Alain le Boulluec Les emplois figurés du livre dans la Septante et leur interpr
Alain le Boulluec Les emplois figurés du livre dans la Septante et leur interprétation chez Origène et les Pères grecs In: Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens. Volume 7, n°1-2, 1992. pp. 111-134. Résumé Les emplois figurés du livre dans la Septante et leur interprétation chez Origène et les Pères grecs (pp. 111-134) Le point de départ de l'enquête est un exposé d'Origène sur l'unité des Écritures, transmis par la Philocalie (5, 3-7), où sont rassemblés les principaux emplois figurés du "livre" dans la Bible grecque (PS 39,8; 68,29; EZ 2,9-3,3; IS 29, 11-12). Il faut ajouter IS 34,4, commenté ailleurs par Origène. L'examen des exégèses origéniennes, qui associent étroitement réflexion herméneutique et spéculation doctrinale, fait apparaître une représentation paradoxale du texte, qui postule à la fois son infinitude et sa cohésion et qui met en valeur ses propriétés symboliques. Ce noyau théorique éclate après Origène , chacune des images du "livre" reprenant sa carrière au service de la prédication et de l'apologétique. Citer ce document / Cite this document : le Boulluec Alain. Les emplois figurés du livre dans la Septante et leur interprétation chez Origène et les Pères grecs. In: Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens. Volume 7, n°1-2, 1992. pp. 111-134. doi : 10.3406/metis.1992.979 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/metis_1105-2201_1992_num_7_1_979 LES EMPLOIS FIGURÉS DU LIVRE DANS LA SEPTANTE ET LEUR INTERPRÉTATION CHEZ ORIGÈNE ET LES PÈRES GRECS L'enquête présente a pour point de départ la lecture d'un exposé d'Origène sur l'unité des Écritures, un extrait du tome 5 de son Commenta ire sur l'Évangile de Jean, transmis par la Philocalie (5, 3-7), tel qu'il est édité, traduit et commenté par Marguerite Harl1. Les circonstances sont bien connues2: Origène menace plaisamment Ambroise de répondre à son impatience par la parole de Γ Ecclésiaste: "Mon fils, garde-toi de faire beaucoup de livres..." (12, 12). Il sait cependant qu'on peut lui reprocher de composer des ouvrages trop nombreux (Philocalie, 5, 1-2). Comment comprendre l'avertissement de Proverbes, 10, 19: "Par la prolixité tu n'éviteras pas le péché"? La solution est de distinguer les contenus des livres: il y a πολυλογία lorsque l'écrit est contraire à la vérité; mais "l'homme capable d'être en ambassade de la parole ecclésiale sans la con trefaire" a le devoir d'écrire. La perspective est polémique: l'œuvre du pourfendeur des "hétérodoxes" gnostiques (en l'occurrence Héracléon, et son interprétation de Γ Évangile de Jean) est légitime; "il se dresse contre les inventions hérétiques en leur opposant la sublimité de la prédication évangélique toute remplie de la symphonie doctrinale qui unit ce qu'on ap pelle l'ancien testament à celui que l'on nomme le nouveau" (Philocalie 5 , 7) . L'autorité de sa parole - "ecclésiale" , dit Origène - est censée procéder de "la Parole totale de Dieu, parole qui est dans le principe auprès de Dieu (cf. Jean, 1, 1)", dans la mesure où elle s'efforce d'être conforme à l'"Évangile unique" (Philocalie 5, 7.6). Une telle assurance se fonde sur 1. Origène, Philocalie, 1-10. Sur les Écritures, Sources Chrétienne (SC), 302, 1983. 2. Voir P. Nautin, Origène. Sa vie et son œuvre, Paris, 1977, pp. 366-367. 112 Alain le boulluec l'appropriation chrétienne des Écritures juives, contre la rupture profes sée par les gnostiques et par Marcion3. Elle est indissociable d'une doc trine scripturaire dont le centre est le Christ. Elle dépend d'une assertion qu'Origène a voulu démontrer auparavant: toutes les Écritures ont parlé du Christ, et elles constituent un seul livre. La démonstration, provoquée, en la circonstance, par la difficulté liée à Ecclésiaste, 12, 12 et Proverbes, 10, 19, a recours à un dossier scripturaire sur les Écritures comme "livre unique"4. C'est dans ce dossier que se trouvent quelques-unes des fo rmules ou des scènes bibliques qui confèrent au "livre" une valeur imagée. La représentation du texte élaborée par Origène, inséparable d'une her méneutique qui suppose la solidarité de toutes les parties et la nécessité de faire apparaître la cohérence des sens disséminés5, est ainsi portée par des emplois figurés du "livre" dans la Bible. La nature fictive de la représentation est exhibée par l'entrelacs des ima ges et les déplacements qu'elles subissent. Et c'est au moment où l'inven tion exégétique ressemble le plus à un coup de force que les figures sont or données en un tableau unique. Un contraste apparaît en même temps dans l'entreprise origénienne, entre le modèle d'élucidation fermement const ruit et la polymorphie que celui-ci cautionne: un schème organisé par un ensemble de doctrines (δόγματα) ou d'idées (θεωρήματα)6, "christo- logiques" au