LACAN HYPERMODERNE Philippe La Sagna L'École de la Cause freudienne | « La Caus

LACAN HYPERMODERNE Philippe La Sagna L'École de la Cause freudienne | « La Cause freudienne » 2011/3 N° 79 | pages 187 à 191 ISSN 2258-8051 ISBN 9782905040732 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-la-cause-freudienne-2011-3-page-187.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'École de la Cause freudienne. © L'École de la Cause freudienne. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Hypermoderne peut- être, ou disons plutôt que c’est l’hypermoderne qui vérifie et exploite aujourd’hui certaines prédictions de Lacan1… Lacan a commencé son enseignement sur un examen décapant du pouvoir des images et des mots, tel qu’il a alimenté les ravages des totalitarismes. Il propose cependant une psychanalyse qui, à l’instar de l’incons- cient dont elle traite, fait trou dans la représentation en usant du signifiant d’abord, puis d’un objet que Lacan invente ensuite, l’objet a. À bon maître, bon esclave Le ravalement du réel par les semblants, opéré par les postmodernes, lui est étranger2. Mais Lacan critique aussi certains aspects des modernes, car il dénonce très tôt les ravages des idéaux, celui du scientisme cher aux postfreudiens, voire ceux de la science elle-même. S’il célèbre l’esprit des Lumières, il se méfie de celui de la Critique qui peut très bien déboucher sur le pire : le règne du discours universitaire. Il perçoit très vite le lien de l’université et de la bureaucratie avec le socialisme réel, et saisit parfaitement que la génération gauchiste du baby boom aspire à la maîtrise, c’est-à-dire à la servilité : « Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaires, c’est à un maître. Vous l’aurez. »3 On oppose aujourd’hui le rêve de 1968 au « cauchemar » des 187 Philippe La Sagna est psychanalyste, membre de l’ECF. 1. Cf. : Aubert N. (s/dir.), L’individu hypermoderne, Ramonville Saint-Agne, Érès, 2004 & Lipovetsky G., Charles S., Les temps hypermodernes, Paris, Grasset, 2004. 2. Cf. Zarka Y.-C., « Éditorial. Le pouvoir sur le savoir ou la légitimation postmoderne », Cités, no 45 « Lyotard poli- tique », Paris, PUF, janvier 2011, p. 3-7. 3. Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 239. © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 05/03/2021 sur www.cairn.info par Lucas Grinstein (IP: 190.194.234.44) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 05/03/2021 sur www.cairn.info par Lucas Grinstein (IP: 190.194.234.44) Portrait de l’analyste en caméléon années quatre-vingt. Mais la secrète filiation qui existe entre l’esprit libertaire des sixties et le libéralisme économique échevelé qui succède à la crise des années soixante- dix devient toujours plus manifeste. Lacan pourra souligner à l’occasion sa distance vis-à-vis du progressisme : « Je ne suis libéral, comme tout le monde, que dans la mesure où je suis anti-progressiste. »4 Il ne se prive pas, pourtant, de rendre hommage à Marx comme inventeur de ce qu’on nomme symptôme au sens moderne, mais il salue ici l’homme du XIXe et non ce qui s’en transmet au XXe en URSS. L’être pour le sexe, c’est la psychanalyse Si l’inconscient est histoire, Lacan a pu aussi définir celle-ci comme « science de l’embarras »5. L’individu classique était solidaire d’une historisation aujourd’hui en crise. Cet échec n’est pas sans lien avec l’effet 68 et son appel à la désidentification à travers la critique des valeurs. Cette désidentification ouvre la voie à la quête para- doxale et éperdue d’identité du sujet hypermoderne, qui fait du soi une source perma- nente d’insatisfaction dépressive et d’expériences supposées le construire « mieux ». Le « plus de soi » est ici un reflet du plus-de-jouir dans la société des individus. Mais Lacan, lui, ne prône ni le sujet désidentifié, ni la construction de soi. Il montre que la psychanalyse permet une destitution subjective qui se distingue surtout de celle, plus sauvage, que réalise la science. Il n’en appelle pas pour autant au corps pour fonder quoi que ce soit d’une identité, car la perspective narcissique du corps sert souvent à nier l’énigme du sexe. La psychanalyse a surgi des difficultés de « l’être- pour-le-sexe »6, elle ne les a pas créées. Le corps comme support d’identité, limite et localisation des jouissances, apparaît aujourd’hui dissout par la pression du virtuel, dans une appétence nouvelle des humains pour un transhumain qui réaliserait la machinisation de l’homme et l’humanisation des machines. Lacan, lui, pose que le corps, on l’a, et qu’il n’est pas support d’être ; Aristote vacille. On adore le corps, mais on méconnaît qu’il est aussi symptôme, non de lui-même, mais d’un autre corps, voire d’un Autre corps. Il y a rupture entre le corps de semblants, celui qui se dit, et le corps joui7. La naturalisation de l’esprit opérée par les neurosciences n’est pas ici un effet de la science, mais le maintien d’une pensée religieuse qui veut faire rentrer la jouissance dans les corps, pour la rendre maniable. L’auteur des Écrits savait, dès les années soixante-dix, que la religion avait de l’avenir du fait de l’égarement de notre jouissance dans un monde où l’Autre n’existe plus pour la situer, la localiser8. Il notait que, dans cette perspective, le racisme devient l’ombre mauvaise de la jouis- sance désorientée et galopante qui saisit le monde. 188 4. Ibid., p. 240. 5. Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 481. 6. Lacan J., « Allocution sur les psychoses de l’enfant », Autres écrits, op. cit., p. 366. 7. Cf. Milon A., La réalité virtuelle, avec ou sans le corps ?, Paris, éd. Autrement, 2005. 8. Lacan J., « Télévision », Autres écrits, op. cit., p. 534. © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 05/03/2021 sur www.cairn.info par Lucas Grinstein (IP: 190.194.234.44) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 05/03/2021 sur www.cairn.info par Lucas Grinstein (IP: 190.194.234.44) Philippe La Sagna Lacan hypermoderne Penser le plus-de-jouir La modernité fait l’éloge du futur et nie le passé que l’inconscient actualise ; elle est transgressive. Le postmodernisme et l’hédonisme contemporain ne veulent plus entendre parler du futur, mais du présent / passé permanent, sans transgression. L’hypermoderne redessine un futur accéléré et un présent sans limite où ce qui fait question est la limite toujours future. Là comme ailleurs Lacan, en analyste, a une longueur d’avance. Il permet de penser, avec le plus-de-jouir qu’il étaye sur la plus-value de Marx, le passage de l’éloge du désir au règne et à la critique de la jouis- sance sans limite du XXIe siècle. Mais il permet aussi de penser une sortie du sans limite des plus-de-jouir qui ne soit pas nostalgique de la répression des pulsions, déjà dénoncée par Freud. Si « toute formation humaine a pour essence […] de refréner la jouissance »9, alors la jouissance sans limite qu’implique le plus-de-jouir du capi- talisme produit, sans doute, la désagrégation des formations humaines tradition- nelles censées articuler le corps social : État, famille, partis, voire patrie. Ces formations se voient aujourd’hui « remplacées » en partie par Google, Facebook et Twitter. Le lien du savoir et de la jouissance, qui, en soixante-dix, surprend les audi- teurs du Séminaire de Lacan, est utilisé par ceux qui ont su trouver rapidement un moyen inédit de vendre et d’accaparer le savoir resté disponible (Google) ; ou de rendre disponible – et donc vendable – un savoir que l’on ignorait comme savoir (Facebook). Or Lacan posa tout de suite la question de savoir si la « grève » de la vérité de 1968 n’était pas la condition de l’explosion du marché des savoirs. Le plus-de-jouir de la toile n’est plus aujourd’hui le signe distinctif de notre standing ou de notre insertion sociale, ni même sa rançon, il en est la possibilité même. Ce qui fait société, groupe, ce n’est plus l’idéal ou le statut – qui faisaient exister groupes, partis, unions –, mais c’est de partager un plus-de-jouir, soit ce qui se désigne aussi comme addic- tion. Les gens pensent qu’ils peuvent librement choisir aujourd’hui ce plus-de-jouir. En réalité ce sont les plus-de-jouir qui les saisissent et les agrègent en société. Le salut par le déchet Le sujet moderne est celui qui dit non : uploads/Litterature/ lacan-hypermoderne 3 .pdf

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