Le roman libertin Qu'est-ce que le roman libertin? Au XVIIIème siècle le roman,
Le roman libertin Qu'est-ce que le roman libertin? Au XVIIIème siècle le roman, considéré comme un genre mineur par les critiques, obtient la seconde place des ventes littéraires. Placé après la poésie il semble passionner les lecteurs malgré la connotation péjorative du terme qui renvoie dans l'imaginaire aux goûts des femmes et du peuple. Parmi des romans galants ou des romans d'aventures paraissent des centaines de romans libertins qui connaissent un succès important. Onze éditions pour Les Confessions du comte de *** de Duclos paru en 1741, douze pour l'Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux de Gervaise de Latouche en 1745 ou encore dix éditions pour Thérèse Philosophe attribué à Boyer D'Argens et publié en 1748. Ces textes licencieux circulent de main en main sans qu'on puisse les contrôler et paraît-il que Louis XVI en personne se serait constitué sa bibliothèque érotique. C'est que l'écriture précieuse d'un Crébillon comme les tournures réalistes que l'on peut lire dans Margot la ravaudeuse de Fougeret de Monbron semblent agréablement divertir le lecteur. Mais si les romans libertins exaltent le libertinage de mœurs ils n'en font pas moins pour le libertinage d'esprit. Dès lors penser qu'ils ne sont que des « livres qu'on ne lit que d'une main » paraît réducteur. Et en introduction à son ouvrage Libertinage et figures du savoir, Marc-André Bernier affirmait : « En conférant au roman libertin le rôle de précurseur un peu frivole d'une conception moderne du désir, [la critique contemporaine] en a fait non seulement un genre dépourvu de consistance propre : elle l'arrache encore à la singularité, voire à la grandeur, de la tâche qui fût la sienne. » (p. 1). Le terme de « frivole » renvoie en effet à un manque de sérieux et finalement à une chose sans importance. Utilisé aussi pour qualifier quelqu'un d'inconstant dans les relations amoureuses il rappelle cet univers libertin qui substitue le goût à l'amour. Mais la notion de « précurseur » évoque l'annonce d'une idée nouvelle à savoir la « conception moderne du désir » qui marque un nouveau rapport hommes/femmes. Le roman libertin semble ici ambivalent d'autant plus qu'il se voit attribuer le statut de « genre » bien que celui-ci s'avère « dépourvu de consistance propre ». La critique contemporaine ne parvient pas à gommer cette « singularité » et le roman libertin conserve ce caractère rare et exceptionnel, qu'il soit négatif ou positif. Mais on peut toujours se demander ce qu'il en est de « la tâche qui fût la sienne ». Le roman libertin n'est-il finalement qu'un objet de divertissement qui n'a fait qu'annoncer une nouvelle perception de l'attirance et du désir ? Il s'agira d'étudier d'abord le roman libertin en ce qu'il pourrait avoir de léger et de frivole, ce qui nous mènera naturellement à envisager ses autres aspects qui vont dans le sens des idées qui nous conduiront eux-mêmes à remettre totalement en cause les préjugés dont il est la cible. Lorsqu'on se figure le libertinage l'une des idées premières qui affleure à l'esprit est sans doute celle de la sexualité évoquée sur un ton badin. Le libertin semble voguer au gré de ses passions sans jamais s'attacher à rien ni personne. La doxa paraît le représenter comme un caractère vain dont l'existence elle-même est vaine et dénuée de tout sens. Il ressemble à l'homme en quête de divertissement que nous peint Pascal dans ses Pensées, en effet il écrit dans le fragment 126 : « S'il est sans divertissement, et qu'on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu'il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point […] de sorte que s'il est sans ce qu'on appelle divertissement, le voilà malheureux […]. ». Si Pascal parle ici du roi, cette remarque pourrait parfaitement s’adresser à Clitandre, personnage du séducteur dans La Nuit et le Moment de Crébillon qui ne peut s'empêcher d'aller de conquête en conquête pour tromper l'ennui. Ainsi Cidalise lui demande en parlant d'Aspasie ; « Mais comment accordiez vous votre tendresse pour elle avec les complaisances que vous aviez pour Bélise ? » (p. 301(1)) et il se justifie de cette façon « Je ne vous cacherai même pas qu'elle m'amusa quelque temps, et que tous les reproches que je m'en faisais ne m'empêchèrent pas de la garder un mois. Il est vrai qu'Aspasie en passa plus de la moitié hors de Paris, et qu'alors j'avais réellement besoin qu'une femme, que j'aimais, ne fût pas si longtemps absente. » (p. 301-302). Ainsi le libertin apparaît en perpétuelle recherche d'occupations. Le roman libertin