24 Septembre 2018 SOCIÉTÉ LE "GRAND REMPLACEMENT" EST-IL UN CONCEPT COMPLOTISTE
24 Septembre 2018 SOCIÉTÉ LE "GRAND REMPLACEMENT" EST-IL UN CONCEPT COMPLOTISTE ? Valérie Igounet, Rudy Reichstadt Les fantasmes sur l’immigration sont anciens et ceux qui les diffusent ont parfois recours à des chiffres fantaisistes ou à des comparaisons abusives. Revient régulièrement dans ces débats la thèse du "grand remplacement", qui désigne clairement des responsables aux flux migratoires ainsi que la solution – radicale – envisagée pour les endiguer, la « remigration ». Rudy Reichstadt et Valérie Igounet analysent les origines de ce concept et la puissance de ce mythe complotiste. « Cessons de faire les chochottes la bouche en cul-de-poule et ouvrons les yeux : le grand remplacement est un fait, que tous les démographes reconnaissent, mesurent, et que les courbes de naissance et de mortalité annonçaient depuis longtemps. » Jean-Marie Le Pen, Mémoires, 2018[1]. L’enquête sur le complotisme dans l’opinion publique française réalisée en 2017 par la Fondation Jean-Jaurès et l’Observatoire du conspirationnisme montre que, si 53% des personnes interrogées estiment que « les pays européens ont le devoir d’accueillir les personnes poussées à l’exil par la guerre et la misère, et [que] c’est aussi leur intérêt économique à long terme », 48% approuvent l’affirmation selon laquelle l’immigration est « un projet politique de remplacement d’une civilisation par une autre organisé délibérément par nos élites politiques, intellectuelles et médiatiques et auquel il convient de mettre fin en renvoyant ces populations d’où elles viennent[2] ». Formulé de cette manière, l’énoncé proposé aux sondés cherche à résumer la thèse du "grand remplacement" – selon l’expression forgée par Renaud Camus dès 2010 dans son Abécédaire de l’In-nocence[3] – dans son acception la plus ouvertement conspirationniste : débarrassée de toute ambiguïté quant à sa dimension intentionnelle, elle désigne clairement des responsables ainsi que la solution – radicale – envisagée pour l’endiguer, la « remigration ». LES ORIGINES D’UN CONCEPT Environ un Français sur quatre a au moins un parent ou un de ses grands- parents issu de l’immigration[4]. ». Au XXe siècle, notre pays n’a cessé d’intégrer des personnes venues d’horizons très différents et de cultures parfois lointaines mais nouées intimement à son histoire, notamment coloniale. L’intégration est un processus au long cours qui ne s’est pas toujours accompli sans difficultés. Au sentiment de rejet éprouvé par les uns, souvent soumis à des vexations ou des discriminations xénophobes, répond le sentiment de dépossession de ceux qui ont parfois l’impression de ne plus être chez eux dans leur propre pays. C’est de ce malaise identitaire[5] que se nourrit la thèse du grand remplacement. La première publication de l’ouvrage de Renaud Camus, Le Grand Remplacement[6] date de 2011 (Neuilly-sur-Seine, éditions David Reinharc). Le livre a été réédité et augmenté depuis. Et suivi d’autres écrits, comme un livre d’entretiens avec Philippe Karsenty[7] publié lors de la dernière campagne présidentielle sous le titre 2017, dernière chance avant le Grand Remplacement. Changer de peuple ou changer de politique ?[8]. Selon Renaud Camus, depuis une vingtaine d’années, un peuple – issu de la population d’immigrés venus d’Afrique et du Maghreb – se substituerait à un autre, les « Français de souche ». Les conséquences de ce « changement de peuple et de civilisation » rendu possible par la « grande déculturation » se déclinent en trois temps : l’« altération » puis la « dissolution » de l’identité française annoncent sa « destruction » aux alentours de l’année 2030[9]. Les coupables ? Les acteurs politiques et les élites « mondialistes » qui soutiennent, encouragent et travaillent à rendre irréversible cette substitution démographique. C’est le « remplacisme », dénoncé comme « le principal totalitarisme actuel », un totalitarisme flanqué d’un nouvel « impérialisme » : l’islam. L’immigration et le grand remplacement ne sont pas simplement liés. Ils sont présentés comme sciemment organisés par les « représentants de la superclasse mondiale ». L’écrivain insiste sur une « colonisation démographique » qui « touche à l’identité même de la nation, et [qui] dans très peu d’années […] sera irréversible ». En d’autres termes, la France s’apprêterait à passer sous domination musulmane. Ce processus de reconquête à différentes facettes (culturelle, biologique, intellectuelle, financière, médiatique, démographique, mais aussi alimentaire, vestimentaire, etc.) va de pair avec un « grand effacement » touchant la mémoire, la culture et les valeurs nationales. La défense de l’identité française et, plus largement, européenne, et la dénonciation des « mensonges », entre autres médiatiques et politiques, sous-tendent ce discours fondé sur un constat catastrophiste et anxiogène. Parmi les mesures proposées pour faire échec au remplacisme : la suppression du droit du sol, le