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Tous droits réservés © Collectif Liberté, 1999 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 13 sept. 2021 14:01 Liberté Le pardon, source de guérison intérieure Marie-Lou Pardonner? Volume 41, numéro 4 (244), août 1999 URI : https://id.erudit.org/iderudit/32572ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Collectif Liberté ISSN 0024-2020 (imprimé) 1923-0915 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Marie-Lou (1999). Le pardon, source de guérison intérieure. Liberté, 41(4), 46–54. 46 MARIE-LOU* LE PARDON, SOURCE DE GUÉRISON INTÉRIEURE D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours considéré le pardon comme une belle théorie. À mon avis, seules les âmes très avancées dans les voies spi- ritueUes pouvaient le pratiquer, car il faUait beaucoup de bienveiUance pour commettre un tel geste. Je n'étais pas de ces personnes. Je nourrissais mes colères de pensées soupçonneuses et j'étais impuissante à résoudre mes désaccords. L'idée du pardon m'apparaissait comme une illusion. D'ailleurs, les gens qui considéraient cette démarche comme de la pure magie m'irritaient. Selon eux, d'un seul coup de baguette, toute relation tendue se transfor- mait en une merveilleuse histoire de réconciliation. Ce genre de miracle instantané ne me satisfaisait guère. De plus, je n'aimais pas jouer le rôle de justicière. Me servir de ce pouvoir pour cataloguer les personnes fautives m'embarrassait. Je ne voulais pas m'attribuer le rôle de juge qui condamne le coupable et le libère ensuite par le pardon. Qui étais-je pour blâmer quelqu'un engagé dans un processus qui se voulait libérateur ? Je ne détenais pas * Marie-Lou, née en 1955, ex-journaliste et auteur (Vers la lumière, Le chemin du pardon, les éditions Médiaspaul) a oeuvré auprès de personnes handicapées et d'enfants en phase terminale du cancer. Des études universitaires en théologie pastorale lui permettront de concrétiser son rêve : venir en aide aux personnes démunies. 47 toute la vérité ! Comment, sans me tromper, connaître les raisons de penser et d'agir des autres ? Les conflits possibles ne pouvaient-ils pas constituer des appels à l'amour plutôt que des attaques personneUes ? Les gestes désespérés de haine et de colère ne cachaient-ils pas les souffrances secrètes de l'âme blessée ? Extension du pardon Lorsque je vivais dans l'Ouest canadien, je faisais souvent la navette Vancouver-San Francisco pour travailler auprès d'enfants ayant atteint la phase termi- nale du cancer. Mon ami Bryan offrait de m'héberger. Cet homme remarquable, je le surnommais mon sage, car sa conception de la vie était exceptionnelle. Chaque jour, dans la quiétude matinale, nous gravissions l'une des collines qui surplombent le Pacifique. Le vent ramenait des odeurs agréables de sel et de varech. Nous nous repo- sions sur une petite butte rocailleuse pour admirer les splendeurs de la création et pour partager nos réflexions sur la vie. Un jour, il me confia un secret longtemps gardé au creux de son cœur : « Marie-Lou, me dit-U, savais-tu que j'ai fait partie de l'équipe qui a fabriqué la bombe atomique lancée sur Hiroshima ? » Cette nouvelle me sidéra. Bien sûr, il ignorait tout des projets meurtriers du gouvernement américain, croyant que la bombe, à titre expérimental, devait exploser dans l'océan Pacifique. Lorsque ceUe-ci détruisit Hiroshima, le 6 août 1945, tuant quatre-vingt miUe personnes et faisant plus de soixante-quinze miUe blessés, Bryan sombra dans un enfer mental qui dura de nombreuses années. Il se sentait coupable d'avoir contribué à la fabrication de cet engin destructeur destiné à supprimer et à mutiler des êtres humains. Son intense sentiment de culpabihté le poussa même à s'autodétruire. Un jour, il mélangea une goutte de plutonium à son repas du soir, provoquant une profonde lésion de l'estomac. Malgré de nombreuses 48 opérations, Bryan dut se résigner, pour le reste de ses jours, à se nourrir strictement d'aliments Uquides, avalés à l'aide d'une paiUe. Vingt ans après Hiroshima, une rencontre mit un terme à son cauchemar. Au cours d'un voyage outre-mer, Bryan fit la connaissance d'une Japonaise d'un certain âge. Toute sa famille avait péri dans l'explosion de la bombe atomique. Parce qu'eUe se trouvait sur un autre continent au moment de la tragédie, cette femme avait été la seule épargnée. EUe se mit à vouer une haine féroce aux Américains, responsables du massacre. Les années ne parvenaient pas