Anke Grutschus 28 La variation linguistique comme problème de traduction Abstra

Anke Grutschus 28 La variation linguistique comme problème de traduction Abstract : La présente contribution a pour objet la traduction de la variation linguis- tique, dont on dégagera d’abord les dimensions principales : variations diatopique, diastratique et diasituationnelle. On étudiera ensuite brièvement la représentation de la variation dans les textes littéraires en général, afin de mieux cerner les caractéristi- ques des textes sources. Dans la partie centrale, on abordera les différentes possibi- lités de traduction et les difficultés afférentes, pour déboucher sur des illustrations de traduction de différents types de variétés dans des textes littéraires. Keywords : variation, variété, traduction, dialecte, sociolecte 1 Introduction L’objet de la présente contribution est la traduction de la variation linguistique dans les textes littéraires. Longtemps jugée « intraduisible »,1 la variation représente en effet un défi auquel le traducteur peut faire face grâce à un certain nombre de stratégies que nous présenterons par la suite (cf. infra, 4). L’intérêt des traductologues pour la variation est né assez tardivement,2 mais il a sensiblement augmenté depuis les années 1990 (cf. Brembs 2004, 19). On observe néanmoins des différences selon les pays : si, en Allemagne aussi bien qu’en Espagne, un nombre considérable de travaux ont été publiés,3 le sujet de la variation semble avoir moins retenu l’attention des traductologues italiens (cf. pourtant Armstrong/ Federici 2006) ou français (cf. Ballard 2001 ou Palimpsestes 10). Parmi les différents types de variation étudiés, ce sont les niveaux diatopique et diastratique qui se taillent la part du lion. En Espagne, on observe, depuis quelques années, un intérêt particulier pour la traduction de l’oralité (cf. entre autres Brumme/Espunya 2012). 1 Cf. Buckley (2001, 273s.), qui constate que « les dialectes, l’argot et les jurons restent à peu près intraduisibles, tandis que les beaux discours sont toujours traduisibles ». 2 Greiner (2004, 902) souligne l’absence d’études systématiques du phénomène datant d’avant les années 1980. 3 Outre les chapitres relatifs à la variation dans l’ouvrage de référence de Kittel/Ungeheuer/Burkhardt (2004), il convient de signaler les monographies de Czennia (1992) et de Brembs (2004) ainsi que les travaux actuels recueillis dans Brumme/Espunya (2012), Fischer (2012), Brumme/Resinger (2008) et Brumme (2008). Avant d’analyser de plus près les stratégies s’offrant au traducteur confronté à une variété, un certain nombre de précisions d’ordre méthodologique s’imposent. Elles feront apparaître une perspective variationnelle plutôt qu’une perspective tra- ductologique, étant donné que la terminologie ainsi que les fondements théoriques élaborés par la linguistique variationnelle constituent des outils d’analyse particuliè- rement précieux. Tout d’abord, il s’agira de circonscrire la notion de « variation » (cf. infra, 2), dont nous dégagerons les dimensions principales. Ensuite, nous nous intéresserons à la représentation de la variation dans les textes sources (cf. infra, 3), laquelle se dis- tingue par son caractère stylisé et ne doit donc pas être interprétée comme une transcription fidèle de la réalité langagière. La présentation des différentes stratégies de traduction s’appuiera sur une typologie (cf. infra, 4.1) réunissant toutes les possibi- lités de traduction et débouchera sur des exemples de traduction de variétés diatopi- ques (cf. infra, 4.2), diastratiques (cf. infra, 4.3) et diasituationnelles (cf. infra, 4.4). Notre présentation sera centrée sur la traduction de textes littéraires dont soit la langue source, soit la langue cible est une langue romane. La contribution se termine- ra par une discussion des difficultés (cf. infra, 5) susceptibles d’entraver la traduction de certaines variétés d’une langue source dans une langue cible en particulier. 2 Les dimensions de la variation Le terme de « variation » décrit, à un niveau très général, d’abord des situations où les locuteurs ont la possibilité de choisir entre plusieurs variantes, que ce soient plusieurs formes avec une signification identique ou différentes réalisations d’une même unité linguistique (cf. Dufter/Stark 2002, 81). Ce point de départ somme toute banal devient problématique dès lors que l’on essaye de regrouper des traits variables d’une langue en « variétés » (cf. Gadet 1996, 17) : se pose alors la question de savoir combien de dimensions un possible « espace variationnel » devrait comporter.4 Dans ce qui suit, nous allons brièvement proposer deux solutions à cette question. Elles sont toutes deux fondées sur des critères extralinguistiques et correspondent à deux modèles de la variation particulièrement répandus dans la linguistique variationnelle actuelle. Le premier modèle, bien implanté notamment dans la romanistique allemande et dans les travaux sociolinguistiques d’expression allemande, italienne et espagnole, a été élaboré à la fin des années 1960 par Coseriu, lequel s’est appuyé, de son côté, sur 4 Le nombre de dimensions et avec lui la granularité de l’analyse varient en fonction de l’objectif visé : alors qu’une granularité très fine peut notamment être de mise en lexicographie (cf. Hausmann 1989), la linguistique variationnelle procède à certaines abstractions ayant pour résultat un nombre réduit de dimensions (cf. cependant le modèle hexadimensionnel proposé par Krefeld 2010). Selon le rôle joué par la variation dans le texte source (cf. infra, 3.2), le nombre de dimensions peut se réduire encore davantage lors d’une traduction. 