rétablissement de la double peine, l’abrogation du regroupement familial, l’interdiction d’adopter des enfants extra-européens « sauf obligation, pour les parents, d’aller les élever sur place ou de participer à distance à leur éducation », l’adoption d’une charte de la « culture et de la civilisation françaises ou européennes dans les comportements comme dans les références », la création d’un Haut- Commissariat à la Remigration (sic) et d’un grand ministère de l’Identité et de l’Enracinement, l’attribution exclusive des aides sociales et des logements sociaux aux nationaux et ressortissants européens, la préférence locale, nationale et européenne dans les embauches ou, encore, la mise en place dans les établissements scolaires de « leçons d’in-nocence » et la défense de l’identité culinaire. Le concept forgé par Renaud Camus n’épuise pas à lui seul la défiance à l’égard d’une submersion démographique organisée. L’ancien frontiste Jean-Yves Le Gallou, fondateur du Club de l’horloge (1974), de la Fondation Polémia (2002) et de l’Institut Iliade (2014), explique ainsi dans Immigration : la catastrophe. Que faire ?[10] que l’Europe est la proie d’un projet idéologique : le « mondialisme immigrationniste marchand » ou « MIM[11] ». Mais le thème du grand remplacement fait aussi écho aux visions apocalyptiques charriées par un « roman » de politique-fiction paru en 1973 : Le Camp des Saints[12]. Son auteur, Jean Raspail, y décrit « la fin du monde blanc, sous l’invasion des millions et des millions d’hommes affamés, “sous-développés”, qui constituent les trois quarts de l’humanité ». Il prend parti, nous dit la quatrième de couverture, « non point contre ces foules de la misère qui, un beau jour, ne peuvent résister à la tentation du “paradis”, mais contre ceux qui, dans nos sociétés, publiquement ou en secret, consciemment ou inconsciemment, travaillent à la décomposition, au désarmement moral et spirituel de la civilisation ». L’histoire mise en récit est celle d’un million de migrants originaires des Indes qui arrivent dans le sud de la France, l’envahissent jusqu’à faire disparaître les civilisations française et occidentale. Certains passages sont éloquents. Dans les dernières pages, le narrateur – alors réfugié en Suisse – « parle de ceux qui prirent le chemin de la Suisse pour tenter d’y prolonger ce qu’ils aimaient : une vie à l’occidentale, entre gens de même race. [...] Être suisse, c’était porter l’étoile jaune. Entre la haine, la condescendance et le mépris, le monde des bien-pensants montrait sévèrement du doigt, à tous les gogos scandalisés, cette Suisse qui osait se réclamer de valeurs égoïstes aussi anormales. » Lors de la cinquième édition, début février 2011[13], le nombre d’exemplaires vendus a subitement augmenté. Et Jean Raspail poursuit son récit de politique-fiction à travers quelques interviews, reprenant à son compte la thèse du grand remplacement : Loin du roman, dans l’exacte réalité qui est la nôtre, nous mesurerons la plénitude de l’immigration au tournant des années 2045-2050, lorsque sera amorcé le basculement démographique final : en France, et chez nos proches voisins, dans les zones urbanisées où vivent les deux tiers de la population, 50% des habitants de moins de 55 ans seront d’origine extra-européenne. Après quoi, ce pourcentage ne cessera plus de s’élever, en contrecoup du poids des deux ou trois milliards d’individus, principalement d’Afrique et d’Asie, qui seront venus s’ajouter aux six milliards d’êtres humains que la Terre compte aujourd’hui, et auxquels notre Europe d’origine ne pourra opposer que sa natalité croupion et son glorieux vieillissement[14]. Au fil du temps, Jean Raspail a fini par passer pour un visionnaire auprès de l’extrême droite française et internationale. L’ancien conseiller de Donald Trump, Stephen Bannon, s’y réfère. Marine Le Pen « invite les Français à lire ou relire Le Camp des Saints[15] ». Le journal municipal distribué par la Ville d’Orange, dirigée par Jacques Bompard (ancien du FN), en conseille également la lecture[16]. Pour Jean-Yves Le Gallou – qui, après avoir théorisé la « préférence nationale », spécule désormais sur la notion de « préférence de civilisation[17] » –, il « faut lire et relire le livre de Jean Raspail, Le Camp des Saints, l’histoire d’un afflux massif d’un million d’immigrants : ce n’est pas seulement un livre prophétique, c’est la plus pertinente analyse de la situation des quarante dernières années. La fiction romanesque apporte le meilleur éclairage d’une réalité politique fondée sur la tyrannie médiatique et le déni de réalité ethnique[18]. » Le thème de la submersion démographique organisée n’est pas sans lien avec une rumeur aux relents racistes et conspirationnistes très médiatisée dans le contexte des élections municipales uploads/Litterature/ le-grand-remplacement-est-il-un-concept-complotiste.pdf
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- Publié le Jan 20, 2021
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