LES BARBARES de MAXIME GORKI (1905) Conférence IUTL donnée par Nadine Soret le

LES BARBARES de MAXIME GORKI (1905) Conférence IUTL donnée par Nadine Soret le 16 novembre 2006 PARLONS D’ABORD DU DRAMATURGE Un écrivain célèbre En 1900, Gorki, âgé de 32 ans, est déjà un homme célèbre. Son poème Le Chant du faucon a été accueilli, depuis 1895, comme un véritable hymne révolutionnaire et la publication à Moscou de deux volumes réunissant une vingtaine de contes sous le titre d’ Esquisses et récits connaît en 1898, un grand succès. La police, inquiète, a l’œil braqué sur lui, mais il est trop remuant, on ne parvient pas à le suivre. Un rapport de 1898 dit : « C’est un homme extrêmement suspect ; il a beaucoup lu, il manie bien la plume, il a traversé toute la Russie (le plus souvent à pied) ; il a passé près d’un an à Tiflis et il en est parti on ne sait où… ». On finira cependant par le retrouver à Nijni-Novgorod et, le 5 mai 1898, la police le mettra en cellule au château-fort de Métekh. Gorki devient alors le point de mire de toute la Russie « qui bouge ». Le public apprécie son langage sans fioriture, sa dénonciation de l’esprit « petit-bourgeois », son anarchisme populaire qui s’attaque aussi bien aux paysans ignares qu’aux propriétaires aisés. Tout ceci contrecarre opportunément le mysticisme non- violent et célébrant la sagesse ancestrale des paysans qu’exprimait Léon Tolstoï. Les deux écrivains eurent l’occasion d’échanger leurs points de vue respectifs à plusieurs reprises, lors d’entrevues, mais aussi à travers de longs échanges épistolaires Gorki (à droite) et Tolstoï (à gauche) en 1901 A cette époque, « son comportement d’ours mal léché, écrit Nina Gourfinkel1, ne fait qu’accroître sa renommée et donne naissance à de nombreuses anecdotes. 1 Gorki par lui-même, Nina Gourfinkel, Ecrivains de toujours, Ed. du Seuil, 1961, En 1898, à Nijni-Novgorod « En effet, continue-t-elle, voilà un écrivain dont le physique correspond magnifiquement à la légende. Il porte mal le veston, mais il est superbe dans sa chemise paysanne, grand, maigre, un peu voûté, avec ses bottes, sa petite moustache et sa mèche rebelle. Un sourire charmant, une voix douce et profonde, une prononciation de la région de la Volga, appuyant sur les « o » qui fait « exotique » dans les capitales. Et – comble de romantisme ! – il est phtisique. » Un roman sur les marchands et les industriels, Thomas Gordeïev, paru en 1899, consacre Gorki comme écrivain. Sa popularité devient stupéfiante. Le roman suivant, Les Trois, paru en 1901, renforce encore son image d’écrivain engagé, tandis que les autorités l’emprisonnent, puis le libèrent à cause de son état pulmonaire, tout en le gardant toujours sous étroite surveillance. Les œuvres de Gorki sont alors traduites en plusieurs langues et éditées à l’extérieur de la Russie : six maisons d’édition publient ses récits, rien qu’en Allemagne). En France, Melchior de Vogué consacre à l’écrivain une étude retentissante. Scandale et popularité Au printemps 1902, un énorme scandale vient encore accroître la popularité de l’écrivain : l’Académie des Sciences élit Gorki académicien d’honneur dans sa section des belles-lettres. Annotation de Nicolas II concernant Gorki Ayant pris connaissance de cette délibération, parue au Moniteur officiel du 1er mars 1902, Nicolas II écrit en marge : « Plus qu’original ! » et exprime sa réprobation dans une lettre au Ministre de l’Instruction publique. Un effet inverse est obtenu : Tchékov et Korolenko, académiciens d’honneur, démissionnent par solidarité avec l’écrivain, et celui-ci est une nouvelle fois acclamé par l’opinion publique. Les pages virulentes de Gorki intitulées A propos d’un écrivain bouffi de vanité sont accueillies comme un morceau de choix par la presse clandestine. On s’en grise dans les réunions de jeunesse. Plus grande encore est la résonance des Mélodies printanières, satire à tout prendre anodine des mœurs administratives, mais rendue piquante par le fait qu’elle soit censurée. Gorki devient incontournable dans les salons et les milieux intellectuels engagés : Le groupe littéraire démocratique des « mercredis » de Moscou, en 1902 (Gorki est le troisième en partant de la gauche). La logique de son engagement amène Gorki à écrire pour le théâtre : Les Petits- Bourgeois (1902), Les Bas-Fonds (qui remporte en 1902 un succès triomphal dans la mise en scène de Stanislavski au Théâtre d’Art de Moscou). 