Nouveaux Essais sur l’entendement humain Gottfried Wilhelm Leibniz Publication:
Nouveaux Essais sur l’entendement humain Gottfried Wilhelm Leibniz Publication: 1703 Source : Livres & Ebooks : S’il y a des principes innés dans l’esprit de l’homme PHILALÈTHE. Ayant repassé la mer après avoir achevé mes affaires en Angle- terre, j’ai pensé d’abord à vous rendre visite, monsieur, pour cultiver notre an- cienne amitié, et pour vous entretenir des matières, qui nous tiennent fort à cœur, et où je crois avoir acquis des nouvelles lumières pendant mon séjour à Londres. Lorsque nous demeurions autrefois tout proche l’un de l’autre à Amsterdam, nous prenions beaucoup de plaisir tous deux à faire des recherches sur les principes et sur les moyens de pénétrer dans l’intérieur des choses. Quoique nos sentiments fussent souvent différents, cette diversité augmentait notre satisfaction, lorsque nous en conférions ensemble, sans que la contrariété qu’il y avait quelquefois y mêlât rien de désagréable. Vous étiez pour et pour les opinions du célèbre auteur de la Recherche de la Vérité , et moi je trouvais les sentiments de Gassendi, éclaircis par M. Bernier, plus faciles et plus naturels. Maintenant je me sens extrêmement fortifié par l’excellent ouvrage qu’un , que j’ai l’honneur de connaître particuliè- rement, a publié depuis, et qu’on a réimprimé plusieurs fois en Angleterre sous le titre modeste Essai concernant l’Entendement humain . Et je suis ravi qu’il paraît depuis peu en latin et en français, afin qu’il puisse être d’une utilité plus géné- rale. J’ai fort profité de la lecture de cet ouvrage, et même de la conversation de l’auteur, que j’ai entretenu souvent à Londres et quelquefois à Oates, chez Mi- lady Masham, digne fille du célèbre M. Cudworth, grand philosophe et théologien anglais, auteur du Système intellectuel dont elle a hérité l’esprit de méditation et l’amour des belles connaissances, qui paraît particulièrement par l’amitié qu’elle entretient avec l’auteur de l’ Essai . Et comme il a été attaqué par quelques doc- teurs de mérite, j’ai pris plaisir à lire aussi l’apologie qu’une demoiselle fort sage et fort spirituelle a faite pour lui, outre celles qu’il a faites lui-même. Cet auteur est assez dans le système de M. Gassendi, qui est dans le fond celui de Démocrite ; il est pour le vide et pour les atomes, il croit que la matière pourrait penser, qu’il n’y a point d’idées innées, que notre esprit est tabula rasa , et que nous ne pensons pas toujours : et il paraît d’humeur à approuver la plus grande partie des objec- tions que M. Gassendi a faites à M. Descartes. Il a enrichi et renforcé ce système par mille belles réflexions ; et je ne doute point que maintenant notre parti ne 1 triomphe hautement de ses adversaires, les péripatéticiens et les cartésiens. C’est pourquoi, si vous n’avez pas encore lu ce livre, je vous y invite ; et si vous l’avez lu, je vous supplie de m’en dire votre sentiment. THÉOPHILE. Je me réjouis de vous voir de retour après une longue absence, heureux dans la conclusion de votre importante affaire, plein de santé, ferme dans l’amitié pour moi, et toujours porté avec une ardeur égale à la recherche des plus importantes vérités. Je n’ai pas moins continué mes méditations dans le même esprit ; et je crois d’avoir profité aussi autant et peut-être plus que vous, si je ne me flatte pas. Aussi en avais-je plus besoin que vous, car vous étiez plus avancé que moi. Vous aviez plus de commerce avec les philosophes spéculatifs, et j’avais plus de penchant vers la morale. Mais j’ai appris de plus en plus combien la mo- rale reçoit d’affermissement des principes solides de la véritable philosophie, c’est pourquoi je les ai étudiés depuis avec plus d’application, et je suis entré dans des méditations assez nouvelles. De sorte que nous aurons de quoi nous donner un plaisir réciproque de longue durée en communiquant l’un à l’autre nos éclaircis- sements. Mais il faut que je vous dise pour nouvelle, que je ne suis plus carté- sien, et que cependant je suis éloigné plus que jamais de votre Gassendi, dont je reconnais d’ailleurs le savoir et le mérite. J’ai été frappé d’un nouveau système, dont j’ai lu quelque chose dans les Journaux des savants de Paris, de Leipzig et de Hollande, et dans le merveilleux Dictionnaire de M. Bayle, article de Rorarius ; et depuis je crois voir une nouvelle face de l’intérieur des choses. Ce système paraît allier avec Démocrite, avec Descartes, les scolastiques avec les modernes, la théo- logie et la morale avec la raison. Il semble qu’il prend le meilleur de tous côtés, et que puis après il va plus loin qu’on n’est