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Tous droits réservés © Association pour l'Étude des Littératures africaines (APELA), 2016 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 01/18/2023 7:54 p.m. Études littéraires africaines Lire Cheikh Hamidou Kane : une aventure ambiguë ? Florence Paravy Number 42, 2016 URI: https://id.erudit.org/iderudit/1039410ar DOI: https://doi.org/10.7202/1039410ar See table of contents Publisher(s) Association pour l'Étude des Littératures africaines (APELA) ISSN 0769-4563 (print) 2270-0374 (digital) Explore this journal Cite this article Paravy, F. (2016). Lire Cheikh Hamidou Kane : une aventure ambiguë ?. Études littéraires africaines, (42), 125–139. https://doi.org/10.7202/1039410ar LIRE CHEIKH HAMIDOU KANE : UNE AVENTURE AMBIGUË ? Depuis sa parution, la lecture critique de L‟Aventure ambiguë 1 met le plus souvent l’accent sur ce qui, dans cette œuvre, est directe- ment lié au contexte historique de la colonisation. On considère même souvent Cheikh Hamidou Kane comme l’un des « pères fondateurs » de toute une lignée de romans traitant des thèmes de l’exil, de l’immigration, du métissage culturel, etc. Parallèlement, la désignation de cette œuvre comme un « classique » de la littéra- ture africaine semble s’être répandue peu à peu, le terme renvoyant bien sûr à des éléments clairement observables tels que l’entrée dans un corpus canonique 2, mais comportant, dans bien des cas, de for- tes connotations d’universalité et d’intemporalité : le « classique », c’est aussi, dans l’imaginaire collectif, cette œuvre qui « surgit dans son temps et de son temps, mais [qui] devient œuvre d’art par ce qui lui échappe » 3. N’y a-t-il pas en effet, au cœur de ce roman, un propos central qui dépasse largement le cadre de la situation histo- rique et sociopolitique qui l’a vu naître ? Dans ce cas, pourquoi le discours critique privilégie-t-il ce qui renvoie à cette situation ? Nous nous proposons donc de réexaminer et relativiser cette inter- prétation dominante, et de lire la problématique sociale et culturelle comme un « décor » propice à l’expression d’une interrogation universelle sur l’existence humaine : l’opposition entre sa dimension profane et matérielle et sa dimension spirituelle 4. 1 KANE (Cheikh Hamidou), L‟Aventure ambiguë. Paris : Julliard, 1961, 207 p. Toutes les références des citations données ici renvoient à la réédition : Paris : Éditions 10/18, 1979, 191 p. 2 Voir : MOURALIS (Bernard), « Qu’est-ce qu’un classique africain ? », dans L‟Illusion de l‟altérité. Études de littérature africaine. Paris : Honoré Champion, 2007, 767 p. ; p. 668-675 ; DUCOURNAU (Claire), « Qu’est-ce qu’un classique “africain” ? Les conditions d’accès à la reconnaissance des écrivain-e-s issu-e-s d’Afrique subsaharienne francophone depuis 1960 », dans Actes de la recherche en sciences sociales, (Paris : Seuil), 2015, n°206-207 (1), p. 34-49. 3 MALRAUX (André), La Métamorphose des dieux. Paris : NRF, Galerie de la Pléiade, 1957, 405 p. ; p. 32. 4 Pour A. Malraux, les œuvres (peinture, sculpture, architecture notamment) qui échappent au temps « imposent la présence d’un autre monde […] : un au-delà présent. Pour toutes, […] le réel est apparence ; et autre chose existe, qui n’est pas apparence et ne s’appelle pas toujours Dieu » (La Métamorphose des dieux, op. cit., p. 7-9). 126) Un conflit culturel ? Dans les ouvrages généraux consacrés aux littératures d’Afrique francophone 5, la présentation de l’intrigue et de ses enjeux met généralement en exergue le problème culturel qui se pose au héros et, à travers lui, à toute sa société : déclin de la société des Diallobé, acculturation, dilemme du héros tiraillé entre deux formations, deux civilisations. La force de l’œuvre résiderait dans le fait qu’elle expose un problème fondamental pour toute l’Afrique colonisée et qu’elle inaugure ainsi une tradition romanesque centrée sur la ques- tion du bouleversement identitaire et de l’hybridité. À titre d’exem- ple, citons la formule, très représentative, de Jingiri J. Achiriga : « Samba Diallo incarne le Nègre qui n’a pas réussi à surmonter la contradiction des deux cultures […]. L’auteur cherche évidemment à illustrer la notion très répandue “d’hybride culturel” » 6. Aussi le roman est-il classé dans la rubrique du « roman social » 7, du « roman culturaliste » 8 ou encore associé à un corpus d’œuvres traitant du « conflit de la tradition et du modernisme » 9. Nous ne multiplierons pas ici les exemples plus ou moins redondants : il 5 Nous nous référons ici à des ouvrages généraux dans la mesure où le bref aperçu qu’ils offrent de l’œuvre permet de bien saisir quelle interprétation globale en est donnée. Mais cette interprétation socioculturelle est également au cœur de cer- tains articles, ce dont leur titre témoigne