PREFACE de Jean-Pierre Fleury, Ecrivain, Docteur en sociologie de l’Université
PREFACE de Jean-Pierre Fleury, Ecrivain, Docteur en sociologie de l’Université de Nantes, au roman « Le passage à niveau » d’Olivier Mathieu, dit Robert Pioche. “FRAGMENTS D’UN DISCOURS SUR ROBERT PIOCHE”, par Jean-Pierre Fleury. Se faire connoître tel que l’on est, fait le bonheur de peu de gens ; les autres ont intérêt de cacher ce qu’ils sont. (Du Puy ; Caractères, pensées, maximes et sentimens dédiez à Monseigneur le duc de la Rochefoucault ; 1694 ; XIII). Être homme est facile, être un homme est difficile. (Proverbe arabe). Parler d’Olivier Mathieu, dit Robert Pioche, n’est pas chose aisée. Je parlerai donc “de l’un” et “de l’autre”: et je me disperserai. Volontairement. Nécessairement. Et j’emprunterai certaines des pistes - innombrables, vraiment - qu’Olivier Mathieu ouvre par ses livres comme par son existence; et je reviendrai sur mes pas, et je me perdrai moi-même dans ce labyrinthe, en vous y invitant pourtant à me suivre; et certes sans espérer “tout dire” sur Olivier Mathieu et Robert Pioche, j’évoquerai aussi quelques sujets en apparence sans rapport avec lui, pièces d’un puzzle qui aideront pourtant le lecteur à la recherche du fil d’Ariane... Robert Pioche joue, encore et toujours, à la vie, dans les quartiers de traîne- amour, de garde-élans, de faute-oublis, de juste-au-coeur. Robert pioche avide dans les gravats de sa cité troyenne à lui. Et les ruines ne sont jamais vides, mais emplies de si lourds fatras, de si tendres fardeaux, de délicats fracas. Et ses livres en dégorgent et s’encolorisent fort justement de fatrasies éparses, de morceaux de vie reconstitués, revisités, retravaillés, revécus, embellis de déraison sans doute ou réachevés en d’autres fins moins sinistres, d’espoir ou de rêverie. Et le passé vécu, ou raconté par d’autres, et le présent, et le futur mythique même, s’entremêlent et s’entr’harmonisent. Le langage est largement classique non sans néologismes, la prosodie elle-même aime en certains textes poétiques les alexandrins et les octosyllabes, mais déjà les images sont moins sobres, libres et enlacées, charmantes et délicates, rabelaisiennes et crues, villoniennes, et pour finir le résultat est un ouvrage totalement baroque. Les souvenirs sont livrés en désordre, les strates archéologiques s’emmêlent, on recherche en priorité les trésors perdus, les belles pièces de musée, on en oublie de répertorier scientifiquement les redécouvertes accessoires ou annexes, les traces infimes de poussière du temps, on néglige de dresser les plans exacts des archives éclatées, des tables d’argile éparses, incomplètes et brisées, brûlées au foyer des passions éternellement mourantes, des feux grégeois d’autrefois ou des brûlis barbares des raisonniers. Voilà pourquoi cette préface sera intitulée: “Fragments d’un discours sur Robert Pioche”. Début d’un labyrinthe, d’un jeu de pistes. ▼ Du côté de Sils-Maria, perdu, perclus sur les sentiers pentus de Haute- Engadine, un spectre hante encore, à coupe rosée, les petits matins virils, au détour d’un angle de « grippa » (nom collectif désignant « les rochers », en romanche), en ces rocailles d’où sourd, d’un coin de fougères, une eau vive et si pure. Sous la frondaison des arbres, hauts comme cieux des montagnes enneigées, surgit ainsi Dionysos le crucifié ou son aède et double Zoroastre, le voyant danseur de cordes oriental. En limite des prairies, au-delà des forêts, les aigles attendent sa sortie du bois, mais lui boit à sa timbale, insatiable, une eau glacée qu’il transmue, par quelque science enchanteresse, en eau solaire de ses idées ; et au retour, dans ses pénates empruntés, revenu sur le sol à bas, il assume « humain, trop humain », sa soif de savoir et d’air vif en des contingences trivialement terre à terre. La philosophie réclame d’être incorporée, longuement mâchée ou bue, digérée ou distillée, apurée en fin. Passée au crible ou régurgitée. Tout l’art de la rumination zoroastrienne. Friedrich l’hellène oriental et indo-européen martela ainsi de ses gros souliers de marche, à l’orée d’un siècle de bruits, de fureurs et de brutes, ses dithyrambes angéliques et aériens, ses aphorismes de “psychologue” comme il se dénommait lui-même, destinés aux heureux et rares lecteurs attentifs et bienveillants, ses quelques et frêles contemporains. ▼ Vos, o clarissima mundi Lumina, labentem coelo quae ducitis annum, Liber, et alma Ceres (...) Et vos, agrestum praesentia numina, Fauni, Ferte simul Faunique pedem Dryadesque puellae : Munera vestra cano. (Virgile, Géorgiques, I). En nos jours crépusculaires comme encre de sèche, autre part en contrée latine, un autre nomade, Olivier Mathieu – prénom prédestiné, l’olivier n’est-il pas l’arbre emblème des bucoliques ? – un romain européen indigent s’est mis, lui, martel en tête, comme Charles le preux chevalier, de bouter, hors du monde des songeries et des espoirs toujours incommensurablement déçus, l’affligeante réalité contemporaine faite de tournis abrutis et du pouvoir des cancres, lorsque traînent à l’affût des cancrelats experts en putasseries grotesques et assassines, et autres salauderies. Car... “Le monde est un vrai commerce d’apparences d’amitié, de bonne foi, de reconnoissance, de tendresse &c. celui qui donne des realités au lieu des apparences est pris pour dupe, semblable à un homme qui donneroit de la bonne monnoye pour de la fausse” (Du Puy, pensée II). Olivier Mathieu cherche, seul et parfois hagard, la lumière sous l’ombre calmée d’une ruelle amicale séculaire ; la lumière au jour même où la nuit polaire des idées s’abat sur notre espèce occidentale en de décadents vomis givrés d’intellectocrates confortables, n’ayant plus un chouia de fierté, plus du tout une goutte de « sang intellectuel » dans les veines, et tellement fonctionnarisés, étatisés que leurs cerveaux vils, engourdis et embrumés, brament en rut saisonnier des rodomontades pitoyables de têtes molles de la pensée servile. ▼ La recherche quasi-solitaire d’Olivier Mathieu, toute en cynisme grec, est récurrente et obstinée, tatillone et tenace, coriace et maudite. Dolente et douloureuse. Elle emprunte certaines sentes de la vie difficile d’un Villon ; elle met en pratique l’axiome bloyien : « La douleur est l’auxiliaire de la création. » Dors, dor d’or ! Il est un curieux mot roumain d’une riche polysémie – dor – simple mot de trois lettres, de trois lettres d’or, qui à lui seul, prétend réunir les sens de : nostalgie, regret, mal du pays (le peuple roumain fut si longtemps un peuple de bergers transhumant), mais aussi soupir tendre ou mélancolique et, finalement, désir (peut-être vain). Ce mot vient du latin dolor où il a, à la fois, le sens de douleur physique morale, de souffrance et de chagrin, de dépit et de ressentiment et même de colère. Dolor a donné douleur en français, il est de la famille de « dolent, indolent, indolence ». En ancien français, « dol » ou « duel » signifia « souffrance, chagrin » et finalement deuil, l’expression même de la souffrance. Et bien, il me semble que ce dolor latin, ce dor roumain et ce dol vieux français expriment parfaitement à eux trois, en leurs diversités et confluences, l’intégralité des expressions de la nostalgie. ▼ « Ce monde-ci, ma chère Adèle, est une peine perpétuelle ». (Joseph de Maistre – 1753-1821, lettre à sa fille, 1803). La physiologie de la Nostalgie est simple ; simplissime. Nostalgie. Nostalgie qui ronge à se morfondre seul, en solitaire. Passé, présent, futur. Tout y passe, tout s’y perd et s’y transfigure. Dor, dolor, dol. Deuil de ce qui fut, est et sera. Ce jeu, faire son deuil, peut prendre toute une vie. Il en est ainsi de celle d’Olivier Mathieu qui n’en finira jamais de « doler » contre un certain passé d’avant naissance et d’enfance, contre la vie, contre la mort aussi et contre ce bel Âge d’Or, qui ne demandait qu’à éclore ou à perdurer, d’enfance et de jeunesse. Et qu’il n’a de cesse de souffrir et regretter. Et de frapper, de la doloire des mots, les échansons de la décrépitude, du moche, du faux et de la médiocrité instituée. La nostalgie – première occurrence, 1678 – est cette “maladie du retour” que l’on appelle également regret mélancolique, la « mérancolie » – comme on disait en ancien français – pour ce que l’on n’a pas vécu et dont le représentant poétique moderne le plus distingué est Nerval ; la mélancolie pour notre passé révolu, pour ce que l’on a conquis, pour ce que l’on a raté ; les désirs passés insatisfaits, différés, perdus, négligés, pas rencontrés ; par naïveté, timidité, bêtise, mauvaise chance, hasard mauvais ; et qui ne reviennent jamais, si ce n’est en regrets éternels ; le mal d’un ou de plusieurs pays perdus pour toujours. La nostalgie est une mélancolie motivée. C’est une mélancolie raisonnée. À la fois pire car elle contient des regrets, et à la fois plus rassurante car elle est rationnellement explicable, explicite. Mais tout aussi lancinante. C’est le passage à côté, la rencontre avortée qui reste toujours aussi vive, la présente à l’esprit de sensations vivaces et fraîches d’un vécu, d’un rêvé, d’un raconté uniquement douloureux, même si la nostalgie peut être parfois pondérée de tendresse, souvenance d’instants ou d’un temps heureux, car de toute façon tout est perdu fors la mémoire, la fidèle ou la uploads/Litterature/ olivier-mathieu-le-passage-a-niveau-roman.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mai 22, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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