Revue des Sciences Religieuses Le livre XIII et la structure des Confessions de
Revue des Sciences Religieuses Le livre XIII et la structure des Confessions de saint Augustin Catherine Joubert Résumé Contrairement aux idées reçues, les livres XI, XII et XIII des Confessions ne sont pas des ajouts accidentels aux dix premiers livres autobiographiques. Pour comprendre l'ensemble, il suffit d'inverser la perspective couramment admise et de voir dans le livre XIII le cœur de l'ouvrage. Car ce livre est à la fois la dernière tentative d'Augustin pour ramener ses anciens amis manichéens et néo-platoniciens à la foi catholique, et le terme de l'autobiographie d'un individu dont la destinée se fond dans la communauté ecclésiale vivifiée par l'Esprit d'Amour. En fait, qu'il raconte l'histoire de sa vie ou qu'il commente le début de la Genèse, Augustin n'a d'autre objectif que cette admirable louange de l'Eglise et de l'Esprit Saint qui constitue l'essentiel du livre XIII. Parvenu à ce terme, Augustin a subtilement amené son lecteur vers les réalités spirituelles les plus hautes ; il peut alors le laisser dans la contemplation commune du repos éternel en Dieu Amour et Vérité. Citer ce document / Cite this document : Joubert Catherine. Le livre XIII et la structure des Confessions de saint Augustin. In: Revue des Sciences Religieuses, tome 66, fascicule 1-2, 1992. pp. 77-117. doi : 10.3406/rscir.1992.3189 http://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1992_num_66_1_3189 Document généré le 24/01/2016 LE LIVRE ET LA STRUCTURE DES CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN Augustin de Thagaste est devenu un grand nom en Occident pour son œuvre théologique. Ses écrits font aussi partie du patrimoine littéraire de l'humanité, et notamment ses Confessions, rédigées selon toute probabilité entre 397 et 401, et connues pour être une des autobiographies les plus admirables qui aient été écrites, par la lucidité et la finesse de ses études psychologiques, le raffinement de son style et la beauté de certaines formules restées célèbres. L'évêque d'Hippone y retrace, sous la forme d'une « confession écrite à Dieu, sa vie depuis sa naissance en 354 jusqu'au moment même où il écrit, en passant par toutes les étapes qui l'ont finalement amené à se convertir à la foi catholique et à recevoir le baptême en 387. Autoaccusation et louange de Dieu, les Confessions expriment non seulement le retour sur soi d'un homme conscient de ses erreurs passées et présentes, mais aussi sa confiance absolue dans le Dieu qui l'a sauvé et qui, étant plus « intime que l'intime de Oui-même) » (1), est Celui à qui saint Augustin remet sa vie pour qu'il la mène à la béatitude éternelle. On a beaucoup écrit sur les Confessions, tant du point de vue théologique que du point de vue littéraire, mais on a peu étudié la structure de cet ouvrage, malgré les problèmes qu'elle pose. On s'est souvent contenté d'en signaler la complexité et d'accuser Augustin de négligence à son propos, dans la mesure où l'autobiographie n'occupe que dix livres sur les treize que comptent les Confessions, et que les trois derniers consistent en un commentaire du premier chapitre de la Genèse, les livres XI et XII s 'appliquant au verset 1,1, le livre XIQ aux versets l,2-2,4a. (1) Conf. m, VI, 11. 78 C. JOUBERT C'est donc la structure des Confessions et plus particulièrement la présence du livre XIII dans cet ouvrage que nous nous proposons d'étudier, afin d'essayer de résoudre l'énigme de ces deux traités réunis sous un seul titre par Augustin lui-même. Nous essaierons de comprendre pourquoi l'évêque d'Hippone a voulu faire suivre son autobiographie de l'ensemble des trois derniers livres. Or, nous verrons que non seulement le livre XHI a une raison d'être dans la démarche d'Augustin, mais qu'il en constitue aussi la clé et qu'il est véritablement la fin des Confessions. I - LE PROBLÈME STRUCTUREL DE LA FIN DES CONFESSIONS A) Le Corpus augustinien A la différence de tant d'autres ouvrages de l'Antiquité, aucun doute n'est possible en ce qui concerne le contenu et la longueur des Confessions : de l'aveu même de saint Augustin dans les Retractetiones, l'ouvrage est composé de treize livres dont dix consacrés à sa vie et trois aux Ecritures Saintes. « Les treize livres de mes Confessions louent le Dieu juste et bon pour ce que j'ai fait de mal et ce que j'ai fait de bien, pour élever vers lui l'intelligence et le cœur de l'homme. (...) Du premier au dixième ces livres traitent de moi, dans les trois autres des Ecritures Saintes à partir de la phrase : 'Au principe Dieu fit le ciel et