peut alors effectivement être perçu comme un simple objet de divertissement sans autre portée que d'attacher l'attention un moment. Ainsi on peut constater qu'à l'inverse de la tragédie, genre sérieux par excellence, les thèmes ne sont pas nobles. Il n'y est pas question de grandes guerres militaires ou de la décadence d'un roi et pour cause, lorsqu'on rédige des romans libertins, on se trouve dans un temps plutôt pacifique, sans grand conflit. On se préoccupe alors des conquêtes amoureuses sans conséquences particulières: « On se plaît, on se prend. S'ennuie-t-on l'un avec l'autre ? on se quitte avec tout aussi peu de cérémonie que l'on s'est pris. Revient-on à se plaire ? on se reprend avec autant de vivacité que si c'était la première fois que l'on s'engageât ensembles. On se quitte encore, et jamais on ne se brouille. » (p. 261). Cette remarque de Clitandre donne la vive impression d'un ballet sans fin aussi monotone qu'insensé. Cette idée se précise dans Thérèse Philosophe puisque Boyer D'Argens puise son inspiration dans un fait divers comme l'indique le sous-titre : « ou Mémoires pour servir à l'histoire du P. Dirrag, et de Mlle Eradice. ». Les lecteurs du XVIIIème siècle identifiaient parfaitement, malgré le jeu d'anagrammes, la plaignante Mlle Catherine Cadière et le père Girard accusé d'abus sexuels, tous deux acteurs d'une affaire qui fit grand bruit. D'aucuns attribuent d'ailleurs à cela le succès du livre. De même, dans Les Bijoux indiscrets de Diderot, le motif qui structure le récit à savoir le pouvoir de faire parler les parties génitales des femmes est totalement fantasque, ce thème, déjà utilisé par le comte de Caylus dans son Nocrion, fait ici office d'idée forte. En effet, Diderot s'étant vu lancer le défi d'écrire un texte « à la façon de Crébillon », doit trouver un fil logique à son histoire comme dans Le Sopha de Crébillon où le protagoniste est transformé en sofa par un génie et se voit dans l'obligation pour être libéré du sort, de servir de couche à un couple innocent qui se donnerait sur lui. Car si les intrigues des romans libertins se doivent d'être divertissantes, c'est qu'elles s'adressent à une société qui s'ennuie exactement de la même façon que celles qu'elles peignent. Dans les Bijoux Indiscrets, Mangogul tient à interroger le bijou de l'une de ces joueuse qui occupe son temps à perdre ainsi dans davantage d'argent qu'il ne lui en eût coûté à ne rien faire, selon une maxime célèbre. En effet, on se confine dans les chambres et dans les boudoirs à Paris ou en province et rien ne trompe davantage l'ennui que de planifier des conquêtes, discourir sans but et s'occuper à des choses futiles. Le jeu occupe pratiquement tout le temps des joueurs et leur esprit ne devient plus disponible que pour cela, le narrateur du texte l'explique en ces termes : « La plupart des femmes qui faisaient la partie de la Manimonbanda jouaient avec acharnement […]. La passion du jeu est une des moins dissimulées ; elle se manifeste, soit dans le gain, soit dans la perte, par des symptômes frappants. »(p. 68(2)). Cette occupation qui est décrite comme une perte de temps gratuite prouve à quel point ces femmes qui s'ennuient ressentent le besoin d'employer leur temps. De même, La Nuit et le Moment de Crébillon ne raconte rien de plus qu'un moment dans la nuit passé à se raconter des histoires, se taquiner pour finalement se quitter presque au matin comme si rien ne s'était passé et Clitandre pourrait le lendemain recommencer la même entreprise avec une autre femme sans que cela ne nous surprenne. Le roman libertin se réduit- il pour autant à ces aspects uniquement ? Car si on ne peut nier qu'ils peuvent le caractériser, il ne faut pas oublier qu'ils ne sont qu'une partie d'un tout qui est éminemment plus riche. L'auteur d'un roman libertin critique bien souvent les usages de la société dans laquelle il vit. En observateur distant, il dresse des portraits satiriques et parodiques qui, bien qu'ils soient souvent placés dans des réalités différentes, ne manquent jamais d'atteindre leurs cibles. Ainsi dans Les Bijoux indiscrets, Diderot utilise beaucoup le procédé de l'allusion qui, s'il peut s'avérer trouble pour nous lecteurs du XXIème siècle, était très bien compris par ses contemporains qui avaient les mêmes repères. Dans le Dictionnaire de rhétorique de Georges Molinié(3), elle est décrite comme « constist[ant] en ce que, dans un discours s'étendant uploads/Litterature/ le-roman-libertin.pdf
Documents similaires










-
29
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Oct 27, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2863MB