Sylvie Germain nous dit dans l’ouverture de Magnus : « En chacun la voix du sou
Sylvie Germain nous dit dans l’ouverture de Magnus : « En chacun la voix du souffleur murmure en sourdine, incognito - voix apocryphe qui peut apporter des nouvelles insoupçonnées du monde, des autres et de soi-même, pour peu qu'on tende l’oreille. Ecrire, c'est descendre dans la fosse du souffleur pour apprendre à écouter la langue respirer là où elle se tait, entre les mots, autour des mots, parfois au coeur des mots.» Comment et dans quel but Sylvie Germain utilise l’intertextualité dans son roman Magnus ? Dans une première partie nous verrons que l’organisation polyphonique se fait à travers l’intertextualité, puis dans une deuxième partie, nous verrons que cette intertextualité est appuyer par une forme romanesque atypique. Tout d’abord, Sylvie Germain étant une écrivaine et une philosophe, elle ne peut pas rester indifférente à la voix de l’autre qui demande à être entendu. Les voix organisées en alternances font écho d’un coin du texte et se joignent à la parole de l’écrivaine, et c’est ainsi qu’elle orchestre une dimension polyphonique. Elle s’engage dans son écriture, à nommer sans cesse d’autre auteurs par l’utilisation de l’intertextualité pour que le lecteur fasse travailler sa mémoire sur les événements passés. On retrouve dans Magnus une intertextualité qui a une construction formelle à la manière d’un puzzle. Dans Magnus, la polyphonie comporte de la musique, des poèmes et un chant liturgique. Par exemple, un lied de Schubert, séquence page 24, des poèmes de Jules Supervielle, dans les séquences page 160 et 190, de Thomas Hardy, séquence page 136, et de Paul Celan, séquence page 63, une petite scène théâtrale de Shakespeare, dans la séquence page 171, un morceau d’une lettre de Martin Luther King, séquence 129 faisant écho à la fin du fragment 14 « I have a dream », des emprunts de Rabbi Nahman de Brastlav et de Rabbi Shem Tov Ibn Gaon, dans le palimpseste page 260, et en fin des citations de la nouvelle de Juan Rulfo, dans la séquence page 84, marquent leur présence dans le roman. En outre, elle utilise l’intertextualité non seulement dans un but stylistique, mais aussi pour renforcer le sens, donner des exemples et remémorer les textes des auteurs dont les noms sont tombés dans l’oubli, par exemple, on retrouve une épigraphe qui souligne les indices principaux du roman : Magnus s’ouvre sur une citation d’Aharon Appelfeld qui fonctionne comme une épigraphe en décelant une enfance traumatisée par la guerre. Aharon Appelfeld est un écrivain et poète israélien qui est né des parents juifs et qui a été victime des nazis à un certain âge d’enfance. La vie de celui-ci a des ressemblances avec celle de Magnus qui doit affronter les séquelles d’une guerre dont il est lui aussi victime. « Ce qui n'a pas été dit en temps voulu est perçu, en d'autres temps, comme une pure fiction », page 11. De plus, chaque partie accentue l’importance de l’intertextualité qui interpose une relation explicite ou implicite entre les textes qui complètent le roman. Par exemple, la nouvelle de Juan Rulfo, citée dans une séquence page 84 , sert de guide à Adam en devenant son livre de chevet. Cette nouvelle devient un objet fonctionnel dans la vie d’Adam Schmalker et dans le roman de Magnus. Elle sert d’intermédiaire entre le conte et le roman où se mêlent l’imaginaire et la réalité, et prépare ainsi le lecteur à un moment où le personnage se souvient de l’événement qui l’a mis dans « la gueule de l’enfer », page 91. En effet, le jeu de la réécriture se fait à travers cette citation. Le nom de l’écrivain espagnol, est cité dans une séquence avec deux morceaux de citation tirés de sa nouvelle intitulée Pedro Páramo structurée en mise en abyme et qui révèle à Magnus sa situation adoptive. La mise en abyme, jouant le rôle de miroir, approfondit la structure de l’oeuvre et crée un