Revue des Études Anciennes Jacques Harmand, L'Armée et le soldat à Rome de 107

Revue des Études Anciennes Jacques Harmand, L'Armée et le soldat à Rome de 107 à 50 avant notre ère, 1967 Claude Nicolet Citer ce document / Cite this document : Nicolet Claude. Jacques Harmand, L'Armée et le soldat à Rome de 107 à 50 avant notre ère, 1967. In: Revue des Études Anciennes. Tome 71, 1969, n°1-2. pp. 225-228; https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1969_num_71_1_3838_t1_0225_0000_1 Fichier pdf généré le 22/04/2018 BIBLIOGRAPHIE 225 Jacques Harmand, U Armée et le soldat à Rome de 107 à 50 avant notre ère. Paris, Picard, 1967 ; 1 vol. in-8°, 538 p. La thèse principale de M. J. Harmand, qui s'était déjà fait connaître par des études de détail portant généralement sur des questions gauloises ou « césariennes », dépasse largement le champ étroit de l'étude d'un auteur, malgré la place qu'y tient l'armée des Gaules et l'admiration non déguisée que M. Harmand porte, sur le plan militaire au moins, à César. Il s'agit en fait, comme M. Harmand nous en avertit, d'une étude d'histoire technique et sociologique, dans la lignée de celles que A. Aymard avait esquissées sur la « polemologie » dans le monde hellénistique. Un tel livre, disons-le, vient à son heure : alors qu'en Angleterre et en Italie, depuis une vingtaine d'années, les problèmes militaires, considérés comme fondamentaux pour la compréhension des structures de la société, avaient suscité un grand nombre d'études nouvelles et parfois excellentes, les Français, on ne sait trop pourquoi, s'en étaient détournés. Notons pourtant que, dans le temps même où M. J. Harmand achevait son livre, un renouveau d'intérêt pour ces questions se manifestait en France, sous l'impulsion du Centre d'études comparées sur les sociétés anciennes1. Le livre se divise en deux parties : Γ « Armée » (p. 23-225) et le « Soldat » (p. 229-484Ì, c'est-à-dire, pour reprendre la distinction de l'auteur, d'abord les choses, puis les hommes. Peu importe que, dans ce plan, fort admissible, se glissent ça et là des répétitions, ou qu'on soit un peu surpris de voir traités les problèmes de la numérotation et de la structure interne des légions (p. 231-236) après celui de leurs effectifs (p. 25-54) : ces choses-là sont secondaires et au demeurant inévitables. C'est dans la première partie qu'on trouvera une série de chapitres « techniques » sur les auxilia, la cavalerie, l'armement, la castra- métation, le renseignement et le rapport, mais aussi sur le ravitaillement, les habitudes alimentaires des troupes, les « services d'état- major ». La deuxième partie n'intéressera pas moins l'historien : c'est la première fois qu'un livre est consacré, si l'on met à part l'essai trop bref de R. E. Smith, que l'auteur malmène d'ailleurs, et l'article brillant de P. A. Brunt, aux soldats en tant que groupe social, dont il convient d'étudier l'être et le devenir : hommes de troupe (à propos desquels sont envisagés : recrutement, solde, discipline, moyens d'action psychologiques subis par eux) et cadres (centurions, tribuns et préfets, légats). Avant, d'entrer dans une critique de détail disons que ce livre (où 1. Problèmes de la guerre à Rome, sous la direction de J.-P. Brisson, Mouton-Bordas, 1969 (série de conférences faites en 1965-1966 au « Centre d'études comparées des sociétés anciennes ») : cf. en particulier C. Nicolet, Armée et société à Rome sous la République : à propos de l'ordre équestre, p. 117-156. Rev. ÉL anc. 15 226 REVUE DES ÉTUDES ANCIENNES se voit nettement la marque d'A. Aymard) n'est pas seulement une compilation, un « manuel », ni même l'exposé d'un dossier : c'est un livre systématique, sous-tendu d'un bout à l'autre par une vision très personnelle, inspirée par une « thèse » qui est exposée et défendue avec beaucoup de persévérance. On pourra, sur tel point particulier, n'être pas d'accord avec M. Harmand ; on pourra même trouver sa thèse — comme il arrive souvent — trop accusée, et trop poussée dans les moindres détails : mais l'érudition déployée, la convergence des témoignages et des arguments font oublier, lorsqu'on ferme le livre, ces réserves ou ces hésitations, et l'on est fort tenté de lui donner raison. En gros, cette thèse peut se résumer ainsi : d'abord, une question de méthode : il est absurde de se représenter les armées de la « république tardive » sur le modèle des armées bureaucratisées et, d'un sens, « modernes » de l'époque impériale, à l'organisation rodée par deux siècles de monarchie militaire. Depuis les guerres de Macédoine jusqu'à Cras- sus — è l'exception de la « réforme marienne », d'ailleurs en partie avortée, et de Yexercitus gallicus — l'armée