LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE (∗) 1. Introduction. Les manuscrits de l’Antiqui
LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE (∗) 1. Introduction. Les manuscrits de l’Antiquit´ e n’ont jamais passionn´ e les foules. Ainsi personne ne s’est ´ emu, ` a part quelques rares ´ erudits, lorsqu’au dix-huiti` eme si` ecle on exhuma des laves du V´ esuve des centaines de manuscrits grecs et latins qui constituaient la biblioth` eque d’une riche famille d’Herculanum, ou encore lorsqu’on d´ ecouvrit au si` ecle dernier, dans la Gu´ eniza d’une synagogue du Vieux-Caire des milliers de textes en majorit´ e h´ ebreux, ou encore, plus pr` es de nous, lorsque des B´ edouins trouv` erent, en 1945, ` a Nag Hammadi en Haute-´ Egypte, des jarres contenant des manuscrits gnostiques ´ ecrits en copte. Les choses chang` erent du tout au tout lorsque, en 1947, les m´ edias annonc` erent ` a grand fracas la d´ ecouverte de manuscrits h´ ebreux dans une grotte creus´ ee dans l’escarpement rocheux dominant la cˆ ote nord-ouest de la Mer Morte, ` a la hauteur des ruines de QUMRˆ AN (Khirbet Qumrˆ an). On assista d` es le d´ ebut ` a un v´ eritable engouement m´ ediatique pour ces d´ ecouvertes, qui est all´ e en s’amplifiant au point que, vers 1960, on comptait d´ ej` a par centaines les livres et les articles traitant de ce sujet. Ainsi, je me souviens d’avoir d´ ecoup´ e dans le Figaro du 1er juin 1956 un entrefilet au titre all´ echant : Les manuscrits de la Mer Morte r´ ev` elent : Un tr´ esor de 200 tonnes d’or et d’argent enfoui pr` es de l’actuelle fronti` ere isra´ elo-jordanienne. Pourquoi cet engouement? C’est que le contenu de ces manuscrits, que l’on datait un peu vite des alentours de l’` ere chr´ etienne, n’´ etait pas innocent. On y parle d’une communaut´ e qui se r´ eclamait d’une “Nouvelle Alliance,” pratiquant un mode de vie asc´ etique selon une R` egle tr` es stricte; on y parle d’un personnage embl´ ematique, d´ esign´ e par le nom de “Maˆ ıtre de Justice” (Moreh Ha Tsedeq) mais inconnu par ailleurs. On y parle enfin d’un “Messie,” ou plutˆ ot de deux Messies : un Messie-Roi et un Messie- Prˆ etre, le Messie d’Isra¨ el et le Messie d’Aaron. Que fallait-il de plus pour mettre cette communaut´ e en connexion avec les origines du Christianisme et, partant, pour orchestrer un battage m´ ediatique sans pr´ ec´ edent? (∗) Lors de la r´ edaction de ce texte, nous avons b´ en´ efici´ e des conseils et des remarques du Professeur M. PHILONENKO. Qu’il en soit chaleureusement remerci´ e. 1 AIM´ E FUCHS On n’y a pas manqu´ e et les m´ edias fournirent effectivement la caisse de r´ esonance ad´ equate. Un autre fait venait s’ajouter ` a tout cela. Les historiens du premier si` ecle A.D., Philon d’Alexandrie, Pline l’Ancien et surtout Flavius Jos` ephe, avaient relat´ e qu’au nord-ouest des rives de la Mer Morte vivait ` a l’´ epoque une communaut´ e de c´ enobites appel´ es Ess´ eniens, qui ´ etaient c´ elibataires, v´ eg´ etariens et qui pratiquaient un mode de vie tr` es aust` ere selon les prescriptions de la Torah. Or nos manuscrits ont pr´ ecis´ ement ´ et´ e trouv´ es dans ces parages de la D´ epression de la Mer Morte. Cette co¨ ıncidence fit imm´ ediatement naˆ ıtre la th` ese, d´ efendue par A. DUPONT-SOMMER [13a], d` es 1950, selon laquelle l’ensemble des manuscrits de la Mer Morte provient d’une communaut´ e ess´ enienne qui se trouvait install´ ee dans la r´ egion de Qumrˆ an. Cette communaut´ e a cach´ e ces manuscrits dans les grottes du voisinage ` a l’approche des Romains, peu avant la chute de J´ erusalem en 70 A.D. Cette th` ese “ess´ enienne”, ` a laquelle se rallia le P` ere Roland de VAUX, le fougueux directeur de l’´ Ecole Biblique et Arch´ eologique de J´ erusalem, a, dans un premier temps, difficilement trouv´ e un consensus dans le monde savant. Aujourd’hui encore elle a de nombreux contradicteurs; diverses alternatives lui ont ´ et´ e oppos´ ees, notamment par N. GOLB [5], Y. HIRSCHFELD [6]. En revanche, les savants dominicains de l’´ Ecole Biblique, l’abb´ e E. PUECH en tˆ ete, sont, dans leur grande majorit´ e, tou- jours d’ardents d´ efenseurs de la th` ese ess´ enienne. 