1 La Voix en personne Analyse des rapports voix/personnalité à la lumière des d
1 La Voix en personne Analyse des rapports voix/personnalité à la lumière des différentes étapes de l'acquisition du langage et aux fins d'une ébauche de catalogue Retranscription de la conférence donnée le 16 janvier 2020 à Mundolingua, Musée des langues, 10 rue Servandoni, 75006 Paris — www.mundolingua.org Présentation en ligne : « La voix est l’expression de la personnalité » s’entend comme une formule courante à propos du pouvoir de représentation de la voix et évacue toute idée d’imposture. Or, la duperie est un art cultivé par la parole, qui s’enivre des inflexions séduisantes de la voix. Nul étonnement donc, à ce que les partisans du détecteur de mensonges éprouvent quelques difficultés à examiner certains sujets facétieux. La tentation de classifier les expressions de la voix s’impose depuis toujours en médecine O. R. L. où s’élaborent de chatoyants catalogues en rapport étroit avec des inclinations de caractère. La voix nous tire-t-elle les vers du nez ? Sans doute fait-elle résonner aussi bien le tempérament d’un individu que son insigne mystère en sonorisant la perception corporelle qu’il a de son « moi » intérieur. — Introduction : Silence Le silence a partie liée avec le son. Il est l’entre-deux, permet l’émergence du sens. De telle sorte que l’un et l’autre sont indissociables. Aussi, il aura fallut la ténacité d’un certain abbé : Charles-Michel de l’Épée, pour admettre aux sourds, l’intelligence. Un homme sans mots n’a pas d’histoire aux oreilles du sens commun. Aboierait-il ? comme le poète et linguiste Dante supposait ainsi qu'on s’exprima du temps des premiers hommes, 1 il n’aurait pas plus d’intérêt qu’un animal, lequel cependant, voit sa place grandir dans le cœur du genre humain. Un juste retour de la Nature avec un grand « n » à l’heure où l’homme s’est rendu sourd à ces cris ; de la Nature comme de l’enfant - du latin infans : celui qui ne parle pas …qui n’a pas encore acquis le langage. Un intérêt croissant nous gagne, nous : parlants, envers ceux qui n’ont jamais eu « voix au chapitre ». Et de vous inviter, pour refermer cette allusion à l'Église — peut-être la proximité de St-Sulpice ? baptisée naguère Temple de la raison, à interroger l’usage du silence chez certains cistericiens, protestants …qui y trouvent comme dans l’hindouisme (Gandhi, paraît-il, était totalement silencieux le lundi), un moyen d’accès à la vie contemplative. Je me tais. Je sais que dans ce silence, ma voix trouve un modeste écho en vous, imprime encore de ses courbes, sautes, accents, mélodies et timbres, les contours d’une silhouette intime : un corps sexué (dans l’obscurité vous devinez à quel genre j’appartiens), un âge probable (avec une marge d'erreur de 4 ans selon certains chercheurs britanniques-Univ. de Nottingham), une morphologie possible (du genre Sancho Panza, ténor ou Don Quichotte, baryton/basse), un état de santé (smocking & drinking voice versus sober voice) …non dénué d'une volonté de convaincre ; une histoire certaine (avec le langage, en tous cas) comme un avenir possible. Certains professionnels de la voix systématiseront un caractère, du tempérament… un savoir-dire, auront reconnu à cette prosodie qui est mienne ce soir, un certain attachement au « paraître ». La voix masque Si nous remontons à la source étrusque du mot personne - persona - qui signifiait à l'origine l'embouchure du masque utilisé par les acteurs de théâtre antique avant de désigner le masque lui-même, on remarque que c'est bien la personnalité toute entière qui s'incarne dans la voix, toutefois dissimulée aux regards ou plutôt façonnée, contrefaite pour les besoins d'un rôle. Ne parle-t-on pas quelquefois de ce que l'on sait comme pour en faire étalage, derrière notre masque, ce « faux visage » ? Il avait bien pour fonction, ce masque qu’on additionna de cornets pour augmenter le volume de la voix, de dessiner un corps autre : celui d’un vieillard 1 DANTE, De Vulgari eloquentia, 1304. 2 enlaidi par son visage de cuir, d’une femme aux gracieux traits, d’un monstre rendu gigantesque par les proportions du costume qu’il porte. Mais, si toute voix peut nous dissimuler, énonçant comme une trame notre savoir en public (texte et tessiture ayant curieusement la même étymologie : textus, chose tissée, tramée), toute voix nous expose au danger d'un dévoilement. Car la voix laisse souvent filtrer sous le personnage, la personne et dénonce, malgré lui, de manière aussi spectaculaire, l'être hors de soi. Il suffirait que je bégaye, bégaie (la prononciation de ce verbe même, est une hésitation), que je bafouille, balbutie, bredouille, cafouille, gribouille, écrabouille mes mots dans la phrase pour que celle-ci devienne comme lac de boue, le lieu d’une indicible noyade… sinon la scène d’une apparition, surgissement d’un autre parlêtre, dirait Lacan. 