http://www.lexpress.fr/culture/livre/la-vie-trepidante-de-frederic-dard- dit-sa

http://www.lexpress.fr/culture/livre/la-vie-trepidante-de-frederic-dard- dit-san-antonio_896730.html L a v i e t r é p i d a n t e d e F r é d é r i c D a r d , d i t S a n - A n t o n i o  A c t u a l i t é  C u l t u r e  L i v r e s P a r T r i s t a n S a v i n , p u b l i é l e 0 4 / 0 6 / 2 0 1 0 à 0 7 : 0 0 Ecrivain français le plus lu de la seconde moitié du XXe siècle avec quelque 200 millions d'exemplaires, il fut aussi le plus prolifique, produisant plus de 250 romans. Dix ans après sa disparition, le 6 juin 2000, le forçat des lettres revient en librairie... Qui se cache dans l'ombre du truculent San-Antonio? Il s'appelait Frédéric Charles Antoine Dard. Ses amis se contentaient de Frédéric. Charles fut l'un de ses nombreux pseudonymes. Quant à Antoine, c'était le prénom de son alter ego, autoproclamé "premier flic de France", le célèbre commissaire... San-Antonio. Il s'est longtemps cherché à travers l'écriture. Et s'est trouvé en rencontrant le succès. Moins connu que son héros, il en a fait son double de papier, lui a prêté ses pensées les plus malsaines, les plus obscènes, les plus délirantes, allant jusqu'à faire ajouter une mention sur son passeport : "Dard, dit San-Antonio". Né le 29 juin 1921 à Jallieu (aujourd'hui Bourgoin-Jallieu), Isère, "Dard est issu d'un milieu à la fois bourgeois par son père et paysan par sa mère", indique son biographe François Rivière. Après un accouchement à domicile difficile, ses parents, Francisque et Joséphine, lui découvrent un bras gauche inerte, déformé. "Un enfant affligé d'une telle malformation devient idiot ou supérieurement intelligent", aurait prophétisé un médecin. Il s'en confiera plus tard à son ami Albert Benloulou, qui fut son éditeur au Fleuve Noir : "Les autres enfants ne voulaient pas jouer avec lui... Il était considéré comme handicapé. Par la suite, son bras, il faisait plus que le dissimuler : il l'occultait." La fille aînée de Frédéric, Elisabeth Dard, confirme : "Son épaule atrophiée était un gros complexe. Je ne l'ai jamais vu torse nu. En vacances, il se baignait avec une chemise. Mais cela ne l'a pas empêché de séduire les femmes." Le romancier est le rejeton d'une lignée de libertins. Son grand-père paternel, Séraphin, dilapida l'héritage familial et divorça tôt. Francisque est un drôle de père, farceur, bon buveur et... coureur. "Mon grand-père était un vrai queutard", confie Patrice Dard, le fils de Frédéric. Il a déclaré un jour à papa : "Je fais l'amour tous les soirs." Devenu adulte, le romancier considérera son propre père comme un enfant, selon sa fille Joséphine. "C'était un peu une famille d'éclopés", résume Rivière. La rate au court-bouillon Francisque Dard dirigeait une petite entreprise de chauffage - une "fumisterie" disait-on en ce temps-là. "Il a pris en pleine figure la crise de 29, raconte aujourd'hui Françoise Dard, veuve de l'écrivain. La faillite était une honte, à l'époque. Les huissiers sont venus, ont saisi les meubles... Frédéric était un enfant aimé, mais subissant la faillite." L'entrepreneur déchu se retrouve simple ouvrier chez De Dietrich et Frédéric est confié à sa grand-mère. 1921 Naissance à Jallieu (Isère) 1940 La Peuchère, son premier roman 1942 Mariage avec Odette Damaisin 1944 Naissance de Patrice Dard, puis d'Elisabeth en 1948 1949 Réglez-lui son compte !, premier San-Antonio 1964 L'histoire de France vue par San-Antonio (2,5 millions d'exemplaires à ce jour) 1965 Tentative de suicide 1968 Remariage avec Françoise de Caro et installation en Suisse 1970 Naissance de Joséphine Dard et adoption d'Abdel 1983 Enlèvement de Joséphine 1991 Adaptation au cinéma de La vieille qui marchait dans la mer (avec Jeanne Moreau) 2000 Mort à Bonnefontaine (Suisse) L'enfant ballotté assiste à des querelles familiales et à de pitoyables scènes d'ivrognerie. Il fait l'apprentissage de la misère, dort dans le lit de sa grand-mère, doit se laver dans l'évier. Une scène le marque particulièrement : il aperçoit un jour un unijambiste, obèse, prenant un bain de pied avec une chaussette punaisée sur sa jambe de bois. L'écrivain s'en souviendra au moment de créer le personnage de Bérurier. Quant à Félicie, la mère de San-Antonio, "c'est un mélange de sa mère et de sa grand-mère" à en croire le fils aîné de l'écrivain, qui poursuit désormais les aventures du commissaire. "J'écrivais avant de savoir écrire", racontera plus tard Frédéric Dard. "Ma