1905 : une date fatidique Les premiers jours de 1905 trouvent la ville de Saint-Pétersbourg en émoi : les ouvriers, soutenus par un prêtre, ont décidé d’organiser pour le 9 janvier une « marche vers le Palais d’Hiver » afin d’en appeler au tsar de leurs abominables conditions de vie. Mais le gouvernement, mal informé (ou feignant de l’être ?) prépare des représailles. Ce sera la célèbre fusillade, devant le Palais d’Hiver, d’hommes désarmés, qui entrera dans l’histoire sous le nom de « dimanche sanglant ». Bouleversé, Gorki esquisse le soir même un projet d’Appel à tous les citoyens russes et à l’opinion publique des états européens dont il remet un brouillon aux membres de la délégation. Le lendemain, la police le trouve au cours de perquisitions et se fait un jeu d’en identifier l’écriture. Le 11 janvier, Gorki est incarcéré à la forteresse Pierre et Paul. La pièce Les Enfants du soleil sera écrite en prison à la forteresse Pierre et Paul. Première page du manuscrit Les Enfants du soleil annoté à droite de la main de Gorki : « Ecrit à la forteresse Pierre et Paul, du 16 janvier au 20 février 1905. Premier cahier. A. Pechkov. » Cellule du prisonnier Pechkov à la forteresse Pierre et Paul Dossier d’Alexei Pechkov, dit Maxime Gorki, à l’Okhrana de Saint-Pétersbourg Sous la pression de l’opinion publique, et notamment de l’opinion internationale, l’écrivain sera libéré sous caution. Mais Gorki ne l’entend pas de cette oreille, et tient à tout prix à être jugé : « Le tribunal sera pour moi, et la honte sur la famille Romanov et Cie. Si le jugement a lieu et que je sois condamné, j’aurai une excellente occasion d’expliquer à l’Europe pourquoi je m’élève contre « le régime en vigueur », régime de massacre d’habitants pacifiques et désarmés, y compris les enfants, pourquoi je suis révolutionnaire. » Averti, le gouvernement fera traîner l’affaire, rendant un non-lieu au mois de juillet, espérant éteindre tout ce bruit autour de l’écrivain. On lui accordera enfin l’amnistie à l’occasion de l’avance politique d’octobre 1905 et de l’octroi de la constitution. Entre-temps, Gorki, assigné à résidence à Riga dès sa sortie de prison en février 1905, quitte illégalement la ville pour partir à Moscou, puis en Crimée. Au début du mois de juin 1905, il séjourne en Finlande. C’est vraisemblablement durant ce séjour que sont écrits Les Barbares. Le 12 octobre de la même année, sa pièce Les Bas-Fonds est jouée à Paris au Théâtre de l’Oeuvre. En novembre 1905, Gorki est de nouveau en Russie pendant ces brèves « journées de liberté » qui lui permettent de participer à la création du premier quotidien bolchévique légal : La Vie nouvelle (Novaïa Gizn) dont le rédacteur en chef s’appelle… Lénine. Gorki (au fond)et Lénine (au premier plan) C’est dans la Novaïa Gizn que paraissent ses fameuses Notes sur l’esprit petit-bourgeois qui soulèvent contre lui les libéraux mais lui valent aussi l’attention redoublée de Lénine. Gorki adhère au parti social-démocrate. Le célèbre roman La Mère, paru dans une revue américaine en 1906 ne sera publié qu’en 1907 en Russie, dans une version très incomplète expurgée préalablement par le Comité des affaires de Presse qui reproche à son auteur de propager « une œuvre qui incite à commettre de graves délits, provoque l’hostilité des ouvriers à l’égard des classes possédantes et appelle à l’émeute et à des actes de rébellion ». Quant à la pièce Les Ennemis(1906), écrite à la même époque que La Mère et qui s’inspirait des mêmes sentiments, elle fut immédiatement censurée. Scène finale des Ennemis, au Théâtre artistique de Moscou Et qu’en est-il des Barbares ? Les renseignements sur les conditions d’écriture, de publication et de représentation de cette pièce sont difficiles à trouver et extrêmement succincts, hélas, à l’heure actuelle. LES BARBARES : UNE PIECE PEU JOUEE Ecrite probablement au cours de l’été 1905 durant l’exil en Finlande, la pièce ne fut publiée pour la première fois que l’année suivante, en 1906, chez un éditeur de Stuttgart, Dietz Nachfolger, sous son titre russe : Varvary. Elle semble avoir été représentée cette même année 1906 à Berlin, avant d’être publiée en Russie dans un périodique dirigé par Gorki. Les Barbares ont été joués ensuite en Russie en 1907, d’abord au Théâtre Contemporain, puis au Nouveau Théâtre de l’île Vassili à Saint-Pétersbourg. En France, la pièce a apparemment été montée au théâtre Récamier en 1965, dans une traduction de Georges Daniel2. Elle vient d’être plus récemment mise en scène par Patrick Pineau aux Ateliers Berthier à Paris, au printemps 2003, dans la traduction d’André Markowicz3. C’est sur cette traduction que je m’appuierai pour me référer précisément au texte. Eric Lacascade, qui a mis en scène Les Barbares en uploads/Litterature/ les-barbares-de-maxime-gorki.pdf

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