d’emblée. Par exemple : HUANNOU (Adrien), « La crise identitaire du héros africain : un thème récurrent », dans ID., dir., Francophonie littéraire et identités culturelles. Paris, Montréal, Budapest, etc. : L’Harmattan, 2000, 167 p. ; p. 57-58 ; TIDJANI ALOU (Antoinette), « Le “pays”, l’autre et le monde. Essai sur les chemins de l’identité dans L‟Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane », Éthiopiques, n°75, 2e sem. 2005, http://ethiopiques. refer.sn/spip.php?article1033, consulté le 12.06.2016 ; BA (Mamadou Kalidou), « Cheikh Hamidou Kane : de L‟Aventure ambiguë aux Gardiens du temple ou l’accomplissement d’une réflexion sur une cohabitation conflictuelle », Éthiopiques, n°82, 1er semestre 2009, http://ethiopiques.refer.sn/spip. php?article1632, consulté le 12.06.2016. C’est cette même interprétation qu’on retrouve aussi le plus souvent sur des sites divers (librairies en ligne, blogs, etc.). 6 ACHIRIGA (Jingiri J.), La Révolte des romanciers noirs de langue française. Ottawa : Éditions Naaman, 1973, 257 p. ; p. 175. L’adverbe « évidemment » nous paraît particulièrement intéressant, dans la mesure où c’est cette prétendue « évidence » que nous souhaitons réexaminer. Voir également : CHEVRIER (Jacques), Littéra- tures francophones d‟Afrique noire. Aix-en-Provence : Édisud, coll. Les Écritures du Sud, 2006, 215 p. ; p. 159. 7 KESTELOOT (Lylian), Histoire de la littérature négro-africaine. Paris : Karthala / A.U.F., 2001, 386 p. ; p. 235. 8 MIDIOHOUAN (Guy Ossito), L‟Idéologie dans la littérature négro-africaine d‟expres- sion française. Paris : L’Harmattan, coll. Critiques littéraires, 1986, 249 p. ; p. 198-199. 9 KANE (Mohamadou K.), Roman africain et traditions. Dakar : Nouvelles Éditions africaines, 1982, 519 p. ; p. 215. Lire Cheikh Hamidou Kane : une aventure ambiguë ? (127 suffit de parcourir le corpus critique consacré à L‟Aventure ambiguë pour constater à quel point ces idées ont été maintes fois reprises et développées. Notons seulement que la puissance de cette thèse semble parfois aller jusqu’à l’aveuglement : ainsi Guy Ossito Midiohouan écrit-il que Samba Diallo, « incapable d’affronter une réalité qu’il récuse, opère une fuite dans la mystique religieuse » 10 ; faut-il rappeler que le parcours de Samba Diallo semble au contraire marqué par la perte, sinon de la foi, du moins d’une certaine ferveur mystique ? Beaucoup plus rares sont les ouvrages proposant un autre type d’analyse, attentive avant tout à la réflexion métaphysique qui par- court toute l’œuvre. Ainsi, dans l’ouvrage dirigé par Charles Bonn, Xavier Garnier et Jacques Lecarme, Littérature francophone, le roman est qualifié de « récit philosophique » et de « méditation mise en perspective » dans laquelle « la superposition des deux visions, matérialiste et spirituelle, […] est un principe d’écriture » 11. Quant aux articles consacrés à la religion et la spiritualité dans l’œuvre, ils sont en fait assez nombreux. Mais ils n’ont manifestement pas permis d’imposer au discours critique dominant une interprétation autre que culturelle, peut-être du fait que beaucoup d’entre eux proposent surtout une élucidation des références à l’islam 12. 10 MIDIOHOUAN (G.O.), L’Idéologie dans la littérature négro-africaine d’expres- sion française, op. cit., p. 199. 11 BONN (Charles), GARNIER (Xavier), LECARME (Jacques), dir., Littérature francophone. 1. Le roman. Paris : Hatier / AUPELF-UREF, 1997, 347 p. ; p. 255. 12 Voir par exemple : KNICKER (Marita), « Le Coran comme modèle littéraire dans L‟Aventure ambiguë de C.H. Kane », dans Islam et littératures africaines [Actes du colloque de l’APELA 1985], Nouvelles du Sud, n°6-7, novembre-avril 1987, p. 183-190 ; HARROW (Kenneth), « The Power and the Word : Aspects of Islam in Cheikh Hamidou Kane and Tayeb Salah », dans Islam et littératures africaines, op. cit., p. 143-157 ; DIOUF (Mbaye), « L’Islam en termes chrétiens : quand L‟Aventure ambiguë “croise” Pascal et saint Augustin », Présence francophone, n°67, 2006, p. 44-58 ; SANKHARE (Oumar), « Platonisme, christianisme et islam dans l’œuvre de Cheikh Hamidou Kane », Éthiopiques, n°66-67, 1er et 2e trim. 2001, http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article1284, consulté le 12.06.2016 ; LY (Amadou), « Le soufisme dans le chapitre 10 de L‟Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane », Éthiopiques, n°66-67, op. cit., http://ethiopiques.refer.sn/ spip.php?article1286, consulté le 12.06.2016 ; NNORUKA (Matiu), « La fonction idéologico-religieuse dans L‟Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane », Présence francophone, n°24, printemps 1982, p. 77-87. Signalons toutefois l’article uploads/Litterature/ lire-cheikh-hamidou-kane-une-aventure-ambigue-florence-paravy.pdf

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