Michel Contât Jacques Deguy Les Carnets de la drôle de guerre de Jean-Paul Sart
Michel Contât Jacques Deguy Les Carnets de la drôle de guerre de Jean-Paul Sartre : effets d'écriture, effets de lecture In: Littérature, N°80, 1990. Carnets, cahiers. pp. 17-41. Abstract As a soldier during the winter of 1939-40, Sartre kept a diary. An incomplete version of this diary was found and published, after Sartre's death, in MICHEL CONTAT ET JACQUES DEGUY : LES CARNETS DE LA DRÔLE DE GUERRE DE JEAN-PAUL SARTRE, EFFETS D'ÉCRITURE, EFFETS DE LECTURE The place these writings occupy in Sartre' s œuvre is examined from several points of view : chronological importance, textual interest, real events as opposed to the fictional diary of La Nausée, their place within Sartre's imaginative universe and their relation to the War Diary genre. The fate of these Carnets has turned out to be paradoxical : conceived of as an impossible book, they were read by a few friends and then forgotten. Citer ce document / Cite this document : Contât Michel, Deguy Jacques. Les Carnets de la drôle de guerre de Jean-Paul Sartre : effets d'écriture, effets de lecture. In: Littérature, N°80, 1990. Carnets, cahiers. pp. 17-41. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1990_num_80_4_2547 ECRITURE POUR L'AU TRE, ÉCRITURE POUR SOI Michel Contât, C.N.R.S., et Jacques Deguy, Université de hi Ile III LES CARNETS DE LA DRÔLE DE GUERRE DE JEAN-PAUL SARTRE Effets d'écriture, effets de lecture Chez Sartre se distinguent, au moins tendanciellement, deux rég imes d'écriture : le « factum » l et le carnet ou les cahiers sans structure préétablie ni effort de structuration, ni intention de publier. Le factum, au contraire, est entrepris avec l'idée de publication ; il est une composition, ce qui implique recherche de structure et contrôle de l'écriture (brouillon plus réécriture). Le carnet penche vers le soliscrit (écrit sans autre destinataire que le scripteur ; anté-rédaction ; improv isation pour soi). Il sert soit de cahier de bord pour un factum (ainsi le « Carnet Dupuis » pour « Melancholia » 2), soit d'herbier, collection de citations ou de pensées personnelles (ainsi le « Carnet Midy » 3, thésaurisation et dépense d'énergie propre, pour employer les termes de P. -M. de Biasi à propos des carnets de Flaubert) 4. Mais Sartre, on le sait, procède aussi par hybridation générique : La Nausée est un faux journal (une fiction diariste, avec passages purement romanesques, où la narration au présent l'emporte sur l'écriture immédiatement rétros pective qui est celle du journal). Le « Carnet Midy » est peut-être progressivement conçu comme un ouvrage composé : recueil de citations et de pensées à lire dans un registre alphabétique, forme inédite de livre adressé à des lecteurs inconnus (retour au public de ce qui a été inscrit dans l'espace privé après soustraction à l'espace public, ainsi que le montrait D. Ferrer sur le cas des carnets de Joyce) 5. Chez 1. Le mol factum appartient au vocabulaire didactique : « mémoire dépassant l'exposé du procès et dans lequel l'une des parties mêle attaques et justifications » ou « libelle d'un ton violent dirigé contre un adversaire » (Robert). Sartre et Nizan appellent couramment factum les travaux littéraires qu'ils projettent d'écrire et de publier ; Sartre parle au moins jusque dans les années 40 de factum pour le livre qu'il est en train d'écrire. Voir Sartre, Œuvres romanesques, Pléiade, p. 1659- 2. Voir J.P. Sartre, Œuvres romanesques, Bibliothèque de la Pléiade, 1982, p. 1678-1686. 3. Datant de 1924, le « Carnet Midy », texte établi par M. Sicard, se trouve dans le volume Les Ecrits de jeunesse de Jean-Paul Sartre, édition établie par M. Contât et M. Rybaika, Gallimard 1990. 4. Gustave F;laubert, Carnets de travail, édition critique et génétique établie par P. -M. de Biasi, Balland, 1988. 5. Au cours du séminaire 1988-1989 de l'Institut des Textes et Manuscrits Modernes (ITEM, C.N.R.S.) sur les « Carnets d'écrivains », à paraître aux Editions du C.N.R.S. 17 ECRITURE DE PREMIER JET ET ÉCRITURE TRAVAILLÉE Sartre, le seul carnet pur (c'est-à-dire strictement fonctionnel, sans statut littéraire indépendant) est le « Carnet Dupuis » (sans doute parce qu'il est en partie rétrospectif : il fait le point en révisant le plan d'un factum en cours). C'est donc l'intention de publication qui distingue ces deux courants d'écriture, celle de premier jet, obéissant au rythme de la pensée et de la narration improvisées (avec ce que l'improvisation implique d'exercice préalable et de préparation mentale), et celle qui se travaille sous l'égide d'un projet de livre, avec un souci esthétique de style qui se manifeste par la correction et la réécriture. L'intention de publication impliquant la communication, elle entraîne dans le travail du texte la