sens large, prétend réduire la pluralité des écrits, tout en ins tituant le jeu des reflets courant à travers la comparaison, de ressemblance en ressemblance. Ce jeu lui-même est cependant réglé. Tout d'abord, les figures du "livre" empruntées à la Septante sont fi ltrées, préalablement, par l'interprétation qu'en ont donnée des passages du "nouveau testament". Ainsi la formule de Psaume 39 (40), 8 est-elle convoquée implicitement par l'intermédiaire de YEpître aux Hébreux, 10, 7, qui l'attribue au Christ7. L'Apocalypse johannique a accueilli et trans posé le "livre scellé" d'Isaïe, 29, 11-12 et donné un sens messianique à 3. Celui-ci est nommé aussi par Origène (Philocalie, 5, 7) à propos de la compréhens ion de Romains, 2, 16. 4. Voir le commentaire de M. Harl, op. cit. , pp. 300-305. 5. Il convient, à ce sujet, de lire l'Introduction de M.Harl, op. cit. 6. Philocalie, 5, 4, 1. 21.9 (SC 302, p. 290). 7. Sur la lecture de Psaume, 39 (40), 8 à la lumière de Hébreux, 10, 7, de Clément d'Alexandrie à Théodoret, voir M.-J. Rondeau, Les commentaires patristiques du Psautier (Ille-Ve siècles), vol. II Exégèse prosopologique et théologie, Rome, 1985, pp. 133, 138, 231, 320 (Théodore de Mopsueste, qui distingue avec soin la visée de chacun des textes, fait exception: pp. 310 sq.). les Emplois figurés du Livre Dans La septante 113 Isaïe, 22, 22 (5, 1 et 3, 7). De même, la scène d'Ézéchiel, 2, 9-3, 3 est é- troitement liée à celle d'Apocalypse, 10, 10 et à la vision d'Apocalypse, 5, 1-3. Dans ce cas, l'association est particulièrement forte. Origène cite en effet Apoc5, 1 avec le terme έμπροσθεν, "par-devant", d'Ézéchiel, 2, 10, au lieu de εσωθεν, "à l'intérieur"8. Et s'il attribue le même trait singulier au livre d'Apoc5, 1 et à celui d'Apocalypse, 10, 10, c'est à travers le récit d'Ézéchiel, 2,9-3, 39. Quant au "livre des vivants" de Psaume 68 (69) , 2910, il a son écho en Philippiens, 4, 3 (le "livre de vie") et en plusieurs passages de l'Apocalypse11. Enfin, l'ensemble de la démonstration est inauguré par la parole de Jean, 5, 39 (Jésus affirmant que les Écritures "rendent témoi gnage" pour lui) et s'achève par l'expression de Romains, 2, 16: "selon mon Évangile en Christ Jésus"12. Ensuite, ce réseau de figures reste contrôlé, même en un lieu où domine la théorie herméneutique, par la signification sotériologique, telle qu'elle est issue de l'agencement néotestamentaire. Dès qu'Origène ébauche ici la réflexion sur le contenu du livre, ou sur ce qui y est écrit, il s'oriente vers la doctrine du jugement et les voies du salut13. Ce développement entretient ainsi des relations, complexes, avec d'autres exposés d'Origène, et s'in scrit dans une histoire chrétienne de l'interprétation. Mon propos n'est pas d'ajouter une notule aux travaux sur la métaphore du livre14. Je voudrais plutôt repérer l'usage doctrinal qui a été fait, prin cipalement par Origène, de quelques exemples particuliers de cette métaphore, et revenir au livre lui-même, et à la représentation du texte qui est produite par l'exégèse patristique de tels exemples. Il convient de voir, auparavant, en quoi ces figures bibliques du "livre", retenues par Origène, font image dans la Septante. Le premier exemple, Psaume 39 (40), 8, risque de paraître étranger à l'enquête. Le réfèrent ne peut être que le livre de la Loi, quel que soit le 8. Philocalie, 5, 5, 1. 24.29. On pourrait objecter qu'Origène lit έμπροσθεν dans son texte de Γ Apocalypse, leçon attestée par la recension "égyptienne". Mais dans son com mentaire sur Psaume, 1 (Philocalie, 2, 1, 1. 12), il cite Apocalypse, 5, 1 avec εσωθεν. 9. Philocalie, 5, 6, 1.25 sqq. 10. Philocalie, 5, 6, 1. 5. 11. Apocalypse, 13, 8; 17, 8; 20, 12; 21, 27; cf. Hébreux, 12, 23; voir l'article Βιβλίον de G. Schrenk dans le Theolog. Wôrterb. z. N. Testament, de Kittel. 12. Philocalie, 5, 5, 1. 8 et 5, 6, 1. 32. 13. C'est manifeste en Philocalie, 5, 6. 14. Travaux dont le programme a été dessiné par E.R. Curtius, "Schrift-und BuchmetaphorikinderWeltliteratur",Oi. Viertelj. schr. f. Liter., Wiss. u. Geistgesch., 20, 1942, pp. 359-411. 114 ALAIN LE BOULLUEC locuteur du ν. 915. Le tour figuré résulte seulement de la traduction grec que, surprenante, voire énigmatique (εν κεφαλίδι βιβλίου), alors que le texte hébreu dit clairement: "dans le rouleau du livre". On sait que cette expression étrange se retrouve en Ézéchiel 2, 9, qui appartient au dossier examiné16. B. Atsalos a bien montré que le terme κεφαλίςρο\ιτ désigner le "rouleau" ne s'est pas diffusé et que son emploi chez les Pères et uploads/Litterature/ les-emplois-figures-du-livre-dans-la-septante-et-leur-interpretation-chez-origene-et-les-peres-grecs.pdf
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- Publié le Dec 22, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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