2. Histoire de la d´ ecouverte. Il n’est pas question de raconter par le menu l’histoire de la d´ ecouverte des manuscrits connus ` a ce jour; celle-ci participe, en effet, plutˆ ot du roman policier que de la science authentique. La petite histoire veut que par une belle journ´ ee de l’hiver 1947, Mohammed edh Dhib (= le Loup), un jeune B´ edouin de la tribu des Ta’a mireh, alla ` a la recherche d’une de ses ch` evres ´ egar´ ees. Il parvint de la sorte dans une grotte (l’actuelle grotte 1) situ´ ee dans un endroit quasi inaccessible, dans la falaise calcaire qui surplombe Qumrˆ an. Quelle ne fut pas la surprise du jeune gar¸ con en trouvant dans la grotte de grandes jarres en terre cuite, d’un format insolite (environ 60 cm de haut, d’une ouverture de largeur d’environ 19 cm) et ferm´ ees par des couvercles ´ egalement en terre cuite. Ces jarres contenaient des rouleaux de parchemin tr` es us´ es, couverts d’une ´ ecriture que le jeune B´ edouin ´ etait naturellement incapable de d´ echiffrer. Quelque temps apr` es, il pr´ esenta sa trouvaille ` a un cordonnier-antiquaire chr´ etien 2 LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE de Bethl´ eem, un certain Khalil Iskander Schahin, plus connu sous le nom de KANDO et qui fera encore parler de lui ult´ erieurement. Celui-ci acheta au jeune B´ edouin les manuscrits pour une bouch´ ee de pain et, flairant la bonne affaire, se mit en relation avec d’autres B´ edouins pour explorer la r´ egion ` a la recherche d’autres manuscrits. Cependant, le t´ el´ ephone arabe fonctionna ` a merveille et l’affaire vint aux oreilles du P` ere Roland de VAUX, le savant dominicain, directeur de la fameuse ´ Ecole Biblique, qui organisa pour son compte la chasse aux manuscrits. Le r´ esultat fut qu’en 1948, ` a la veille de la guerre d’Ind´ ependance 1948 d’Isra¨ el, la grotte 1 avait livr´ e sept rouleaux, parmi les plus importants connus ` a ce jour. Tous ces rouleaux parvinrent entre les mains de KANDO. Trois d’entre eux lui furent achet´ es par le Professeur Eliezer SUKENIK, le chef du d´ epartement d’Arch´ eologie de l’Universit´ e H´ ebra¨ ıque. Sukenik essaya ´ egalement d’acqu´ erir les quatre autres, mais KANDO les avait d´ ej` a vendus ` a Mar Athanasios Samuel, sup´ erieur du couvent syrien de Saint- Marc ` a J´ erusalem, qui ne tarda pas ` a les mettre en sˆ uret´ e aux Etats-Unis. C’est donc outre Atlantique que ces quatre manuscrits furent achet´ es en 1955 par l’´ Etat d’Isra¨ el pour 250.000 dollars. A pr´ esent, les sept rouleaux dont nous venons de parler sont conserv´ es au Mus´ ee du Livre ` a J´ erusalem. Ce sont : 1) la R` egle de la Communaut´ e, appel´ ee aussi Manuel de Discipline, le plus important rouleau des sept, pr´ esentant des similitudes manifestes avec la doctrine des Ess´ eniens telle qu’elle est d´ ecrite par les auteurs classiques; *2) le rouleau de la Guerre, d´ ecrivant la guerre eschatologique des fils de la Lumi` ere contre les fils des T´ en` ebres; 3) le rouleau de l’Apocryphe de la Gen` ese, inconnu jusqu’alors, racontant des l´ egendes concernant des personnages de la Gen` ese (Lamech, No´ e, Abraham, . . . ); *4) le rouleau des hymnes d’action de grˆ ace (HODAY ˆ OT), inconnu ´ egale- ment jusqu’alors, d’un style rappelant les psaumes; 5) un commentaire (PESHER) du livre d’Habaquq; *6) une copie incompl` ete du livre d’Isa¨ ıe; 7) une copie compl` ete du livre d’Isa¨ ıe. (Les rouleaux qui sont pr´ ec´ ed´ es d’un ast´ erisque sont ceux acquis par le Professeur SUKENIK.) Apr` es la guerre d’Ind´ ependance (1948), la ville de J´ erusalem fut partag´ ee en deux. Le Mus´ ee Arch´ eologique de J´ erusalem (l’actuel Mus´ ee Rockefeller) se retrouva dans la partie jordanienne de la ville et les sa- vants isra´ eliens n’y avaient plus acc` es. L’´ Ecole Biblique et Arch´ eologique de Palestine, qui se trouvait ´ egalement dans la partie jordanienne, devint ainsi la seule instance scientifique sur place et son directeur, le P` ere 3 AIM´ E FUCHS Roland de VAUX, se vit confier par les autorit´ es jordaniennes la direc- tion du Mus´ ee, avec autorisation d’effectuer de nouvelles fouilles. Celles- ci continu` erent jusqu’en 1956-57, date de la guerre du Sina¨ ı, la plupart du temps de fa¸ con sauvage. Onze grottes avaient alors ´ et´ e fouill´ ees, uploads/Litterature/ les-manuscrits-mer-morte 1 .pdf
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- Publié le Dec 28, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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