Les Néoplatoniciens et les Oracles Chaldaïques* Notre intérêt pour les Oracles
Les Néoplatoniciens et les Oracles Chaldaïques* Notre intérêt pour les Oracles Chaldaïques tient uniquement au fait qu’ils ont été considérés par les Néoplatoniciens comme leur « Bible s* 1 . N’eût été cette circonstance, il est probable qu’ils seraient aujourd’hui complètement oubliés, et en dépit de l’importance qu’ils avaient aux yeux des Néoplatoniciens, ils ne nous ont pas été transmis comme un texte pour lui-même. Malgré les immenses travaux qui leur ont été consa crés depuis un siècle— deux éditions, celle de Kroll et celle de Des Places, l’ouvrage monumental de Hans Lewy et les études approfondies deTheiler, Dodds, Festugière et Cremer2 — ce que nous ignorons toujours à leur sujet est un handicap insurmontable. Par définition, des oracles sont * Ce texte est celui d’une communication faite au Symposium international réuni par l’Université Hébraïque de Jérusalem du 16 au 18 mars 1981 sur le thème : Philosophy and Religion in Late Antiquity. Je remercie mes amis Alain Segonds et Carlos Steel, qui ont bien voulu lire mon texte, en discuter avec moi et me com muniquer de nombreuses observations importantes. 1. C f. M . P. Nu ,S S O N , Geschichte der Griechischen Religion II, 2. Aufl., München 1961, p. 479 : « die Bibel der Neuplatoniker » , et avant lui W. Th e ie ER, Die Chal- däischen Orakel..., p. 1 . 2. G. Knorr,, De oraculis Chaldaicis (Breslauer Philologische Abhandlungen VII, 1), Breslau 1894 (reprint Hildesheim 1962) ; Bd, des Pea ces, Oracles Chal daïques (Coll, des Univ. de Prance), Paris 1971 ; Hans Lew y, Chaldaean Oracles and Theurgy (Recherches d’Archéologie, de Philologie et d’Histoire 13), Le Caire 1956 (nouvelle édition par Michel Tardieu, Paris 1978) ; W. Th ëieER, Die Chaldàischen Orakel und die Hymnen des Synesios (Schriften der Königsberger Gelehrten Ge sellschaft 18, 1), Halle 1942 (reprint dans Forschungen zum Neuplaionismits, Berlin 1966, p. 252-301) ; B. R. Dodds, Theurgy and its Relationship to Neoplatonism, dans Journal of Roman Studies 37, 1947, 55-69 (reprint dans The Greeks and the Irrational, Sather Classical Lectures 25, Berkeley and Los Angeles 1951, p. 282- 3x1), et New Light on the « Chaldaean O racles » , dans Harvard Theological Review 54, 1961, 263-273 (reprint dans LEW x, Chaldaean Oracles, Nouvelle édition, p. 693- 701) ; A. J, Fest u g ièr e, La révélation d’Hermès Trismégiste III, Paris 1953, p. 52-59 et IV, Paris 1954, P- I32-I35 ; Fr. W. C r emer , Die Chaldäischen Orakel und Jamblich de mysteriis (Beiträge zur Klassischen Philologie 26), Meisenheim am Glan 1969. 2 1 0 HENRI-DOMINIQUE SAFFREY des réponses révélées par un dieu aux questions qui lui sont posées par ses dévots. Or, dans le cas des Oracles Chaldaïques, nous ignorons les questions posées, nous ignorons l’identité du ou des dieux interrogés, nous ignorons si les oracles étaient de courtes ou de longues pièces de vers, nous ignorons si la collection de ces oracles avait reçu un ordre qui en traduisait la signification profonde. Ces informations indispensables pour une claire évaluation de leur nature et de leur importance sont pour nous irrémédiablement perdues. Cela dit, l’effort qui a été tenté pour retrouver à travers les citations des Néoplatoniciens quelque chose du texte et de la signification des Oracles Chaldaïques mérite d’être poursuivi en raison de l’extrême impor tance qu’ils ont pour une véritable intelligence du Néoplatonisme. Per- mettez-moi de vous communiquer trois considérations qui s’imposent à moi en face de ce qui a déjà été dit au sujet de ces Oracles : nous devons avouer d’abord que nous en savons encore moins que ce que nous croyons ; ce doute pourtant, en déplaçant notre vision des choses, peut nous permettre d’acquérir d’autres certitudes plus précieuses et de proposer une nouvelle interprétation globale des Oracles ; enfin la découverte de nouveaux textes est encore possible et une étude plus rigoureuse des contextes est indispensable. Vous aurez tout à l’heure la primeur de deux nouveaux Oracles qui doivent être ajoutés à la collection des frag ments telle qu’elle est actuellement constituée. I Ouvrons le livre de Hans Eewy et lisons les premières lignes3 : « The peculiar character of the Chaldaean Oracles is evinced by the existence of accurate data concerning the biography of their authors. There were two of these : Julian, surnamed ' the Chaldaean ’, and his son, Julian ' the Theurgist ’. The younger of them was born at