574 Anke Grutschus les travaux de Flydal (1952). Pour Coseriu (1969), la variation interne à une langue historique se décline sur trois axes ; il distingue ainsi : la variation dans l’espace, ou variation diatopique, qui est à l’origine des dialectes ; la variation dans la société, ou variation diastratique, qui produit des sociolectes ; et la variation selon la situation de communication, ou variation diaphasique, qui est source de différents registres ou styles. Grâce aux travaux de Koch/Oesterreicher (1985 ; 2001 ; 22011), une quatrième dimension vient compléter le diasystème ; elle s’étend sur un continuum entre les pôles de « l’immédiat communicatif » et la « distance communicative ». Ce continuum « permet de décrire la différente conception d’un message linguistique selon différen- tes ‹ stratégies communicatives › en corrélation avec divers paramètres communicatifs et contextuels d’une situation communicative respective (par ex. communication privée ou publique, code phonique ou graphique etc.) » (Dufter/Stark 2002, 84).5 L’autre modèle, élaboré par le sociolinguiste britannique Halliday (1978), prévoit un espace variationnel à deux dimensions comportant chacune plusieurs sous-dimen- sions : il distingue d’un côté entre les varieties according to users, englobant les variations en fonction de l’origine géographique et sociale du locuteur, regroupées sous le terme de dialect, et de l’autre les varieties according to use, que Halliday appelle register. Cette dernière dimension varie en fonction de la situation de commu- nication, d’où le terme de « variation diasituationnelle » (cf. Dufter/Stark 2002, 89). Elle est déterminée par trois paramètres (cf. Halliday 1978, 110) : le field, entendu comme l’activité (entre autres langagière) en cours (y compris le sujet et le type d’interaction communicative), le tenor, qui décrit les rôles (au sens large) adoptés par les participants (notamment le degré de formalité de l’interaction), ainsi que le mode, désignant les options rhétoriques retenues dans la conception du message (compre- nant par ex. le canal communicatif choisi).6 Nous ferons un usage éclectique de ces deux modèles et adopterons la terminolo- gie suivante : le terme de « variation linguistique » comprendra pour nous la totalité de la variation interne au sein d’une langue historique, c’est-à-dire aussi bien la variation en fonction de l’usager que la variation en fonction de l’usage. Afin d’éviter des chevauchements trop importants avec d’autres contributions au présent ouvrage, nous ne prendrons cependant pas en compte la traduction de la variation linguistique en fonction de la profession du locuteur. Nous partirons des trois dimensions de variation suivantes : (i) la variation diatopique, (ii) la variation diastratique, compre- nant notamment la variation en fonction de la position du locuteur dans l’espace social et en fonction de son âge, et enfin (iii) la variation diasituationnelle, déterminée notamment par la relation entre les locuteurs et le degré de formalité en résultant ainsi que par le canal de communication (phonique ou graphique). 5 La place manque ici pour rendre compte des nombreuses critiques suscitées par ce modèle, pour lesquelles nous renvoyons à Gadet (1998) ainsi qu’à Dufter/Stark (2002). 6 Cf. Gadet (1998) pour différentes critiques du modèle. La variation linguistique comme problème de traduction 575 3 La représentation de la variation dans le roman Dans ce qui suit, nous étudierons d’abord les caractéristiques sémantico-pragmati- ques de la variation en contexte narratif (cf. infra 3.1), pour présenter ensuite différen- tes fonctions généralement attribuées à la variation dans le roman (cf. infra 3.2). Mais avant cela, il convient de brièvement passer en revue ce qui caractérise l’expression de la variation – prioritairement réalisée dans la communication orale – dans le domaine de l’écrit.7 Les travaux qui étudient le phénomène de « l’oral dans l’écrit » parlent souvent de « re-création », de « mimétisme », de « création stylisée » (cf. López Serena 2007, 192 et passim) ou de « transposition » (Barberie 2009, 101 et passim) de l’oralité lorsque cette dernière apparaît dans le roman. On utilise donc de préférence des termes mettant en avant le caractère artificiel et stylisé de cette oralité mise à l’écrit, allant ainsi à l’encontre de l’idée d’une « transcription » plus uploads/Litterature/ grutschus-anke-la-variation-linguistique-comme-pb-de-traduction.pdf

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