Leçons sur la chrysopée de Stéphane d’Alexandrie traduction et présentation des

Leçons sur la chrysopée de Stéphane d’Alexandrie traduction et présentation des trois premières Leçons Florian Audureau Mémoire de M1 d’Histoire et Philosophie des Sciences «L’univers est aujourd’hui sans mystère» Marcelin Berthelot Les origines de l’alchimie (1885) L'âge de l'univers est désormais fixé à 13.7 milliards d'années, à 1% près. Le taux d'expansion actuel est 71 km/s par mégaparsec, à 5% près. La composition de l'Univers est 4% de matière atomique ordinaire, 23% de matière exotique, et 73% d'énergie sombre. Jean Pierre Luminet L'Univers chiffonné (2001) Illustration: Représentation d'artiste de l'Univers primordiale et de ses première étoiles (Source : ESO - Kornmesser) 1. Aperçu historique 1 1.1. L’alchimie: contexte scientifique et philosophique 1 1.2. Le contexte historique, religieux et politique 4 2. Stéphane d’Alexandrie: identité et oeuvres philosophiques 6 3. L’oeuvre alchimique: Sur la chrysopée 11 3.1. Histoire du texte 11 3.2. Place et fonction du texte dans le corpus 13 3.3. Genre du texte: la Praxis. 16 a. Caractère oral de la praxis 16 b. Organisation des praxeis 21 4. Théorie de l’alchimie 25 4.1. L’agencement (κατασκευή) de la matière 25 a. Le modèle mathématique: l’unité et le multiple 25 b. Le modèle de la sympathie (συµπαθεία) 33 4.2. La régénération (παλιγγενεσία) 35 a. Les conceptions philosophiques: acte, puissance et cause 35 b. Les conceptions médicales: le processus d’alimentation 40 4.3. L’alchimie: protreptique et propédeutique à la théologie 46 5. Plan des trois premières Leçons de Stéphane sur la Chrysopée 55 6. Proposition de traduction 57 7. Annexes 73 8. Bibliographie 79 1. Aperçu historique 1.1. L’alchimie: contexte scientifique et philosophique Quand naît la chimie? Au XVIIIe siècle, lorsque Lavoisier introduit des méthodes quantitatives, proposent une nomenclature scientifique et une nouvelle théorie de la combustion? Mais les techniques, les appareils des chimistes avaient déjà alors une longue histoire; de nombreuses autres théories et de nombreux autres chimistes avaient précédé Lavoisier: Stahl, Boyle, Van Helmont… A la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle naît la chimie moderne en rupture avec l’alchimie, laquelle remontait à des temps immémoriaux et comprenait des expérimentateurs et des théoriciens aussi inattendus que Newton en personne. Alors où et quand apparaît l’alchimie? Si on prend pour acte de naissance les premiers traités et les premières recettes attestant d’un essai de théorisation de la chimie comme art ou comme savoir, on peut situer sa naissance en Egypte au tournant de l’ère chrétienne. Mais en réalité, l’alchimie se constitue comme science de manière progressive sur une période qui remonte à la plus haute antiquité et s’achève sous l’Empire Romain d’Orient. Les pratiques elles-mêmes sont en effet très anciennes: la métallurgie était pratiquée depuis des millénaires; la teinture des métaux, l’écriture en lettres d’or, l’orfèvrerie étaient des pratiques égyptiennes pluri-séculaires; et si on pense à la pharmacopée comme à un des précurseurs de l’alchimie, alors ses racines plongerait dans le paléolithique. Ce qui marque l’avènement de l’alchimie, c’est davantage «la rencontre d’un fait et d’une doctrine»1: le fait, ce sont ces pratiques de longues dates en Egypte; la doctrine, c’est essentiellement la philosophie grecque et alexandrine. Cette dernière réfléchit les pratiques et techniques des artisans, en propose une théorisation et constitue ainsi peu à peu l’alchimie comme science de la matière. 1 1 Festugière, La révélation d’Hermès Trismégiste, I, p.218 Selon Festugière, on peut distinguer plusieurs étapes dans cette élaboration conceptuelle2. La première est essentiellement technique. Au début de l’ère chrétienne, vers le IIIe siècle, on trouve notamment les papyrus de Leide et de Stockholm contenant des recettes chimiques nombreuses. Elles consistent principalement à fabriquer des amalgames de métaux avec de l’or (chrysopée) ou de l’argent (argyropée), à fabriquer l’asem, un alliage d’or et d’argent, ou bien à produire des imitations de l’or à partir d’autres substances. Il s’agit souvent d’obtenir une encre dorée pour l’écriture sacrée sur les monuments. Ces papyrus reflètent les techniques pratiquées par les artisans de l’époque et attestent que les origines de l’alchimie «ne sont pas fondées sur des imaginations purement chimériques, comme on l’a cru quelquefois; mais [qu’]elles reposaient sur des pratiques positives et des expériences véritables, à l’aide desquelles on fabriquait des imitations d’or et d’argent»3. Berthelot continue en expliquant qu’il s’agissait de pratiques apparentées à la fraude: l’orfèvre a tout intérêt, financièrement (et à toutes les époques), à vendre au prix de l’or un alliage de métaux ou une imitation de l’or. Cette pratique est ce que Needham nomme «aurifiction», c’est- à-dire un procédé consistant à donner les apparences de l’or à ce qui n’en est pas. La