sentiment de vertige aussi bien chez le lecteur que le personnage romanesque. De ce fait, cela donne lieu à la confusion du réel et de l’imaginaire en troublant la mémoire. Enfin, Sylvie Germain attire l’attention sur le fait de lire qui ne doit pas être précipité et superficiel, le roman exige la participation d’un lecteur attentif et patient pour reconstruire une mémoire amnésique, parce que l’intertextualité se manifeste explicitement ou implicitement par la voie de citation, d'allusion et de mise en abyme. A travers les citations, Sylvie Germain laisse la parole aux autres pour les faire entendre par leur propre voix qui créent « un vent de voix, une polyphonie de souffles », page 14. Tout d’abord, le roman est organisé en fragments numérotés et entrecoupés de notules, de résonances, de séquences et d’échos, tous porteurs de sens dans l’édifice. Le récit, construit en de différentes parties, met en évidence l’importance de l’enjeu intertextuel au niveau de la composition et de la compréhension du roman. Ensuite, les « notules » qui s’intensifient au début du roman fonctionnent comme des références en bas des pages des articles, qui rapportent des informations explicatives et réelles et qui rendent les emprunts du récit approuvables, comme par exemple la notule page 43 nous apporte des informations sur Clemens Dunkeltal : « Docteur en médecine. Exerça la fonction de médecin de camp successivement aux KL Dachau ». Au fur et à mesure que la lecture continue, les notules laissent leur place aux « séquences » qui représentent les connaissances surgies de la mémoire de Sylvie Germain, et qui accentuent et illustrent le récit précédent, comme nous le montre la séquence page 107 qui révèle à Magnus sa situation adoptive par un extrait de la nouvelle de Juan Rulfo, Pedro Paramo : « Ma mère, dis je, ma mère est morte (…) Eh oui j’ai faillit être ta mère. Elle ne t’a jamais rien dit de ça ». Les « résonances » et les « écho » s’intensifient à la suite de la réminiscence de Magnus. Les résonances mettent au jour des souvenirs anciens de la mémoire du personnage contenant des explications de l’écrivaine qui se lient au fragment antécédent comme la résonance page 200 nous l’explicite : « Toutes ces années sans la moindre nouvelle de toi… », avait dit Lothar à Magnus. Dorénavant, c’est Lothar qui n’en donnerait plus. ». La partie « écho » représente la résonance d’une pensée ou d’une citation qui émue le personnage, comme par exemple l’écho page 117 remémorant à Magnus la mort de sa mère : « Ma mère… ma mère est morte… sa voix… si faible… avait dû franchir une très longue distance pour arriver jusqu’ici…ici…ci… ». Toutes ces sections qui transmettent les paroles et la mémoire de Sylvie Germain, de son personnage et des autres écrivains et des poètes, représentent un orchestre polyphonique dans lequel chaque voix se fait entendre par l’écriture et s’inscrivent dans la mémoire universelle. Enfin, le désordre de la reconstruction de la mémoire du personnage apparaît comme une volonté intentionnelle de l’écrivaine : « Tant pis pour le désordre, la chronologie d’une vie humaine n’est jamais aussi linéaire qu’on le croit. Quant aux blancs, aux creux, aux échos et aux franges, cela fait partie intégrante de toute écriture, car de toute mémoire », page 15. En conclusion, Sylvie Germain passe son message philosophique sans étouffer son lecteur à la manière d’un chef d'orchestre qui dirige l’harmonie de son oeuvre grâce à l’aide de voix polyphoniques. L’intertextualité ne sert pas seulement d’ornements pour embellir le texte, elle fonctionne aussi comme porteuse de message figuré qui enrichit le sens du contenu en agrandissant la dimension poétique. uploads/Litterature/ dissertation-magnus.pdf
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- Publié le Fev 08, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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