LA LECTURE : évolution des conceptions de l'apprentissage Par Bernard JAY, IUFM

LA LECTURE : évolution des conceptions de l'apprentissage Par Bernard JAY, IUFM de Rennes 1. La lecture au XIX° a. Qu'est-ce que lire ? La lecture est la première des trois connaissances de base dont l'école primaire doit munir les élèves. Au XIX° siècle, plus encore qu'aujourd'hui, apprendre à lire représente la mission essentielle de l'école primaire, et il n'est pas rare que cet apprentissage emplisse à lui seul les six ou sept années que dure en moyenne la scolarité élémentaire. Encore arrive-t-il fréquemment, jusque dans les années quatre-vingt, qu'au terme de leur scolarité nombre d'élèves n'en soient encore qu'au stade d'un laborieux déchiffrage. " En France, précise un instituteur dans le compte rendu d'une conférence pédagogique de 1875, beaucoup de personnes savent lire, mais très peu possèdent le rare talent de la bonne lecture, qui semble être un privilège pour les gens déjà en possession de la fortune et d'une éducation achevée. " Sans doute, le caractère très décousu de la scolarité des enfants du peuple explique-t-il cette carence. Mais il faut surtout mettre en cause une méthode d'apprentissage particulièrement défectueuse, essentiellement basée sur la répétition mécanique et excluant, malgré les conseils des pédagogues de la seconde moitié du siècle, tout appel à l'intérêt et à l'intelligence des enfants. II y a tout d'abord " la partie matérielle de la lecture ", c'est-à-dire le déchiffrage. Ce que les pédagogues du XIX° siècle appellent encore la " lecture mécanique ", ou " lecture simple ". Il s'agit, dans ce premier temps, d'associer des sons à des signes graphiques. Cette phase de déchiffrage, surtout dans sa première étude qui comprend l'étude des éléments des mots, lettres et syllabes fait peu appel à l'entendement de l'enfant. " C'est un mécanisme dont l'étude n'est guère qu'une affaire de mémoire, et s'adresse plus aux yeux qu'à l'intelligence ", écrit le Journal instituteurs. Les pédagogues reconnaissent cet exercice " peu attrayant par lui-même ", d'où les moyens plus ou moins ingénieux qu'ils inventent pour donner quelque attrait à fassi assimilation de ce mécanisme. D'où aussi la multitude " méthodes ", plus ou moins ingénieuses elles aussi, mises point pour accélérer ce déchiffrage. Le couronnement du déchiffrage est la lecture du mot. Plus souvent cette lecture se fait sans compréhension. Le mot n'est pour l'élève qu'un assemblage de syllabes ou de sons, et même que ces éléments sont pour lui dépourvus de significations les ensembles qu'ils forment le sont également. Le déchiffrage acquis, l'enfant abandonne le syllabaire ou le tableau de lecture pour aborder le livre. Il a atteint le stade de la " lecture courante ". La compréhension du texte lu devient alors possible. " Les enfants ne commencent à comprendre le sens des phrases qu'ils lisent et à prendre goût aux livres, écrit Th. Lebrun en 1875, que quand ils ont acquis l'habitude de lire couramment. Tout absorbé dans les premiers temps par la difficulté matérielle, leur esprit ne peut se détourner pour s'appliquer aux objets qui forment le sujet de leur lecture. " 1 Cette compréhension est dès lors indispensable, et le maître doit y veiller. " Il ne suffit pas de savoir distinguer des lettres ou déchiffrer des syllabes, ou lire plus ou moins couramment des mots et des phrases, écrit le Journal des Instituteurs en 1859. Il faut connaître la signification des mots, leur valeur et leurs acceptions diverses, et se rendre compte du sens des expressions et des phrases qu'ils servent à former. " D'où la notion de " lecture expliquée ", ou de " lecture raisonnée ", que la Rénovation pédagogique met à l'ordre du jour et pour le triomphe de laquelle elle mène d'ardents combats. Comprenant ce qu'il lit, l'enfant est en mesure de franchir les deux étapes que les pédagogues de la Rénovation distinguent dans la pratique de la lecture courante : la " lecture intelligente ", dans laquelle la compréhension se traduit par le ton et les inflexions de la voix, la " lecture expressive " ou " lecture accentuée ", " qui ajoute à l'intelligence le sentiment du sujet, accompagné de la flexibilité d'organe nécessaire à l'expression de ce sentiment " Tout au long du siècle, une sorte de dichotomie caractérise donc la conception qu'on se fait de l'apprentissage de la lecture. A la limite, pour certains, déchiffrage et lecture courante appartiennent à deux réalités différentes. b. Pourquoi lire ? Lorsqu'il est " raisonné ", l'apprentissage de la lecture est de nature à permettre, outre l'acquisition d'une technique instrumentale, la formation intellectuelle de l'enfant. Aux