présence d'un lecteur : la réécriture (ou contrôle de l'écriture) est faite du point de vue de sa réception. Si ces deux courants existent de façon séparée dans la première partie de la vie productive de Sartre (1923-1945), ils tendent à se fondre dans la seconde partie, Saint Genet (1952) représentant le moment de la fusion. Alors qu'au départ le texte se donnait les dimensions d'une préface, une écriture d'improvis ation stimulée par la drogue (amphétamines) le fait aboutir à un gros livre. La Critique de la raison dialectique (I960) sera aussi écrite selon ce régime de flux continu maintenu par les stimulants, de même que le Flaubert (1954-1971), mais plus laborieusement, puisqu'il y a pour cet ouvrage trois manuscrits correspondant à trois reprises du projet premier, écrit d'un seul jet et négligemment. En revanche, Les Mots (1953-1963) échappent à ce régime : l'autobiographie, à visée littéraire, est un texte non dopé, et cela volontairement : Sartre ne s'autorise les amphétamines que pour les écrits qui lui coûtent un effort de pensée, la pensée requérant un rythme d'écriture continue et rapide pour avancer. Lorsque Sartre écrit son autobiographie, une interprétation générale de sa vie domine déjà son entreprise et si les dimensions du livre sont incertaines, le livre, ou la suite de livres, sont posés au départ. Au contraire, les notes sur la Morale de 1964-1965 retournent au soliscrit, pour aboutir à un texte de conférence (que Sartre envisage peut-être de publier, mais qu'il laisse en suspens) 6. En pratique, pour chacun des écrits des années 50 et suivantes, il faut se demander quel régime d'écriture y prévaut, car on a rarement affaire à un cas pur (et on dispose rarement d'un dossier génétique complet). L'examen des graphies permet, dans la plupart des manuscrits, de déceler s'il a été écrit sous drogue ou non. 6. Les notes pour la conférence que Sartre devait donner à l'université Cornell sous le titre « la Morale dans l'histoire » en 1965 et le texte de la conférence elle-même sont inédits. Us font l'objet d'études par Robert V. Stone et Elizabeth Bowman (à paraître), par Juliette Simont, « Autour des conférences de Sartre à Cornell » et par Pierre Verstraetcn, « Impératifs et valeurs », dans Sur les écrits posthumes de Sartre, P. Verstraeten éd., Annales de l'Institut de Philosophie et de Sciences morales, Editions de l'IViivcrsitc de Bruxelles, 1987. 18 Carnets, cahiers ÉCRITURE SÉDENTAIRE, ÉCRITURE NOMADE INVENTAIRE DESCRIPT IF DES ÉCRITS DE SARTRE RELEVANT DE LA FORME-CARNET L'écriture apparemment continue, mais produisant des unités textuelles de dimensions très variables, et s'arrêtant périodiquement pour tracer des plans d'un ouvrage futur, prévaut dans les cahiers datant de 1947-1948 et qui ont été publiés sous le titre Cahiers pour une morale, par A. Elkaïm-Sartre, en 1983. Il s'agit là véritablement de cahiers de notes, où des notions se construisent, et qui ont un statut génétique clair : préparation à un ouvrage promis à la fin de L'Etre et le Néant, et qui a été annoncé par Sartre sous le titre L'Homme (comme en réplique au grand poème inachevé Dieu de Victor Hugo). Cette entreprise philosophique (dont certains pans évoquent des cours très rédigés, tels que les préparent les professeurs de philosophie) est restée à l'état de notes. Celles-ci ont, par rapport à un ouvrage non réalisé, le même statut que les passages philosophiques des Carnets de la drôle de guerre par rapport à L'Etre et le Néant : avant-textes d'un traité qui obéit aux lois du genre. Il faut donc, semble-t-il à un premier examen, distinguer, chez Sartre, l'écriture de carnet et l'écriture de cahier. Et ce qui distingue ces deux régimes d'écriture serait précisément le support matériel. Portatif dans le cas du carnet, il favorise la prise de notes courtes ou des unités textuelles plutôt brèves, rédigées en voyage, au café, en promenade. Moins amovible dans le cas du cahier, le support conduit à la constitution d'unités textuelles longues et qui peuvent être reprises d'une séance de travail à l'autre. Ainsi le cahier implique plutôt un travail sédentaire, le carnet une écriture nomade. Cet inventaire chronologique est ici nécessairement succinct dans les descriptions. 1) Le Carnet Midy II s'agit d'un registre alphabétique pour médecins, offert à titre publicitaire par les Laboratoires Midy, et que Sartre avait trouvé dans le métro. Au cours du premier trimestre de 1924, Sartre y consigne systématiquement, sous un mot ou un nom, des pensées personnelles, uploads/Litterature/ les-carnets-de-la-drole-de-guerre-de-jean-paul-sartre-effets-d-x27-ecriture-effets-de-lecture.pdf
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- Publié le Jul 21, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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