la terre. . . ' jusqu'au repos du sabbat. » (2) Dans l'esprit d'Augustin, il y a donc bien deux parties distinctes correspondant aux deux objets différents auxquels il s'applique successivement. Cette distinction devenue traditionnelle est par ailleurs repérable dans le texte même des Confessions, qui en donne une articulation sûre. Au début du livre XI, saint Augustin écrit : « II y a bien longtemps que je brûle de méditer sur ta loi, et de t'en confesser ce que je sais et ce que j'ignore, ce que tu as commencé d'illuminer et ce qui me reste de ténèbres, jusqu'à ce que la force engloutisse la faiblesse. Je ne veux pas qu'à autre chose s'écoulent les heures où je me trouve libéré des nécessités qu'entraînent la réfection du corps et l'effort de l'esprit et le service que nous devons aux hommes, ou celui que nous ne devons pas et que nous rendons cependant. » (3) (2) Retract. 2,32. (3) Conf. XI, II, 2. La plupart des citations relatant une confession d'Augustin à Dieu, on comprendra la deuxième personne du singulier comme désignant Dieu, sauf notation contraire de notre part. CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN 79 et aussi : « Ce n'est pas pour moi seul que (mon désir) bouillonne, mais il veut servir à la charité fraternelle (...). Laisse-moi t 'offrir en sacrifice le service de ma pensée et de ma langue (...)• Que je fesse mes chastes délices de tes Ecritures. (...) Puissé-je te confesser tout ce que j'aurai trouvé dans tes livres, et entendre la voix de la louange et te boire et considérer la merveille de ta loi, depuis le principe où tu fis le ciel et la terre, jusqu'au règne éternel avec toi dans ta sainte cité ! » (4). . Mais, en même temps, pour lui, les deux parties constituent les deux volets d'une unique démarche, celle d'une confession à Dieu, d'un entretien avec Lui, d'abord à propos de la vie d'Augustin, ensuite à propos des Ecritures : « Avance dans ta confession, 6 ma foi ; dis au Seigneur ton Dieu : Saint, Saint, Saint, Seigneur mon Dieu, dans ton nom nous avons été baptisés, ô Père et Fils et Esprit Saint, dans ton nom nous baptisons, 6 Père et Fils et Esprit Saint, parce que chez nous aussi dans son Christ Dieu a fait le ciel et la terre, les spirituels et les charnels de son Eglise. » (5) On ne saurait d'ailleurs imaginer de couper l'ouvrage en deux, dans la mesure où ni le livre IX ni le livre X ne comportent de conclusion générale à l'ensemble de l'œuvre : le livre IX se clôt sur une invitation à la prière pour l'âme de Monique, sa mère, le livre X sur la nécessité pour Augustin de rester dans le monde. L'ensemble des treize livres forme donc un tout à l'intérieur duquel aux livres I-X, à dominante narrative, succèdent les livres XI-XI1I, section presque uniquement exégétique. B) Mises en doute de l'unité des Confessions par les spécialistes Or, depuis un siècle, cette affirmation d'Augustin ne satisfait plus les spécialistes. Dénonçant le caractère artificiel de la réunion de ces deux ensembles disparates, les chercheurs ont posé le problème de l'unité des Confessions : comment Augustin a-t-il pu réunir sous un seul titre deux développements aussi différents l'un de l'autre ? Avait-il (4) Conf. XI, n, 3. (5) Conf. XIII, XH, 13. 80 C. JOUBERT vraiment un projet en composant cet ouvrage à deux pans ? Et si oui, quel lien implicite mettrait-il entre le récit de sa vie et la méditation des premiers chapitres de la Genèse ? (6) Cependant, si la plupart des spécialistes d'Augustin dénoncent cette structure, il faut bien reconnaître qu'à ce jour, aucun à notre connaissance n'a réussi à fournir une explication vraiment convaincante à la composition voulue par l'évêque d'Hippone. Poussant plus loin la critique concernant la composition des Confessions, certains spécialistes ont fait remarquer que le livre XHI posait lui aussi des problèmes par rapport au reste de l'ouvrage. Us ont noté en effet que le développement exégétique des trois livres était très disproportionné : les livres XI et XII n'analysent qu'un seul verset de la Genèse alors que le livre XHI en commente trente-quatre. Certains ne comprennent pas non plus pourquoi Augustin arrête son exégèse après le verset 4a de Gn 2 alors qu'il s'écrie au livre XI : « Puissé-je te confesser tout ce que j'aurai trouvé dans tes livres, et entendre la voix de ta louange et te boire et considérer la merveille de ta loi, uploads/Litterature/ la-structure-des-confessions-pdf.pdf
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- Publié le Fev 20, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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