phase philosophique commence avec avec les Physica et mystica du pseudo-Démocrite (entre le IIe siècle avant J.C et le début de l’ère chrétienne). C’est alors qu’on découvre la première attestation du principe central de l’alchimie, l’axiome: «une nature charme une nature, une nature domine une nature, une nature vainc une nature». Un premier degré de théorisation est formulé avec l’emprunt de concepts philosophiques aux différentes écoles grecques: par exemple, la notion de substrat (ὑποκείμενον) subissant les changements de couleurs et le principe de sympathie et d’antipathie. Peu à peu la théorie alchimique va se constituer comme une opération sur les qualités des métaux et on distinguera plusieurs étapes dans le traitement, chacune étant mise en relation avec une couleur spécifique prise par la matière lors de la réaction. Ainsi parlera-t-on du blanchissement, 2 2 Ibid. p.219. Festugière propose la tripartition technique (haute antiquité) - philosophique (sous l’ère hellénistique et jusqu’au début de l’ère chrétienne avec Bolos de Mendès pour premier auteur) - religieuse (à partir du IIe-IIIe siècle, avec Zosime pour auteur le plus représentatif en raison de son interprétation gnostique et hermétique de l’alchimie). Cette tripartition s’inscrit dans la thèse d’un déclin de la rationalité que défend Festugière dans son livre La révélation d’Hermès Trismégiste. Ce déclin de la rationalité commencerait à la fin du règne des Antonins et se caractériserait par une montée des religions révélées et par un constat d’échec de la philosophie déclarant forfait dans son effort de comprendre rationnellement le monde. La recherche diminuerait alors dans le même rapport qu’augmenteraient l’enseignement, la compilation, la transmission de savoir acquis, la répétition des idées, l’activité de commentateurs. Nous ne discuterons pas ici cette thèse hautement contestable qui reprend une datation de la «fin de l’antiquité», pour reprendre le titre d’Ernest Renan, à la fin du IIe siècle et qui méconnaît la dimension heuristique de la pratique du commentaires. Les recherches récentes en mathématiques de l’antiquité ne souscrivent pas à un tel schéma (voir les travaux de Sabetai Unguru et Alain Bernard notamment) et nous verrons que l’un des auteurs les plus tardifs de l’alchimie, Stéphane d’Alexandrie, commentateurs qu’on dit sans originalité, ne fait pas que reprendre et transmettre sans modifications des connaissances acquises par de précédents expérimentateurs et théoriciens. Nous utiliserons cependant les trois étapes de Festugière plus pour identifier trois composantes qui peuvent se retrouver à des degrés différents selon les époques que pour distinguer trois périodes. 3 Berthelot, CAAG, I, p.20 du noircissement et du jaunissement, puis plus tard de l’oeuvre au noir et de l’oeuvre au blanc. Le principe de l’alchimie consiste alors à modifier les couleurs des corps métalliques: il s’agit d’une opération de teinture (βαφή). Les différents métaux sont conçus comme des espèces particulières d’une même matière première métallique indifférenciée. Or dans la théorie aristotélicienne de la définition, la différence des espèces d’un même genre repose sur une différence des qualités. Les alchimistes vont en déduire, contre Aristote, qu’il faut d’abord retirer à une espèce particulière ses qualités – en l’occurrence sa couleur – pour la ramener à un état primordial indifférencié, puis lui attribuer de nouvelles qualités qui accomplissent la transmutation. L’or étant l’élément métallique le plus stable et le plus difficile à transformer, il apparaît aux yeux des alchimistes comme le plus pur et le plus parfait. Le terme employé par Needham pour qualifier cette transmutation des métaux est «aurifaction». Mais il faut ici marquer un point méthodologique important: cette aurifaction n’était pas une utopie ou une élucubration; en un sens, elle était effective et la transmutation des métaux avait bel et bien lieu. Il y a en effet un faux problème qui consiste à poser la question de la possibilité de la fabrication de l’or: si on pose un problème antique avec des définitions modernes, on en conclue nécessairement à l’absurdité et à l’irrationalité du projet; si on pose le problème dans les termes antiques, alors on constate que la chrysopée était un fait expérimental, une donnée pour ainsi dire scientifique4. L’or était en effet doté d’une polysémie qui rendait assez malléable la transmutation. Par ailleurs, celle-ci consistait très souvent à opérer à partir d’une petite quantité d’or réel5 en utilisant une substance nommée «eau divine» comme agent de la teinture6. La composante philosophique de l’alchimie se constitue ainsi en grande partie d’après des notions et idées importées de l’aristotélisme et adaptées à la nouvelle science, mais on retrouve aussi une influence discrète de l’atomisme (ne serait-ce que parce que le premier auteur choisit Démocrite comme 3 4 Il uploads/Litterature/ lecons-sur-la-chrysopee-de-stephane-dale.pdf

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