Revue de l'histoire des religions Le mythe de la chute des anges et de l'origin

Revue de l'histoire des religions Le mythe de la chute des anges et de l'origine des géants comme explication du mal dans le monde, dans l'apocalyptique juive. Histoire des traditions Mathias Delcor Résumé Une des explications de l'origine du mal dans le monde a été rattachée dans le judaïsme au mythe de la chute des anges. Cette étude essaie de démêler l'histoire des traditions souvent compliquées qui, du deuxième siècle av. J.-C. jusqu'au premier siècle de notre ère, se sont développées à partir de Genèse 6, 1-4. Aussi est-il étudié en premier lieu le sens qu'avait originairement ce passage dans la préhistoire du texte, puis quand il a été repris par le Yahwiste. Sont passées successivement en revue les exégèses qui en furent données au cours des siècles : interprétations targumiques, textes de Qumran, et surtout littérature apocalyptique. Dans le corpus hénochien, le livre des Veilleurs occupe une place centrale dans la formation du mythe de la chute des anges. La recherche porte plus spécialement sur l'origine de certaines traditions. On voit se manifester l'influence des mythes grecs, mais plus rarement on observe la résurgence des mythes cananéens. On constate, pour ce cas précis, la large ouverture des apocalypticiens aux mythologies étrangères et leur grande puissance d'assimilation à l'égard de ces dernières. Citer ce document / Cite this document : Delcor Mathias. Le mythe de la chute des anges et de l'origine des géants comme explication du mal dans le monde, dans l'apocalyptique juive. Histoire des traditions. In: Revue de l'histoire des religions, tome 190, n°1, 1976. pp. 3-53; doi : 10.3406/rhr.1976.6254 http://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1976_num_190_1_6254 Document généré le 03/05/2016 Le mythe de la chute des anges et de l'origine des géants comme explication du mal dans le monde dans l'apocalyptique juive Histoire des traditions Une des explications de V origine du mal dans le monde a été rattachée dans le judaïsme au mythe de la chute des anges. Cette élude essaie de démêler Vhistoire des traditions souvent compliquées qui, du deuxième siècle av. J.-C. jusqu'au premier siècle de notre ère, se sont développées à partir de Genèse 6, 1-4. Aussi est-il étudié en premier lieu le sens qu'avait originairement ce passage dans la préhistoire du texte, puis quand il a été repris par le Yahwiste. Sont passées successivement en revue les exégèses qui en furent données au cours des siècles : interprétations targumiques, textes de Qumran, et surtout littérature apocalyptique. Dans le corpus hénochien, le livre des Veilleurs occupe une place centrale dans la formation du mythe de la chute des anges. La recherche porte plus spécialement sur Vorigine de certaines traditions. On voit se manifester V influence des mythes grecs, mais plus rarement on observe la résurgence des mythes cananéens. On constate, pour ce cas précis, la large ouverture des apocalypticiens aux mythologies étrangères et leur grande puissance d'assimilation à l'égard de ces dernières. La littérature apocalyptique a fait une grande place au mythe de la chute des anges, qui a été l'une des explications de l'origine du mal dans le monde. Nous voudrions essayer de démêler l'histoire des traditions souvent compliquées qui, au cours des deux derniers siècles antérieurs à l'ère chrétienne et au Ier siècle de notre ère, se sont développées à partir de Gen. 6, 1-4, d'abord dans les interprétations des Targums, ensuite dans la littérature apocalyptique proprement dite, à commencer par le livre des Veilleurs du Corpus hénochien. REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS 3/76 4 REVUE DE L HISTOIRE DES RELIGIONS Pour mieux montrer les diverses phases de l'évolution de ces traditions, il importe de déterminer en premier lieu le sens qu'avait originairement Gen. 6, 1-4, d'abord dans la préhistoire du texte, puis lors de sa reprise par le Yahviste. Si les études exégétiques sur le fragment de la Genèse sont abondantes1, celles sur la littérature apocalyptique sont peu nombreuses et n'envisagent pas le problème dans son ensemble2. I. — Le fragment mythologique de Genèse 6, 1-4 La Genèse a conservé un fragment assez énigmatique situé en tête du chapitre 6, 1-4, où, sous sa forme actuelle, il constitue une sorte de préambule à la constatation de la corruption croissante du genre humain et à la décision divine de tout exterminer sur la terre : hommes et animaux (6, 5-7). Assez habituellement, ce fragment est attribué au Yahviste en raison de son style et de sa phraséologie. Mais Dexinger a proposé récemment de rattacher le verset 3 relatif à la durée de vie de l'homme à 120 