allé encore. J’y trouve une explication intelligible de l’union de l’âme et du corps, chose dont j’avais désespéré aupa- ravant. Je trouve les vrais principes des choses dans les unités de substance que ce système introduit, et dans leur harmonie préétablie par la substance primi- tive. J’y trouve une simplicité et une uniformité surprenantes, en sorte qu’on peut dire que c’est partout et toujours la même chose, aux degrés de perfection près. Je vois maintenant ce que Platon entendait, quand il prenait la matière pour un être imparfait et transitoire ; ce qu’Aristote voulait dire par son entéléchie ; ce que c’est que la promesse que Démocrite même faisait d’une autre vie, chez Pline ; jusqu’où les sceptiques avaient raison en déclamant contre les sens, comment les animaux sont des automates suivant Descartes, et comment ils ont pourtant des âmes et du sentiment selon l’opinion du genre humain. Comment il faut expliquer raisonna- blement ceux qui ont mis vie et perception en toutes choses, comme Cardan, , et mieux qu’eux feu Madame la comtesse de Connaway platonicienne, et notre ami feu M. François Mercure van Helmont (quoique d’ailleurs hérissé de paradoxes inintelligibles) avec son ami feu M. Henry Morus. Comment les lois de la nature 2 (dont une bonne partie était ignorée avant ce système) ont leur origine des prin- cipes supérieurs à la matière, et que pourtant tout se fait mécaniquement dans la matière, en quoi les auteurs spiritualisants, que je viens de nommer, avaient manqué avec leurs archées et même les cartésiens, en croyant que les substances immatérielles changeaient sinon la force, au moins la direction ou détermination des mouvements des corps. Au lieu que l’âme et le corps gardent parfaitement leurs lois, chacun les siennes, selon le nouveau système, et que néanmoins l’un obéit à l’autre autant qu’il le faut. Enfin c’est depuis que j’ai médité ce système que j’ai trouvé comment les âmes des bêtes et leurs sensations ne nuisent point à l’immortalité des âmes humaines, ou plutôt comment rien n’est plus propre à établir notre immortalité naturelle, que de concevoir que toutes les âmes sont im- périssables ( morte carent animae ) sans qu’il y ait pourtant de métempsycoses à craindre, puisque non seulement les âmes mais encore les animaux demeurent et demeureront vivants, sentants, agissants ; c’est partout comme ici, et toujours et partout comme chez nous, suivant ce que je vous ai déjà dit. Si ce n’est que les états des animaux sont plus ou moins parfaits, et développés, sans qu’on ait jamais besoin d’âmes tout à fait séparées ; pendant que néanmoins nous avons toujours des esprits aussi purs qu’il se peut, nonobstant nos organes qui ne sau- raient troubler par aucune influence les lois de notre spontanéité. Je trouve le vide et les atomes exclus bien autrement que par le sophisme des cartésiens fondé dans la prétendue coïncidence de l’idée du corps et de l’étendue. Je vois toutes choses réglées et ornées au-delà de tout ce qu’on a conçu jusqu’ici, la matière or- ganique partout, rien de vide, stérile, négligé, rien de trop uniforme, tout varié, mais avec ordre, et ce qui passe l’imagination, tout l’univers en raccourci, mais d’une vue différente dans chacune de ses parties et même dans chacune de ses unités de substance. Outre cette nouvelle analyse des choses, j’ai mieux compris celle des notions ou idées et des vérités. J’entends ce que c’est qu’idée vraie, claire, distincte, adéquate, si j’ose adopter ce mot. J’entends quelles sont les vérités pri- mitives, et les vrais axiomes, la distinction des vérités nécessaires et de celles de fait, du raisonnement des hommes et des consécutions des bêtes, qui en sont une ombre. Enfin vous serez surpris, Monsieur, d’entendre tout ce que j’ai à vous dire, et surtout de comprendre combien la naissance des grandeurs et des perfections de Dieu en est relevée. Car je ne saurais dissimuler à vous, pour qui je n’ai eu rien de caché, combien je suis pénétré maintenant d’admiration, et (si nous pouvons oser nous servir de ce terme) d’amour pour cette souveraine source des choses et des beautés, ayant trouvé que celles que ce système découvre passent tout ce qu’on en a conçu jusqu’ici. Vous savez que j’étais allé un peu trop loin ailleurs, et que je commençais à pencher du côté des spinozistes, qui ne laissent qu’une puissance infinie à Dieu, sans reconnaître uploads/Litterature/ leibniz-nouveaux-essais-sur-l-entendement-humain-pdf.pdf
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- Publié le Mai 27, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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