the time of Trajan and lived in Rome in the second half of the 2nd century. He took part in the campaign of Marcus Aurelius against the Marcomans and claimed to have worked a celebrated rain-miracle » . Je crois que tout dans cette phrase est contestable. Examinons d’abord l’affirmation que les auteurs des Oracles étaient deux. Elle repose uniquement sur l’autorité de la Souda, sorte de lexique encyclopédique composé à la fin du Xe siècle. On y trouve deux articles sous le nom de ’IouUavôç. Je les traduis4 . « n° 433. Julien, Chaldéen, philosophe, père du Julien surnommé théurge. Il a écrit un ouvrage Sur les démons en quatre livres. Pour les hommes, il 3. Le w y , p. 3-4. 4. Suidae Lexicon II, ed. Ada Adler, Leipzig 1931, p. 641, 32 - 642, 4 ; la source est Hésychius (probablement V e siècle). NÉOPLATONICIENS ET ORACLES CHALDAÏQUES 211 y a une amulette correspondant à chaque partie du corps, comme par exemple les amulettes télésiurgiques Chaldaïques » . Cette dernière phrase est juxtaposée à la notice sur Julien sans liaison apparente. C’est probablement une citation ou une sorte de xecpédaiov de Julien lui-même ou d’un ouvrage sur Julien, peut-être rappelée ici pour expliquer son surnom de ‘ Chaldéen qui signifie magicien5 . « n° 434. Julien, fils du précédent, a vécu sous le règne de l’empereur Marc-Aurèle. Il a écrit lui aussi des Thêourgica, des Télestica, des Logia en vers, et tous les autres secrets de cette science. C’est celui-là qui, dit-on, un jour que les Romains mouraient de soif, subitement fit pro duire des nuages, se lever une tempête, tomber une pluie violente avec des coups de tonnerre accompagnés d’éclairs ; et cela Julien l’accomplit par le moyen d’un certain savoir. D’autres disent que c’est Arnouphis, le philosophe égyptien, qui a opéré ce miracle » . Ces deux textes sont évidemment l’aboutissement d'une tradition sur la biographie de ces deux personnages, qui doit remonter aux Néopla toniciens. Ce qu’ils nous disent sur ces deux Julien, le père et le fils, l’un surnommé Chaldéen, l’autre, Théurge, tous les deux détenteurs d’un savoir Chaldaïque, peut se ramener à ceci : le premier avait écrit un ou vrage intitulé Sur les démons, et le second, qui a vécu sous le règne de Marc-Aurèle (161-180), a écrit plusieurs ouvrages de science théurgique, dont des Logia en vers. Apparemment donc, seul Julien le théurge est réputé avoir été l’auteur des Logia. Passons maintenant à cette autre affirmation selon laquelle Julien le théurge vivait à Rome. Dans une note, Rewy précise6 : « Juüan’ s stay in Rome is presupposed in Anastasius Sinaïta’s statement (embroidered by legendary traits) that in the time of Domitian (!), in the course of a magical combat with Apollonius of Tyana and Apuleius, he delivered the city from the plague » . Je traduis donc le passage en question d’Anas- tase le Sinaïte7 : « Julien, Apollonius et Apulée, mages sous le règne de Domitien, opéraient diverses actions magiques. D’une d’elles se trouve dans les récits des Anciens comme suit. Ra peste avait pris possession de Rome et tout le monde mourait çà et là ; c’est alors que ces mages furent sollicités par l’empereur et ses courtisans de venir au secours de la ville qui périssait. Apulée dit : Pour ce qui est de moi, je ferai cesser en quinze jours le fléau de la peste, établi dans un tiers de la ville. Ensuite, Apollonius dit : Et moi, je ferai cesser en dix jours la peste qui est dans 5. Cf. l e w y , p. 291, n. 122. 6. LE'vy, p. 3, n. i. 7. An a s t a s e PE Sin a ït e, Quaestiones et responsiones, n° 20, P.G. 89, col. 525 AB. Cette question provient de la seconde collection qui date du Xe siècle, cf. M. Ric h a r d , Les véritables « Questions et réponses » d'Anastase le Sinaïte, dans Bulletin de l'Institut de Recherche et à'Histoire des Textes, n° 15, 1969, 39-56 (reproduit dans Opera Minora III, Turnhout-Leuven 1977, opus, n° 64). Une nouvelle édition est en préparation dans le Corpus Christianorum, Series Graeca, par les soins de J. A. Munitiz. 21 2 HENRI-DOMINIQUE SAFFREY 1 1 n autre tiers de la ville. A son tour, celui qui, parmi eux, était le plus grand et, en raison de sa vanité, le plus proche du diable, Julien, répondit et dit : Dans quinze jours, la ville tout entière aura péri sans attendre notre secours ; eh bien, dans le dernier uploads/Litterature/ les-neo-platoniciens-et-les-oracles-chaldaiques.pdf
Documents similaires
-
19
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 05, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.8366MB