grand- mère me lisait des contes pour enfants, ces contes qui comprennent quatre lignes dans une page, écrites très gros, et quand elle avait cessé de lire, je prenais une feuille de papier et je reconstituais les caractères que je savais chargés de l'histoire qu'elle venait de me conter." A l'école, élève plutôt moyen (l'orthographe n'est pas son fort), timide, complexé par son bras - et la situation financière de sa famille -, il se réfugie dans le mutisme. Cette manière de fuir la société par la pensée, il l'aura tout au long de sa vie. "Il y avait du fatalisme, de la déprime et de la tristesse en lui, juge François Rivière. Il n'était pas drôle tout le temps. Il s'exprimait par anecdotes. Il lâchait des vannes effroyables sur les gens. Il pouvait rester trois jours sans parler. Il trouvait le monde et la vie merdiques." Heureux hasard, sa grand-mère Claudia aime la lecture, en tous genres : feuilletons, classiques, illustrés. Elle lui transmet ses engouements pour Les misérables, Balzac, Zévaco, lui permet de dévorer Bibi Fricotin et Les Pieds Nickelés. "Il m'a toujours dit qu'il était devenu romancier grâce à elle", se souvient Françoise. Rivière en est convaincu : "Sa grand-mère était la femme de sa vie." Joséphine Dard rêve de faire de son fils un comptable et l'envoie dans une école commerciale réputée de Lyon, La Martinière. Il entame des romans dans ses cahiers d'écolier, s'essouffle vite, se tourne vers la nouvelle, en adresse une au Journal de Mickey. "Bonne Maman" est une grande lectrice de faits divers sanglants et lui communique son penchant pour le morbide. Une visite au musée de la Police de Lyon, où s'entassent les crânes d'assassins et les fioles d'empoisonneurs, le marque particulièrement. J'ai essayé, on peut ! Il confie à son père son désir de vivre de sa plume. Francisque, lui-même porté sur la poésie, ne s'y oppose pas. Un oncle garagiste sert d'intermédiaire pour contacter Marcel Grancher, auteur célèbre dans la région et éditeur du luxueux magazine Le Mois à Lyon. En octobre 1937, Grancher engage Frédéric Dard comme stagiaire. D'abord simple garçon de course, à sa grande déception, il peut au moins se prévaloir du titre de journaliste pour rencontrer un écrivain qu'il admire, de passage à Lyon pour une conférence : Georges Simenon. En janvier 1939, Grancher permet à son protégé de rédiger ses premiers articles, sous forme de billets d'humeur et de critiques littéraires. Enfin salarié, le jeune homme au visage lunaire et aux yeux clairs peut faire sa déclaration d'amour à Odette Damaisin. "Nous nous sommes rencontrés dans le tramway, quand j'avais 14 ans, lui quinze, se souvient-elle. On ne se parlait pas, c'était interdit à l'époque. Et il était tellement timide. Le jour où il m'a adressé la parole, il bredouillait." A la même période, Dard découvre un auteur dont le style le marquera, Louis- Ferdinand Céline. Bien plus tard, Frédéric Beigbeder aura cette formule : "Frédéric Dard est un Céline qui aurait aimé les Juifs." L'approche imminente de la guerre l'angoisse. Et il ne trouve pas d'éditeur pour La Peuchère, le premier roman qu'il parvient à achever. On peut y lire, en exergue : "J'ai rédigé cette longue nouvelle à dix-sept ans - c'est donc demander beaucoup d'indulgence au lecteur. Je la dédie à mon père, qui fut mon premier public." L'édition originale de ce roman, édité l'année suivante, par souscription, se négocie aujourd'hui autour de 2 000 euros. "En 1942, il est venu demander ma main, comme promis, poursuit Odette. Il venait de publier La Peuchère, il me l'avait envoyée et m'avait adressé des vers superbes : "Mon coeur est un violon que tu pinces de tes doigts..."" Le mariage est célébré en octobre, le voyage de noces se déroule à Marseille (guerre oblige) et le couple emménage à la Croix-Rousse. "Il gagnait bien sa vie, à Lyon. Le mandat envoyé pour une nouvelle équivalait à un mois de mon salaire d'institutrice. Tout ce que Frédéric écrivait était publié." Il fait paraître un amusant conte pour enfants, Cacou, l'histoire d'un oeuf qui n'en fait qu'à sa tête, et se voit décerner le prix Lugdunum pour son romanMonsieur Joos. Fier de cette première distinction, il la précise sur sa carte de visite. A la naissance de son fils Patrice, en 1944, l'écrivain nage dans le bonheur. Mais le contexte historique gâche sa tranquillité d'esprit. Selon Benloulou, "l'épuration l'a uploads/Litterature/ la-vie-trepidante-de-frederic-dard.pdf

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