romaine, dans sa décadence, ne fait qu'exprimer le désordre, l'impuissance, l'amateurisme égoïste des cercles dirigeants de la République. De plus, il faut se méfier infiniment des historiens qui imaginent le recrutement et l'administration des armées de ce temps à la lumière des réalités contemporaines. C'est pourquoi l'auteur a pris soin de lire, et de fort près, les historiens et les théoriciens militaires des xvne et xvme siècles, lesquels, plus près des conditions matérielles de l'Antiquité, l'ont souvent éclairé, sur des problèmes comme ceux des étapes, des convois ou des vivres. M. Harmand professe aussi que les armées de la fin de la République, par leurs effectifs et leurs besoins, leurs aspects, ne sont pas sans rappeler les osts du haut Moyen Age, et il utilise fréquemment les études qui leur sont consacrées, comme celles de F. Lot. Comme ses prédécesseurs (comme Salluste), J. Harmand part de la « réforme marienne » de 107 : mais s'il y voit volontiers, comme E. Gabba, l'aboutissement d'une tendance généralisée depuis quelques décennies (la désaffection des classes civiques supérieures pour le service, l'abaissement des chiffres minimums du cens), il lui dénie toute arrière- pensée et même toute conséquence politique immédiates. C'est à des fins tactiques, uniquement, que Marius a utilisé ses prolétaires : il faut attendre les lois agraires de Saturninus, en 100, pour voir les vétérans intervenir dans la vie politique : c'est en réalité Sylla, et non Marius, qui « a tiré les leçons politiques, restées voilées jusqu'alors, que comportait la naissance de l'armée prolétarienne » (p. 19). On le suivra volontiers sur ce point. Cet instrument d'ailleurs, d'après M. Harmand, n'était pas fameux : la solde trop basse, les irrégularités et les difficultés du dilectus, l'amateurisme des cadres, la corruption ou l'impéritie du commandement, BIBLIOGRAPHIE 227 voilà ce qui ressort de la lecture de ce livre. Naturellement, il s'agit là des armées non césariennes : aucune troupe, aucun chef — même pas Sylla, Lucullus ou Pompée — n'échappent ainsi au pessimisme hyper- critique de M. Harmand. En contraste, César apparaît comme l'homme qui, sur tous les plans, a innové, qui, en huit ans de guerre dans les Gaules, a forgé un instrument entièrement différent des autres armées romaines, qu'il s'agisse de la solde (doublée), de la cavalerie permanente, de l'organisation de l'intendance, ou du renseignement. César, innovant de façon décisive en tout, donne la preuve à la fois de son génie et de ses ambitions. Disons sur-le-champ que cet aspect à la fois systématique et un peu hagiographique de la « thèse » de M. Harmand ne convainc pas toujours : bien qu'au passage nous ayons toujours des discussions bien informées (étayées de notes touffues) sur tel ou tel point, on ne peut s'empêcher de penser qu'il a fait la part trop bello à l'un, trop mauvaise aux autres — victime inconsciente, peut-êtie, de la lecture trop assidue des plaidoyers intéressés de César lui-même. En revanche, il est un point sur lequel on le suivra sans réticence, c'est l'analyse qu'il donne de Γ « état d'esprit » de l'armée césarienne, de l'amour (il n'y a pas d'autre mot) que César a su inspirer à ses troupes, de Γ « es- prit de corps » des soldats et des cadres de l'armée des Gaules. L'auteur attribue le fait, entre autres, avi « socialisme militaire » de César ; laissons-lui la responsabilité du mot : mais l'intérêt de César pour son soldat, et son habilité à se soucier de sa personnalité politique, ne font pas de doute. On appréciera particulièrement, à ce sujet, les chapitres m (le soldat postmarien ; les aspects officiels : les cadres) et iv (le soldat postmarien ; réalité psychologique et sociale et valeur militaire) de la deuxième partie. En particulier, le chapitre consacré aux centurions (p. 324 à 344) est très suggestif. Je serais cependant moins affirmatif que l'auteur lorsqu'il insiste sur le « mépris » dans lequel étaient tenus les centurions, dans la hiérarchie sociale consciente de l'époque, sur leur extraction en général plus que médiocre, sur l'absence fréquente des tria nomina parmi eux, sur la très grande rareté du passage du centu- rionat au tribunat ou à la préfecture. Bien que les notes soient ici particulièrement abondantes, on aurait aimé que la question fût traitée pro- sopographiquement, par l'étude exhaustive, sous forme de tableaux comparatifs, de tous les centurions connus. En fait, Phil. I, 21, nous assure que, depuis 70, les centurions, du moins ceux qui avaient le « cens requis uploads/Litterature/ review-l-x27-armee-et-la-soldat-a-rome-de-107-a-50-avant-notre-ere.pdf

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