ans au Document sacerdotal, en raison du lien de cette donnée avec les généalogies du cha- 1) Bibliographie : citons les travaux les plus récents : G. E. Closen, Die Silnde der Sáhne Colles (Gen. 6, 1-4), Rome, 1937 ; E. G. Kraeling, The significance and Origin oř Gen. 6, 1-4, JNES 6 (1947), pp. 193-208; J. Fischer, Deutung und literarische Art von Gen. 6, 1-4, Banner Biblische Beitràge 1 (Festschrift Nôtscher), Bonn, 1950, pp. 74-85 ; J. B. Bauer, Videntes filii Dei filias hominum, Verbum Domini 31 (1953), pp. 95-100. E. A. Speiser, YDWN, Gen. 6, 3, dans Oriental and Biblical Studies. Collected writings of E. A. Speiser, Philadelphia, University of Pennsylvania, 1967, pp. 35-40 ; \V. Herrmann, Die Gôttersôhne, ZRGG 12 (1960), pp. 242-251 ; P. Humbert, Démesure et chute dans l'Ancien Testament : maqqel shaqed, Hommage à Wilhelm Vischer, Montpellier, 1960, pp. 63-82 ; Brevard S. Childs, Myth and Reality in the Old Testament, Londres, 1960, pp. 50-58. Mais parmi tous ces travaux il faut citer spécialement l'étude importante de Ferdinand Dexinger, Sturz der Gôttersôhne oder Engel vor der Sinflut ? Versuch eines Neuverstàndnisses von Genesis 6, 2-4, unter Berûcksichtigung der Religionsvergleichenden und Exegesegeschicht- lichen Méthode, Wien, 1966, et J. Scharbert, Traditions- und Redaktions- geschichte von Gen. 6, 1-4, Biblische Zeitschrift 11 NF. (1967), pp. 66-78. 2) Adolphe Lods, La chute des anges. Origine et portée de cette spéculation, Revue d'histoire et de philosophie religieuses 7 (1927), pp. 295-315 ; Leo Jung, Fallen Angels in Jewish, Christian and Mohammedan Literature. A Study in comparative Folk-lore, JQR N.S. XV (1924-1925), pp. 467-502 ; XVI, pp. 45-88 ; pp. 171-205 ; pp. 287-336 ; Ch. Robert, Les fils de Dieu et les filles des hommes, RB 4 (1895), pp. 340-373 ; pp. 525-552. L. R. Wickham, The sons of God and the daughters of men : Genesis VI, 2 in early Christian exegesis, Oudtestamentische Studiën 19 (1974), pp. 135-147. LE MYTHE DE LA CHUTE DES ANGES О pitre 5. Le verset 4 est aussi rattaché par cet exégète au Priesterkodex1. Selon Dexinger, seuls les versets 1 et 2 appartiendraient au Yahviste. Quoi qu'il en soit du bien-fondé de la distinction des sources, ce fragment mythologique ne constitue pas une conclusion du chapitre 5 qui d'ailleurs appartient à P... Bien que ce chapitre 5 décrive une succession généalo- logique d'hommes qu'il est convenu d'appeler les patriarches antédiluviens dont la vie fut exceptionnellement longue et féconde, on ne peut pas dire que les premiers mots du chapitre 6 : « lorsque les hommes eurent commencé à être nombreux sur la face de la terre... » constitue nécessairement un lien avec ce qui précède2. Nous avons plutôt affaire à un début absolu de récit. L'union des beney Elohim avec les filles des hommes n'eut pas lieu tout au début de l'humanité mais lorsque le genre humain eut commencé à se multiplier. Le texte biblique présente ensuite l'union de ces beney Elohim comme le résultat de l'attrait exercé sur eux par la beauté du sexe féminin : « Ils virent qu'elles étaient belles... » (riT31î3, 6, 2). Nous n'avons pas l'intention de résoudre ici les nombreux problèmes de critique textuelle, de philologie et d'exégèse que pose ce fragment et nous renvoyons aux commentaires et aux études spéciales cités plus haut. Dans les perspectives de cette étude, il nous importe plutôt d'identifier les acteurs de cette union. A) Qui sont les beney Elohim ? L'histoire de l'exégèse révèle que les commentateurs anciens et modernes ont été divisés sur leur identité. Pour les uns, il s'agit d'êtres divins ou semi-divins, les anges, pour les autres, cette expression ne désigne que des hommes, les descendants de Seth, ou même des rois et des potentats3. La plus ancienne interprétation est celle qui voit dans ces 1) F. Dexinger, Sturz der Gôttersôhne oder Engel vor der Sinflut ?, pp. 56-57. 2) Sur tout ceci, cf. S. R. Driver, The Book of Genesis. 3) On trouvera le résumé de ces diverses conceptions dans F. Dexinger, op. cit., pp. 125-130. 6 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS êtres des anges. La LXX, d'après certains manuscrits, traduit de fait par ayysXot тои 6sou alors que d'autres manuscrits rendent littéralement beney Elohim par uîol тои беоЗ. En faveur de l'identification avec les êtres angéliques, on invoque d'ailleurs d'autres passages de l'Ancien Testament : Job 1,6; 2, 1 ; 38, 7 ; Ps. 29, 1 ; 89, 7. D'après le livre de Job, les beney Elohim font partie de la Cour divine, car ils viennent se présenter devant Yahvé comme des serviteurs devant leur uploads/Litterature/ le-mythe-de-la-chute-des-anges-et-de-l-x27-origine-des-geants-m-delcor.pdf

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