuté. (CF , 17-18) Le fragment cité ci-dessus témoigne bien de l’ironie avec laquelle l’auteur traite le sujet qui’il a choisi pour son roman. Ce qui est particulier, c’est que Laferrière d’une part esquisse une distinction entre les filles blanches et le Nègre, étant inférieur envers elles, pour qui le rêve majeur est de les draguer, d’autre part toutefois, le personnage principal se définit en ayant recours à la culture occidentale (« un cartésien, un rationaliste » CF , 14). Qui plus est, La richesse des sens dans « Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer » de Dany Laferrière dans la perspective traductologique 206 le héros du roman écrit par Vieux, se définit également grâce à la culture occidentale dont témoigne une entrevue fictive avec un journaliste après l’apparution de son roman : Q : (...) Généralement, les Noirs font appel à l’Afrique dans ce cas-là. Vos personnages, non. Pourquoi ? R. : Parce que ce sont des Occidentaux. (CF , 161) Comme le constate André Lamontagne, à vrai dire les Noirs uploads/Litterature/ la-richesse-des-sens-dans-comment-faire-l-x27-amour-avec-un-negre-sans-se-fatiguer.pdf
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- Publié le Oct 24, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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