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06/12/14 14:59 Les deux poétiques de Valéry (Fabula / Colloques) Página 1 de 15 http://www.fabula.org/colloques/document1426.php# Accueil> Colloques> Auteurs, oeuvres, périodes > Paul Valéry et l'idée de littérature colloques en ligne | Auteurs, oeuvres, périodes Paul Valéry et l'idée de littérature Les deux poétiques de Valéry William Marx 1 2Une poétique n’est pas un pur système de principes posés dans le ciel des Idées. Elle s’exprime dans des discours à la signification elle-même parfois ambiguë, participants d’une histoire qui peut être complexe, et susceptibles d’impressionner diversement ceux qui les lisent ou les écoutent. Elle a une forme sensible, d’où peuvent se dégager des effets d’ordre proprement poétique, esthétique, affectif, éthique ou conceptuel. Aussi n’est-il pas absurde d’interroger une poétique comme celle de Paul Valéry à partir précisément de ces effets-là, c’est-à-dire de sa réception, en considérant cette dernière comme la manifestation d’une réalité plus ou moins latente dans les discours eux-mêmes. S’il est vrai que la réception actualise des virtualités incluses dans les textes, on peut légitimement essayer de l’interpréter comme un symptôme : l’effet que produit un texte est une question posée à ce texte. 3On partira donc d’un étonnement éventuellement ressenti par le lecteur de Valéry : celui de voir coexister dans les textes de cet auteur deux conceptions de l’œuvre d’art et de la poésie qui paraissent contradictoires a priori. Deux poétiques. De ces deux poétiques, l’une est bien connue depuis longtemps, et il n’est pas nécessaire d’y insister. C’est celle que Michel Jarrety résume comme « les trois lieux communs » de la critique valéryenne : « la valeur d’exercice » attribuée à la poésie, « l’arbitraire de l’achèvement » de l’œuvre et « la nature accidentelle de la publication » [1]. Ces trois lieux communs concernent essentiellement le rapport de l’auteur à la création poétique. On peut en outre en ajouter trois autres, plus spécifiquement centrés sur la nature de l’œuvre : 4 l’autonomie du texte, appelée aussi par Roland Barthes « mort de l’auteur » : Mes vers ont le sens qu’on leur prête. Celui que je leur donne ne s’ajuste qu’à moi, et n’est opposable à personne. (« Comment de Charmes » [1929], Œ, I, 1509) 06/12/14 14:59 Les deux poétiques de Valéry (Fabula / Colloques) Página 2 de 15 http://www.fabula.org/colloques/document1426.php# […] il n’y a pas de vrai sens d’un texte. Pas d’autorité de l’auteur. Quoi qu’il ait voulu dire, il a écrit ce qu’il a écrit. Une fois publié, un texte est comme un appareil dont chacun se peut servir à sa guise et selon ses moyens : il n’est pas sûr que le constructeur en use mieux qu’un autre. (« Au sujet du Cimetière marin » [1933], Œ, I, 1507) 5 l’autorégulation de la littérature : 6 Une Histoire approfondie de la Littérature devrait […] être comprise, non tant comme une histoire des auteurs et des accidents leur carrière ou de celle de leurs ouvrages, que comme une Histoire de l’esprit en tant qu’il produit ou consomme de la « littérature », et cette histoire pourrait même se faire sans que le nom d’un écrivain y fût prononcé. (« L’enseignement de la poétique au Collège de France » [1937], Œ, I, 1439) 7 l’existence d’une nature propre du texte poétique, qu’on pourrait nommer poéticité, voire, à condition de considérer l’état de poésie comme la quintessence de celui de littérature, littérarité : 8 Ainsi, entre la forme et le fond, entre le son et le sens, entre le poème et l’état de poésie, se manifeste une symétrie, une égal d’importance, de valeur et de pouvoir, qui n’est pas dans la prose ; qui s’oppose à la loi de la prose – laquelle décrète l’inégalit des deux constituants du langage. (« Poésie et pensée abstraite » [1939], Œ, I, 1332) - l’indissolubilité du son et du sens (Œ, I, 1333) 9 10Ces trois principes définissent ce qu’on pourrait nommer la poétique formaliste et impersonnelle de Valéry [2]. C’est celle qui, de tout temps, a obtenu le plus grand retentissement, s’est répandue dans l’enseignement universitaire et a fourni le plus grand nombre de citations et de sujets de dissertation. 