2 C’est tout le sujet de la psychanalyse lacanienne que d’examiner ces irrégularités du discours, ces marques d’auto-punition, ses « blasons de la phobie, je cite, oracles de l’angoisse », de l’inhibition recommencée… 3 pour cerner l’origine d’un désordre psychologique. L’inconscient aurait un fonctionnement comparable à celui du langage, soutien cet élève de Freud. Aussi, du masque social, du personnage à la personnalité, la voix se confond toujours avec le sentiment d'une altérité, d’une opposition corrélative à l'acte de parole, d'un changement d’identité. D'un troc ? pour autant que le locuteur maîtrise le jeu des inversions : de la voix à la vue …quand l'Être supplée au « paraître ». Aussi, parce que la voix devient capable de donner consistance à une identité qui se dérobe, parce qu'elle nous défigure, en fait, à travers ces hésitations, ces répétitions, ces flottements sonores, souffles audibles, susurrements incontrôlés, râles sifflants, cris, clics, inspirations dentales… - une production de l’inouï, reflet d’un désordre intérieur - parce qu’elle nous met à nu, c'est aussi le sentiment d'une dégradation qu'elle insinue, d'un arrachement. « Quelque chose comme l'être du corps rendu à son anonymat premier et débusqué de la cachette où il se terrait », écrit Bernard Pingaud dans un article au titre évocateur : « La Voix de son maître » 4 …dès lors que nous devenons le valet de notre propre voix, asservi par la puissance irréfragable de son surgissement, de son rugissement. Celui qui est perçu n'est plus tout à fait prétendument celui là même qui parle mais son alter ego à partir de quoi l'intime vérité d'un dedans, la présomption d'un « vrai visage » se manifeste, infiniment plus révélateur que le reste du corps. « J'ai rapport à moi dans l'éther d'une parole qui m'est toujours soufflée et qui me dérobe cela même avec quoi elle me met en rapport », reconnaît Jacques Derrida 5 qui se loge dans cet entre-deux de la langue et du Moi, interrogeant ce rien d’où sort la voix qui partage avec le temps ce quelque chose d’unique, échappant à toute maîtrise. Heureusement, quand la voix nous arrache à notre temporalité familière, quand nous fourchons de la langue, piétinant sans le vouloir le vêtement de notre être social, c'est pour nous restituer aussitôt à la paternité du temps « véritable », à la puissance du surgir comme à celle du retrait sans quoi, à l'égal d'un bourgeon, nous ne pourrions saisir l'opportunité d'un nouveau commencement. La voix oreille La voix constitue un indice des différentes phases que traverse une personne dans sa vie. Le son, n'est-il pas ce lien étroit, impalpable, invisible qui nous prépare à l'existence humaine et nous en retire en dernier lieu ? Si on constate un fonctionnement de l'audition - plus précisément de l'oreille moyenne (la chaine des osselets réagissant à l'amplitude des vibrations aérienne) plusieurs jours après un décès -, on sait le fœtus doué de capacités auditives sélectives dès le 6 ème mois, c'est à dire capable de différencier la voix de la mère de celle du père. Cette découverte peut conduire à la volonté de contrôler la gestation, poursuivant ce vieux rêve d'une « mégalanthrologénésie » - terme forgé par le Dr Robert Le 2 J. LACAN, « Joyce, le symptôme II » (1979) in Joyce avec Lacan, 1987. 3 J. LACAN, Ecrit 1, 1966. 4 B. PINGAUD, « La Voix de son maître », Musique en jeu, N°9, 1975. 5 J. DERRIDA, L'Écriture et la différence, 1967. 3 Jeune qui fit paraître à Paris, en 1801, un Essai sur l'art de faire des enfants d'esprit ; invitant les parents et notamment le père, à provoquer de toutes pièces un paysage sonore intra-utérin suivant les ambitions qu'il a pour son enfant : ministre, explorateur… « Veut-il lui faire parcourir la carrière des armes ? Qu'il alimente l'imagination de la futur mère des récits belliqueux des plus grands conquérants. Aussi, qu'il lui fasse écouter de la musique militaire ». Des préoccupations qui n'inquiéteraient pas la pratique du chant prénatal initié par Marie-Louise Aucher, ni les expériences sur la perception auditive intra-utérine et le conditionnement musical, menées à la clinique de Lille-Roubaix dans les années 90 sous la direction du Dr Feijoo. Dans le même ordre d'idée, une croyance bohémienne attribue au nombril de la femme enceinte la fonction d'une porte uploads/Litterature/ la-voix-en-personne.pdf
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- Publié le Mai 26, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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