alentours de 1830 on s'interroge pour savoir s'il convient d'apprendre à lire aux enfants avant de leur avoir appris à penser. De nombreux pédagogues jugent cette question sans fondement, estimant que l'apprentissage de la lecture contribue à l'apprentissage de la pensée. L'une des principales raisons qui poussent les pédagogues à inciter les élèves à comprendre ce qu'ils lisent, tient au fait que c'est le seul moyen de permettre aux leçons de lecture de véhiculer un contenu moral et religieux. Mgr Donnet, archevêque de Bordeaux, conseille aux maîtres, les veilles de dimanches et de fêtes, de commenter avec leurs élèves des textes relatifs à la solennité du lendemain. La leçon de lecture devient ainsi l'annexe et le complément de la leçon de catéchisme. Les textes officiels vont dans le même sens. L'un des plus significatifs à cet égard est une circulaire adressée en 1871, au lendemain de la défaite, par l'Inspecteur d'académie du Calvados aux Inspecteurs primaires sur " la tenue et la direction des classes ". Les livres de lecture ne doivent pas contenir, précise l'Inspecteur d'académie, " des idées creuses, de vaines descriptions de contrées lointaines, des jeux d'imagination ", mais < des récits simples et attachants, où le devoir et tout ce qui est grand, noble et pur, se présentent sous des formes gracieuses, où l'enfant se sent invité à devenir meilleur, parce qu'il y a là une voix douce et persuasive qui lui fait aimer la vertu, le travail, les saintes rigueurs du sacrifice, la famille, Dieu et la patrie ". Notons enfin qu'entraîner l'enfant à une lecture comprise, c'est le doter, pour sa vie future, d'un outil lui permettant d'être plus efficace dans son activité professionnelle. On retrouve ici la -finalité utilitaire de l'enseignement primaire que nous avons souvent eu l'occasion de noter. On retrouve également cette même finalité à propos de la lecture du latin. L'objectif visé dans ce cas n'est pas la formation, l'enfant ne comprenant pas ce qu'il lit, mais l'utilité pratique: permettre aux enfants de servir l'office du dimanche. 2. Les programmes d’enseignement de la lecture : a. La lecture dans les emplois du temps à l’école : Tous, ou presque, se basent sur une méthode synthétique qui part des éléments du mot, pour atteindre le mot lui-même, puis la phrase, avant de parvenir à la lecture courante. Un bon exemple de cette méthode nous est fourni par A. Rendu, en 1819, qui prévoit neuf sortes de " leçons " pour l'apprentissage de la lecture. " La table d'alphabet, la table des syllabes, le syllabaire, le second livre pour apprendre à épeler et à lire par syllabes, le même second livre dans lequel ceux qui savent épeler commencent à lire, le troisième livre qui sert à apprendre à lire par pauses, le psautier, la Civilité chrétienne, les lettres écrites à la main. " Le plan d'études de Charbonneau (1853) suit rigoureusement la progression classique qui va de l'élément au tout, de la lettre à la phrase. La première année, les élèves étudient les lettres, épellent les mots et commencent la lecture courante. La seconde, ils continuent la lecture courante et commencent la lecture du latin (l’avantage du latin étant d’avoir un plus grande conformité entre graphie et phonie que le français) et des manuscrits. En troisième année, la lecture courante devient " correcte ", c'est-à-dire expressive, en même temps qu'on continue la lecture du latin et des manuscrits. Le plan d'études de Rapet (1859) introduit une dimension nouvelle, qui devait être largement reprise par la Rénovation pédagogique: la compréhension du texte lu. Dès la deuxième année, Rapet propose d'adjoindre à la lecture courante " l'explication des morceaux ". En troisième année, tandis que la lecture courante devient " expressive ", " les élèves sont exercés à rendre compte de ce qu'ils ont lu ". Gréard continue dans cette direction. Son plan d'études (1868) prévoit, dès le Cours élémentaire, l'explication des mots par le maître. Au Cours moyen, cette explication se double d'interrogations destinées à vérifier la compréhension. Au Cours supérieur enfin, la lecture dans les livres et dans les cahiers manuscrits se fait " avec explications et comptes rendus ". Quant au programme de 1882, il prévoit, en classe enfantine, l'étude des lettres, des syllabes et des mots, au Cours élémentaire, la lecture courante " avec explication des mots ", au Cours moyen, la lecture courante avec des explications plus larges, et enfin, au Cours supérieur, la lecture expressive. Ainsi, aux activités juxtaposées entre lesquelles s'éparpille, au début du siècle, l'enseignement de uploads/Litterature/ lecture-imp 4 .pdf

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