06/12/14 14:59 Les deux poétiques de Valéry (Fabula / Colloques) Página 3 de 15 http://www.fabula.org/colloques/document1426.php# 11Or, il existe une autre poétique valéryenne fort différente de celle-ci. Il serait exagéré de qualifier cette seconde poétique d’inconnue. Elle est au contraire fort bien connue de tous les lecteurs professionnels de Valéry, de tous ceux, en tout cas, qui se sont frottés aux Cahiers. Mais elle est moins connue que la première. Elle n’appartient pas à la vulgate valéryenne la plus diffusée. Comment la définir ? Parmi les premières descriptions en date figurent celle de Michel Lechantre dès 1972 [3], puis celle d’Ion Gheorghe en 1977 : 12 Le Poète de Valéry […] éprouve le besoin irrépressible de faire passer « ça » dans une combinaison de mots, dans un « discours poétique ». Pour ce faire, l’homme se dédouble en quelque sorte. Une moitié, faite de conscience calculatrice, désireuse et volontaire, se penche vers l’autre moitié, qu’il est loisible de concevoir comme une « profondeur » intime et obscure où dormen pêle-mêle ou s’agitent confusément tous les souvenirs et toutes les virtualités de l’être. [4] 13 14Notable est ici l’opposition entre les deux « moitiés » : la première, « faite de conscience calculatrice, désireuse et volontaire », coïncide évidemment avec la poétique formaliste que nous avons décrite plus haut ; la seconde au contraire désigne un Valéry plus obscur, celui de l’« implexe ». Gheorghe posait le problème en termes de dédoublement. 15Les critiques suivants mettront en valeur un concept beaucoup plus unificateur : celui de la voix. Il y a de belles pages très éclairantes là-dessus dans la thèse de Nicole Celeyrette-Pietri [5] et dans celle de Michel Jarrety, qui parle, en particulier, de « la voix de l’Être [6] ». Dans la fortune de ce concept de voix, l’apport de Jean-Michel Maulpoix occupe une place à part, puisque c’est notamment à partir des réflexions valéryennes sur la voix que Maulpoix définit le « nouveau lyrisme » poétique qu’il souhaite, avec d’autres, incarner. 16 Effet de voix et voix de source 17 18Par le miracle de son arrivée tardive dans la réception de Valéry, la voix se présente donc actuellement comme peut-être le plus productif et le plus original de tous les concepts valéryens en usage, parce que le plus neuf. Mais ce n’est pas le moins problématique, et c’est pourquoi il est tentant de parler d’une poétique double de Valéry. Car le concept de voix paraît contredire certains des principes les plus clairement affirmés et les plus connus de la poétique valéryenne. Encore faut-il s’entendre : plusieurs formulations valéryennes concernant la voix ne sont nullement incompatibles avec une conception formaliste de la littérature. Celle-ci, par exemple : 19 06/12/14 14:59 Les deux poétiques de Valéry (Fabula / Colloques) Página 4 de 15 http://www.fabula.org/colloques/document1426.php# Le point délicat de la poésie est l’obtention de la voix. La voix définit la poésie pure. C’est un mode également éloigné du disco et de l’éloquence, et du drame même, que de la netteté et de la rigueur, et que de l’encombrement ou bien de l’inhumanité de description. 20 […] Il n’y a ici ni narrateur, ni orateur, ni cette voix ne doit faire imaginer quelque homme qui parle. Si elle le fait ce n’est pas (1916, C, VI, 176) 21 22Ou bien celle-là : « Je crois que [le véritable principe poétique] est à rechercher dans la voix et dans l’union singulière, exceptionnelle, difficile à prolonger de la voix avec la pensée même. » (1918, C, VII, 71) 23Ou bien encore cette autre : « Le poème n’a pas de sens sans SA voix. » (1943, C, XXVI, 807) 24Ou enfin cette dernière : 25 Un poème est un discours qui exige et qui entraîne une liaison continuée entre la voix qui est et la voix qui vient et qui doit ven Et cette voix doit être telle qu’elle s’impose, et qu’elle excite l’état affectif dont le texte soit l’unique expression verbale. Ôte voix et la voix qu’il faut, tout devient arbitraire. (« Première leçon du cours de poétique » [1937], Œ, I, 1349) 26 27Il n’y a rien ici qui contredise soit le principe de l’autonomie du texte par rapport à son auteur, soit celui de l’existence d’une nature propre du texte poétique. Bien au contraire, la voix paraît ici un simple effet à rechercher et à recréer pour le lecteur, un effet qui permet justement cette fameuse « indissolubilité du son et du sens » dont il était question plus haut. C’est ce que je nommerais volontiers l’effet de voix, présenté comme un idéal à atteindre par la poésie. Et de cet effet de voix relève en particulier, si l’on y regarde bien, le fameux passage autobiographique des Cahiers qui a été tant commenté sur la « voix de contralto » : 28 À un certain âge tendre, j’ai peut-être entendu une voix, un contralto profondément émouvant… Ce uploads/Litterature/ les-deux-poetiques-de-valery-fabula-colloques 1 .pdf
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- Publié le Fev 08, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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