à déraciner la souffrance qui dévastait son être. Un jour, elle rencontra un moine qui l'aida, non sans mal, à apprivoiser l'idée du pardon. Deux longues années s'écoulèrent avant qu'eUe n'abandonne son ressen- timent. Elle prit conscience que la haine avait causé la perte de tout son peuple et que cette même haine vivait maintenant en eUe de manière permanente. U faUait donc arrêter ce cycle effroyable en commençant par surmonter ses propres animosités. Le moyen suggéré par le reUgieux était le pardon. Une longue démarche de réconciUation avec elle-même la déUvra finalement de l'emprise de la colère et de la rancune. Elle recouvra une grande liberté de cœur et d'esprit. Touché par son témoignage, Bryan, courageusement, lui avoua avoir participé à l'élaboration de la bombe atomique. D lui révéla à quel point cette tragédie avait hanté sa vie et peuplé ses nuits de cauchemars. Cette femme, au cœur profondément meurtri, eut alors un geste de compassion aussi extraordinaire qu'inattendu. Elle le prit dans ses bras et, tout en fredonnant dans sa langue materneUe, eUe le berça longuement pendant qu'U sanglotait. Bryan me dit : « Ce fut le plus beau jour de ma vie. » Après son récit, je remarquai une lueur intense dans ses yeux. Son regard, empreint d'amour, me remua jusqu'au plus profond. 49 Grâce à cette femme généreuse, au cœur miséri- cordieux, Bryan se Ubéra du poids de la honte et de la culpabUité porté si longtemps dans les rephs de son âme. Son histoire me permit de comprendre que le pardon n'est pas uniquement affaire de justice, mais aussi de charité envers la personne jugée. En abandonnant les préjugés et le ressentiment, on comprend mieux les paroles de Jésus aux Pharisiens, prompts à condamner la femme adultère : « Que celui d'entre vous qui n'a jamais péché lui jette la première pierre. » Nous ne sommes pas différents de Bryan et de cette femme. Nous portons tous à l'intérieur de nous-mêmes la culpabilité d'une erreur, mais aussi la capacité de pardonner et de défaire les nœuds de haine et de vengeance qui nous emprisonnent. Ces deux pôles coha- bitent en nous. Notre tâche, s'il en est une, est d'accroître notre compassion en acceptant nos erreurs et ceUes des autres, même les plus impardonnables. Car il n'est rien qui ne puisse être pardonné lorsqu'on oppose l'amour à la haine. Quand la douceur et la compréhension ne sont plus présentes dans notre vie, le premier choix demeure le pardon. Non pas le pardon intéressé, donné du bout des lèvres, mais le pardon du cœur, celui qui reconnaît l'autre comme un être humain soumis aux mêmes erreurs que nous. À sa place, nous aurions agi comme cette personne. Pourquoi condamner quelqu'un qui reflète notre fragiUté ? Le pardon libérateur Mon expérience du pardon ne ressemble en rien à celle de Bryan. RebeUe, j'acceptais diffidlement l'injus- tice et je m'accrochais à mes griefs et à mes blessures, qui me donnaient un certain contrôle dans les conflits. J'étais convaincue que tous avaient le pouvoir de me faire du mal et que mon seul moyen de défense demeurait la fuite ou l'attaque. Je me plaçais dans une situation où le pardon devenait impossible. Mon enfance, tissée de 50 souffrances, n'était pas étrangère à ma conception erronée de la vie. Quand j'étais âgée de deux mois, ma mère m'a abandonnée, avec mes deux sœurs, sur le bal- con de notre maison. La poUce nous emmena à la crèche d'Youville où nous sommes demeurées quelques années avant d'être confiées à un foyer d'accueil. Les nombreux rejets et les sévices corporels que j'ai alors subis m'ont rendue craintive et méfiante devant la vie. À l'âge de quinze ans, le désir de grandir sans con- trainte et sans brimades m'incita à fuir mon foyer nourricier. Après un mois de douces foUes à faire l'ex- périence de la Uberté tant désirée, la police m'arrêta et me conduisit dans une institution pour jeunes fiUes en diffi- culté. Nous étions toutes logées à la même enseigne, ceUe de la souffrance. Nous quittions les rivages de l'adoles- cence pour devenir des femmes, et nos mauvais coups reflétaient trop souvent notre révolte intérieure. L'en- grenage dans lequel nous vivions nous incitait à la provocation. Nous faisions tout pour nous démarquer et susciter les réactions les plus vives autour de nous. On nous percevait comme des délinquantes juvérùles ! Alors, pas question de décevoir quiconque ! Nos uploads/Litterature/ le-pardon-source-de-guerison-interieure-marie-lou.pdf

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